Cette lettre s’adresse à tous les dirigeants du Sénégal de Senghor à Macky, en passant par Abdou et Abdoulaye. Cette lettre s’adresse à tous les cadres de l’administration sénégalaise, ceux qui sont en fonction et ceux qui sont maintenant à la retraite et qui ont eu la chance d’avoir servi dans un pays où ils touchent leur pension mensuellement.
Cette lettre s’adresse surtout aux Sénégalais « les en bas des en bas ». Elle s’adresse à ces millions de Sénégalais qui vivent au Sénégal de la pointe des Almadies à la forêt sacrée du fond fin de la Casamance en passant par le Baol Baol, le Sine de l’arachide et les contreforts de Kédougou. Elle s’adresse à ces millions de Sénégalais qui vivent et travaillent à travers le Monde et qui rapatrient leurs économies au Sénégal.
Cette lettre s’adresse à vous toutes et tous pour vous dire Merci. Merci d’avoir construit un pays merveilleux, un pays d’amour, un pays de tolérance, une Nation.
Si vous acceptez de me lire, vous comprendrez les raisons de ma gratitude envers vous et surtout mon admiration pour votre pays.
Ma femme est d’origine et de nationalité guinéenne, mais ses parents (père et mère) vivent au Sénégal depuis plus de quarante ans. Depuis notre mariage, je viens au Sénégal présenter, chaque fois que les moyens me le permettent, mes respects à ma belle famille. A l’occasion des fêtes de fin d’année (décembre 2012), et par un hasard de circonstance, j’ai été amené à séjourner à Dakar pendant deux semaines.
Pendant cette période, j’ai flâné des heures durant dans les rues bondées et achalandées de la ville de Dakar. J’ai visité des endroits très fréquentés de la bourgeoisie à la classe moyenne et du lumpenprolétariat de Dakar. J’ai distingué le plateau administratif et commercial du centre ville de la ville dortoir de Pikine et de Guédiéwaye. J’ai vu les différences entre l’habitat pour la classe moyenne de Fass avec celle populaire de Médine qui change, les quartiers de la petite bourgeoisie du point E à celle supérieure de Fannrésidence et à celle très supérieure des Almadies.
J’ai surtout regardé les Sénégalais vivre, échanger, circuler, parler. En fait, j’ai vu les Sénégalais avec un regard d’observateur extérieur J’ai aussi consulté, pour des raisons de santé, des médecins dans des cliniques spécialisées et à l’hôpital principal de Dakar.
Durant ce dernier séjour, j’ai regardé, senti, touché et évalué le Sénégal avec les yeux d’un sociologue. En sociologie, on dit souvent que c’est l’observateur qui est influencé par l’objet observé. Je concède volontiers l’influence du Sénégal sur moi. Mais au-delà, je laisse à chacun le soin de mesurer mon objectivité à travers la description des faits relatés.
C’est ce vécu que je souhaite partager avec vous. Ce vécu que je vais partager n’est pas une comparaison ni un jugement sur d’autres pays et d’autres peuples. Je ne parle que du Sénégal et des Sénégalais.
Je suis venu au Sénégal, j’ai vu, entendu, senti et ressenti le battement d’un pays serviable. Vous ne pouvez savoir ce que signifie la « Téranga » si vous n’avez pas demandé un service à un Sénégalais. Voilà un peuple qui trouve du réconfort et même de l’estime de soi en rendant service. Chaque fois qu’il m’a été donné de faire valoir la nécessité que l’on s’occupe de moi, me trouver par exemple une plage horaire pour un rendez-vous avec un médecin spécialiste, j’ai trouvé une oreille attentive, soucieuse de trouver une solution, la plus conforme à mes contraintes et dans le respect de la procédure.
A l’hôpital public dénommé « l’hôpital principal » de Dakar, j’ai vu des parterres fleuris avec du gazon arrosé chaque jour. Des murs d’hôpital carrelés, des sols nettoyés du matin au soir par des ouvriers qui sont manifestement contents du travail à eux confiés.
A l’hôpital principal de Dakar, j’ai vu un service financier ou des démarcheurs ne déambulent pas avec des justificatifs de dépenses non effectuées. J’ai vu un service de communication et deux postes de gendarmerie qui surveillent en permanence sans être visibles des patients.
A l’hôpital principal de Dakar, j’ai vu du personnel accueillant, courtois et ponctuel au travail. J’ai vu des malades respectés par les soignants. Des malades qui ne crachent pas au sol au dessus des balcons, qui mangent le repas offert par l’hôpital, servi dans des chariots propres, plastifiés et distribués à 12 heures 30 minutes par un personnel professionnel, enthousiaste et organisé.
A l’hôpital principal de Dakar, j’ai vu un chef de bataillon, avec ses galons bien en vue, attendre sagement son tour après moi, pour être servi, dans un hôpital géré par l’armée. J’ai vu des colonels, des chefs de bataillon, des capitaines, bref des officiers supérieurs, qui sont armées jusqu’aux dents de bistouri, de stéthoscopes, auscultant des citoyens au lieu de les ligoter avec des lacets de commando.
A l’hôpital principal de Dakar, j’ai rencontré des médecins qui préparaient leur participation à des congrès dans leur discipline au frais de leur service pour apprendre plus, partager et qualifier leurs prestations aux clients.
A l’hôpital principal de Dakar, j’ai vu que chaque médecin a un ou une assistante administrative qui gère les rendez-vous dans des agendas ; oui j’ai bien dit dans des agendas de la main courante. J’ai vu des médecins dans des bureaux confortables et équipés, ne circulant jamais dans les couloirs pour intercéder pour quelqu’un ou contre quelqu’un, et ne touchant jamais le paiement du patient.
Pour payer à l’hôpital principal de Dakar, j’ai vu trois guichets :
- Un pou les consultations externes où l’on rencontre les généralistes qui orientent vers les spécialistes ;
- Le guichet central, lieu de paiement des actes médicaux des spécialistes, des hospitalisations et ;
- Le guichet des analyses biologiques.
A Dakar, en fait, j’ai vu comment marche un pays avec un Etat. J’ai vu en quoi une administration efficace constitue un préalable pour assurer le service public. J’ai vu à quoi sert un accompagnement de l’ancien colonisateur à sa colonie indépendante. J’ai vu la différence entre la politique politicienne, celle qui consiste à crier plus haut que le peuple et dans le même sens que lui, et la politique d’Etat où le leader conduit le peuple vers son bonheur parfois contre sa volonté.
A Dakar, j’ai compris le rôle de l’élite consciente, celle qui a des privilèges mais aussi des obligations envers son peuple, une élite qui ne fait pas que jouir bassement comme une clique de prédateurs, qui prélèvent mais ne remplacent pas. A Dakar, j’ai vu une élite qui n’a pas accédé à son statut par ses fonctions, mais par son mérite. A Dakar, j’ai vu un pays qui n’est pas en otage de son élite. Un pays dans lequel le renouvellement de l’élite se fait par un jeu transparent de la compétence et non du remplacement ethnique des uns par les autres. Oui, la confirmation est faite, les mêmes causes conduisent aux mêmes effets. Ce ne sont pas les présidents qu’il faut changer, mais tous : les peuples, les élites et les présidents.
A Dakar, j’ai eu la confirmation que ce n’est pas le potentiel naturel qui enrichit un peuple, mais ses fils et ses filles, ses ressources humaines, son capital humain. A Dakar, j’ai été conforté par le savoir : un peuple qui sait lire, écrire, compter et parler est un peuple apaisé et libre. A Dakar, j’ai été conforté par le fait que tout commence par l’homme, son savoir et son encadrement. La richesse n’est pas dans le sol et le sous-sol, mais dans l’Homme, chez l’Homme.
Oui, je sais, tout n’est pas rose au Sénégal. Les difficultés économiques sont réelles. Pourtant on ne ségrégue pas les étrangers pour renflouer les caisses de l’Etat. On ne demande à personne sa nationalité pour fixer le prix de la consultation et/ou des examens.
Les difficultés économiques sont réelles au Sénégal, il reste beaucoup à faire. Il y a encore beaucoup de coupures de courant. Durant mon séjour de deux semaines, il y a en eu deux : une coupure de trois heures (15 heures à 18 heures) durant ma première semaine et une seconde, de moins de moins de deux heures (19 heures 25 minutes à 21 heures 45 minutes), dans la seconde semaine de mon séjour.
Les difficultés économiques sont réelles au Sénégal. Dans ce pays, il y a du sable et la pluie est rare, et d’ailleurs lorsqu’elle tombe, les dégâts sont importants, mais il y a régulièrement de l’eau dans les robinets.
Beaucoup de Sénégalais souffrent, beaucoup ne mangent pas à leur faim. Cependant, voilà un peuple qui partage son repas avec des millions d’étrangers, surtout des Guinéens, sans xénophobie. Nulle part, il ne m’a été donné ni de voir, ni de ressentir un délit de faciès, un mépris ou même un sentiment de rejet d’un groupe en ces temps difficiles.
C’est vrai que l’emploi est rare et un étranger trouve difficilement un emploi avec un contrat à durée indéterminée (CDI), mais on ne pourchasse pas dans les services ceux qui, par leur origine, pourraient ne pas être des Sénégalais de « pure souche ».
La « Sénégalisation » de l’administration n’est pas une « racialisation » ni une ethno-stratégie. Ici au Sénégal, il n’y a pas de « sénégalité », il n’y a pas de Venant et de Passant ; pas de Premier ou de Dernier occupant ; il n’y a pas d’Autochtone et d’Allogène. Il y a des Sénégalais. C’est tout et c’est suffisant pour une Nation.
Ici au Sénégal, il y a des individus libres et solidaires. Des citoyens qui échangent, qui discutent, qui débattent sans demander l’appartenance ethnique. Ici, au Sénégal, votre ethnie ne vous confère aucun privilège particulier. Elle ne vous handicape pas non plus. Vous n’êtes pas né avec une étiquette « pour contrôler les activités économiques et laisser aux autres le partage du pouvoir politique ».
Ici au Sénégal, le hasard de la naissance au sein d’un groupe ne vous empêchera pas de rêver aux plus hautes responsabilités du pays. Ici au Sénégal, la présidence n’est pas familiale, ni ethnique. Elle est un contrat politique entre des citoyens et un homme politique. Pour ces différences, permettez-moi de vous dire, à vous tous Sénégalais, Merci !
Oui, je sais, on me dira que le Sénégal a la question de la Casamance non réglée depuis plus de trente ans. Oui, les revendications casamançaises ne sont pas fortuites. Oui, il y a souvent des morts et des enlèvements de soldats Sénégalais dans cette zone du Sénégal. Mais personne ne peut dire avoir vu ou entendu relater une stigmatisation des casamançais dans les autres régions du Sénégal.
En dépit du conflit en Casamance, on peut parler diola à Dakar sans risque de se faire lyncher ou d’être considéré comme un espion de la rébellion. En dépit du conflit de la Casamance, j’ai passé devant les grilles de la présidence, il ne m’a pas été donné de voir des tentes avec des militaires armées jusqu’à la moelle épinière, aux yeux rouges et à l’attitude agressive. J’ai juste vu une land-rover de la police, la compagnie d’intervention mobile (CIM), avec des policiers sans armes qui semblaient ne pas me regarder, de peur de ne pas m’effrayer. J’ai vu les voitures passées devant les lourdes et majestueuses grilles de la présidence, même les taxis et les autobus circulent devant le palais. Quelle insulte à ce « Landho », même le petit peuple passe devant la présidence. Comprenez l’antiphrase.
J’ai vu, de l’autre côté de la rue, le siège du Gouvernement. Le bâtiment a vieilli, il a besoin d’une couche de peinture, d’une réfection de quelques fenêtres. Mais ce bâtiment n’est pas des anciennes salles de classes transformées en d’obscurs bureaux étroits pour ministères en mal d’idées et de propreté. Le siège du Gouvernement Sénégalais n’est pas un lieu de culte, c’est un lieu de travail.
Il m’a semblé que les forces de sécurité et de défense (police, gendarmerie et armée) du Sénégal n’ont rien à cacher. On peut passer devant les camps de la capitale à pied ou à engin de deux ou quatre roues sans risquer d’être arrêté, questionner et contrôler.
J’ai eu l’impression, durant les deux semaines de mon séjour à Dakar, qu’il n’y avait pas de ministres au Sénégal. Peut-être qu’ils étaient tous en vacances, car pendant les deux semaines, je n’ai vu qu’un seul cortège composé d’une moto, de la voiture officielle et de celle de la sécurité. Il n’y avait aucune escorte militaire avec des commandos armés de lance roquettes, de fusils à lunettes et d’armes lourdes avec des cartouches aussi grande qu’une torche à trois piles alcalines. Enfin, peut-être que ce cortège transportait un simple mortel, pas un ministre qui allait au travail en retard après avoir passé la nuit à jouer à la bellotte autour de plusieurs bouteilles qui précipitent la cirrhose de foie chez les consommateurs.
Pendant mon séjour, ma femme a insisté pour que nous dînions dans quelques restaurants de la capitale sénégalaise. En sortant pour la première soirée, j’ai pris mon passeport. On ne sait jamais en cas de contrôle. Non, en dépit du conflit de la Casamance, il n’y avait pas de barrages. Jusqu’à la veuille de mon départ, mon dernier repas dans un restaurant, j’ai continué à garder mon passeport bien au chaud dans la poche de mon unique veste de sortie. On ne sait jamais. Vous savez, j’ai déjà été contrôlé à Paris à la gare du Nord par des policiers qui n’étaient pas du tout souriant.
Lors de mes promenades, le mur le plus haut qu’il m’a été donné de voir fût celui de la prison centrale de Reubeus, des trois stades de la capitale et, dans une moindre mesure, de l’Université Cheick AntaDIOP. Lorsque les maisons ont des clôtures, celles-ci ont moins d’un mètre de hauteur et pourtant il n’y avait pas de gardes armées. Je me suis dit qu’il n’avait rien de précieux dans leur maison.
Mon fils aîné (il a 6 ans) a fait des cours théoriques en CP 1 sur les règles pour traverser une rue. C’est à Dakar qu’il s’est exclamé, à la vue des tricolores, pour m’enseigner qu’il faut que nous attendions le vert pour avoir le droit de traverser le rond-point. Pendant mon séjour, je n’ai vu personne brûlé les tricolores ni se mettre en triple ligne, car plus pressé que Barack OBAMA. Même les « Voleurs Autorisés (VA) », les « Ennemis Publics (EP) » et les « Intellectuels Trompeurs (IT) » restent dans les rangs. Quel pays ! Voilà un pays où les privilégies ne montrent pas leur privilège, ne se lèvent pas tard pour narguer les embouteillages du peuple d’en bas, ne circulent pas dans le sens contraire du soleil. C’est ça le Sénégal.
Lorsque les feux d’artifice ont commencé à l’occasion du Nouvel An, mon fils aîné, le même, m’a demandé si les militaires étaient encore fâchés. Je dis non, ils sont contents à l’occasion de la fête de fin d’année. Croyant avoir bien compris, il me dit donc père, les militaires tirent quand-ils sont fâchés, mais ils tirent aussi quand ils sont contents. J’ai été obligé de donner une réponse affirmative.
Subitement, il ajoute : père quand les militaires se fâchent, ils tirent, on entend les coups, mais on ne les voit pas et quand ils sont contents, ils tirent mais cette fois-ci on voit les couleurs de leurs tirs. J’ai dit justement, tu as compris mon fils, pour terminer la conversation.
Après quelques minutes, il revient à la charge pour me dire : papa, il faudrait tout faire pour que les militaires soient toujours contents, car dans ce cas leurs tirs sont beaux avec beaucoup de couleurs dans le ciel. Ce que mon fils n’a pas compris, moi aussi d’ailleurs, c’est pourquoi les militaires du Sénégal ne sont pas fâchés, alors que l’éducation de ce pays a un budget deux fois supérieure à celui de l’armée.
Enfin, je suis venu au Sénégal et je rentre demain et pourtant je ne sais pas quel est le nom du président de la CENI du Sénégal. Enfin, ce n’est pas important d’ailleurs. Vous au Sénégal, vous avez un fichier audité, une CENI non partisane et des élections à l’heure avec des résultats publiés en pleine journée en temps réel dans tous les médias, y compris les radios privées. Ce n’est pas pour rien que vous avez renvoyé Abdou Diouf à la Francophonie et Abdoulaye Wade à une retraite méritée. Dans quelques années, si Macky souhaite s’éterniser, je suis certain que vous allez le renvoyer dans les laboratoires de pétrochimie pour explorer de nouvelles formules gazières.
Je compte sur vous. Et vous le ferez sans haine, ni cordes, ni cercueil, ni exil à la française. Vous le ferez dans la démocratie : un homme, une voix, sans fraude ni violence pré, pendant et post électorale. Vous le ferez simplement, en paix, dans l’ordre et dans le respect des Hommes et des institutions, car vous êtes une Nation.
Sénégalaises et Sénégalais, mes très chers sœurs et frères, je suis venu dans votre pays et j’ai vu un peuple merveilleux. Merci pour votre générosité. Merci de vivre en paix !
Je formule un seul souhait : s’il m’était donné de revenir sur terre après ma mort, dans une autre vie comme dans le brahmanisme, j’implore le tout puissant de naître Sénégalais.
Pr. Alpha Amadou Bano Barry, ancien ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation
Alpha Amadou Bano Barry
(Ph.D ; Sociologie, Maître de Conférences)
barybano@hotmail.com