Législatives sénégalaises 2022 : Un scrutin, trois campagnes

Jamais un scrutin législatif n’aura eu un cachet aussi particulier que celui de ce 31 juillet ! Certes, il est question d’élire les 165 députés de la 14ième législature, mais les élections de dimanche prochain charrient d’autres enjeux. Pendant que Benno veut conforter sa majorité pour éviter vaille que vaille le scénario catastrophe d’une cohabitation, Yewwi fait du scrutin législatif un référendum, voire une présidentielle anticipée, alors que Gueum Sa Bopp mène une campagne active pour inviter les Sénégalais à voter contre Macky afin d’écarter définitivement l’hypothèse d’une troisième candidature.

Benno : Tout sauf la cohabitation !

C’est autour de ce leitmotiv que se structure la campagne de Benno pour ces législatives. Tous les discours de ses responsables convergent. « La cohabitation est ce qu’il y a de pire qui puisse arriver au pays », répètent-ils en chorus et à l’envi. Non sans brandir les deux arguments massues qu’ils ont tous à la bouche pour dissuader les électeurs d’être gagnés par la tentation de donner la majorité à l’opposition. En effet, cela reviendrait, à les en croire, à « plomber les réalisations du Plan Sénégal Emergent (Pse) et, surtout, à installer le pays dans un cycle d’instabilité chronique aux conséquences incommensurables ».

Il faut dire que les résultats issus des locales du 23 janvier dernier ont de quoi pousser Macky Sall et sa coalition à vivre sous le spectre d’une cohabitation tant que le scrutin du 31 juillet prochain n’aura pas livré son verdict. En effet, la coalition Benno Bokk Yaakaar a vu son hégémonie sérieusement contestée par Yewwi Askan Wi aux dernières élections locales. On se rappelle d’ailleurs toute la polémique entre Benno et Yewwi sur le véritable vainqueur de ces élections.

Certes, Benno Bokk Yaakaar (BBY), avec 38 départements et 438 communes dans son escarcelle, avait globalement remporté le scrutin. Mais une victoire qu’il fallait tout de même relativiser selon les leaders de Yewwi. Car, disaient-ils, « si le Président se glorifie d’un vote gagné en nombre de communes, la réalité du vote en termes de voix dit autre chose ». Et les leaders de Yewwi d’indiquer le pourquoi.

« La coalition présidentielle a perdu la majorité absolue, passant de 58 % supposée en 2019 à 41 % en 2022 sur l’étendue du territoire national ». Conclusion : « cette évidence montre que les suffrages exprimés en faveur du Président Macky Sall ont reculé de 16 %, lors du scrutin », avaient ainsi soutenu Sonko et compagnie.

Mieux, s’appuyant sur des résultats combinés suivant les scrutins des villes, des départements et des communes, la coalition Yewwi Askan Wi soutenait avoir gagné les quatre villes dans lesquelles elle était engagée. Dans ces collectivités, « nous cumulons 237 678 voix (46 %) sur 518 047 exprimées, là où la coalition BBY a obtenu 136 447 voix (26 %) », avaient-ils martelé.

Bref, le résultat cumulé entre les suffrages obtenus dans les villes et les départements indiquait, selon les chiffres brandis à l’époque par la coalition Yewwi Askan Wi, que « Benno Bokk Yaakaar avait obtenu 41 % des voix contre 24 % pour Yaw. Et Yewwi d’en conclure que « s’il s’agissait d’un scrutin présidentiel, le candidat sortant serait contraint de disputer un second tour ». En tout cas, indépendamment de cette guerre des chiffres, une chose était au moins certaine à l’issue de ces locales du 23 janvier dernier : Benno avait manifestement décliné tandis que Yewwi connaissait une percée. D’où la campagne menée tambour battant et Mimi Touré et compagnie pour éviter vaille que vaille le scénario catastrophe d’une cohabitation.

Yewwi : « référendum ou présidentielle anticipée »

Ousmane Sonko avait très tôt annoncé la couleur et dessiné les contours de la campagne de sa coalition pour les législatives de ce 31 juillet. On se rappelle en effet que le 8 juin, devant des milliers de Sénégalais présents massivement à l’appel de sa coalition pour protester contre le rejet de leur liste de titulaires, Sonko avait su donner le ton de sa campagne.

«Quand un ordre est manifestement illégal, il faut désobéir», avait-t-il lancé à cette occasion «Cette manifestation est un avertissement à Macky Sall. Nous lançons aujourd’hui notre précampagne. Notre seul ennemi est Macky Sall ».

Voilà qui était suffisamment clair. Et Sonko, manifestement, a joint l’acte à la parole. Principal opposant de Macky Sall, il n’a pour seule cible que lui et lui seul. Aussi, le scrutin législatif apparait-il à ses yeux comme un référendum « pour ou contre Macky », voire comme une présidentielle anticipée. C’est en tout cas une campagne d’un candidat à un scrutin présidentiel que mène le chef de file de Yewwi.

Sillonnant tout le pays et drainant les foules à chacune de ses étapes, y compris dans les fiefs supposés du Président, il a manifestement enfilé le costume d’adversaire le plus sérieux du chef de l’Etat et s’y sent visiblement plutôt à l’aise. Son objectif unique : convaincre les électeurs d’envoyer un signal fort à Macky Sall en lui chipant sa majorité, avant de lui porter l’estocade en 2024.

A moins que la dérouillée de sa coalition soit si sévère au point de lui enlever toute envie de tenter une troisième candidature. C’est tout le sens de la campagne nationale que mène tambour battant le chef de file de Yewwi.

Geum Sa Bopp : « Non au 3ième mandat »

Le leader de Gueum Sa Bopp, pour sa part, n’a quasiment qu’une formule à la bouche : « non au 3ième mandat ». A cet effet, c’est une grande offensive contre Macky Sall et, surtout, contre sa propension à tenter une troisième candidature en 2024 qu’a lancée Bougane Guène Dany, président de la Grande coalition Gueum Sa Bopp.

Et d’égrener, pour ce faire, dix bonnes raisons pour ne pas voter Benno Bokk Yakaar lors des législatives de ce 31 juillet. En effet, dans un mémorandum rendu public, Bougane Guèye déclare que « voter la liste Benno Bokk Yakaar, c’est cautionner la flambée des prix des denrées, la vie chère et l’augmentation programmée des prix du carburant ».

De même que voter la liste Benno Bokk Yakaar revient à ses yeux à « légaliser la troisième candidature anticonstitutionnelle de Macky Sall » et à « renforcer la loi anti-démocratique sur le parrainage. C’est aussi accepter une sélection et non des élections libres et transparentes ».

Et Bougane Guéye Dany de toucher là où ça fait le plus mal en soutenant que voter Benno « c’est encourager Macky Sall à faire l’apologie et la promotion de l’homosexualité et la cause LGBT ».

La liste des raisons avancées par le leader de Gueum Sa Bopp pour ne pas voter Benno est loin d’être exhaustive, mais notons simplement qu’il a terminé en clamant que « Voter la liste BBY, c’est encourager Macky Sall à continuer d’instrumentaliser la justice et d’avoir une administration partisane, donc toujours au service du parti au pouvoir ». A ses yeux, voter Benno, c’est tout simplement faire de « Macky Sall, un roi ».

Autant dire que sans être candidat, Bougane Guèye mène activement sa campagne. Et Dieu sait s’il fait vraiment mal !

Le Vrai Journal

Pape Ismaïla CAMARA
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