Entre une force régionale contre les coups d’État et la fierté de se faire offrir son futur siège par la Chine, la CEDEAO continue à surprendre

Ce qui semble avoir retenu le plus d’attention des médias africains après le dernier sommet en date des chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), c’est l’annonce de la création d’une force régionale contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement, autrement dit les coups d’État.

Que la CEDEAO décide d’activer sa Force en attente – théoriquement existante depuis des années – pour lutter contre le terrorisme ne choque pas beaucoup, même si de nombreuses questions peuvent être posées quant aux chances de rendre opérationnelle cette force dans le contexte actuel de la région.

Mais une force régionale pour lutter contre les coups d’État? On attend encore de comprendre l’argumentation qui a abouti à la validation par l’Autorité des chefs d’État de la région d’une proposition qui avait été émise par un des leurs, le président en exercice, Umaro Embalo Sissoco de Guinée Bissau, dont toutes les idées spontanées ne sont pas nécessairement vouées à s’imposer sans réflexion interne plus poussée au sein des organes de la CEDEAO.

Proposer une réponse militaire à des coups d’État qui sont la résultante de conditions politiques et/ou sécuritaires extrêmement dégradées, d’une déliquescence des institutions, et/ou du choix délibéré de chefs d’État de prendre des risques de plonger leur pays dans une crise majeure en décidant de violer les textes constitutionnels, paraît peu convaincant, en étant aimable.

On attendra de voir si le temps qui sera consacré à des réunions des officiers d’état-major des pays de la région pour la conception de cette force ne sera pas précisément une colossale perte de temps, dans un contexte sécuritaire qui ne se prête pas à de nouveaux errements.

 

Une nouvelle qui semble avoir moins retenu l’attention et suscité des réactions est celle de la pose de la première pierre du nouvel immeuble du siège de la CEDEAO à Abuja le 4 décembre dernier. On apprend dans un communiqué de la CEDEAO que « le projet de nouveau siège financé par le Gouvernement chinois à travers China Aid devrait être arriver à terme dans 26 mois ». On comprend aussi que le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria a fourni le terrain d’une superficie de sept hectares.

Après le siège de l’Union africaine, la communauté économique régionale considérée comme la plus avancée dans le chantier de l’intégration politique aura donc aussi, dans un peu plus de deux ans, un beau siège moderne, offert et construit par un pays étranger, la grande puissance chinoise. Alors je me suis demandé si j’étais le seul à trouver cela choquant. Ce n’est pas le choix de la Chine qui est choquant mais le choix de faire financer le siège d’une organisation régionale africaine par un pays non africain, fût-il un partenaire stratégique.

Après les critiques qui s’étaient tout de même fait entendre sur le financement et la construction par la Chine du siège de l’organisation continentale à Addis Abeba, et les informations parues dans la presse en 2018 sur des « fuites de données » de l’UA vers des serveurs situés en Chine, les dirigeants de 15 pays ouest-africains n’ont donc pas hésité à faire exactement le même choix pour le siège de leur organisation. Un choix parfaitement contradictoire avec tous les discours sur la volonté de rechercher des espaces de souveraineté, de tourner la page de la dépendance extrême dans beaucoup de domaines à l’égard des anciens pays colonisateurs européens, et de toutes les puissances étrangères.

Les symboles sont importants. Soyons clairs. Il ne s’agit pas de récuser tout financement extérieur chinois, américain, européen, russe, saoudien, turc ou qatari, d’activités et de programmes des organisations régionales africaines. Mais il faut se fixer tout de même quelques limites qui correspondent au message qu’on donne au reste du monde et à celui qu’on donne aux citoyens africains. On peut au moins exclure de faire financer et construire le siège de nos organisations régionales par la Chine, les Etats-Unis, l’Union européenne ou tout autre partenaire étranger.

Les 15 États de la CEDEAO, dont le Nigeria, première puissance économique du continent, ne peuvent-ils vraiment pas assurer le financement de la construction d’un nouveau siège, en faisant des choix architecturaux qui correspondent par ailleurs aux exigences de sobriété qui devraient être celles de notre région ? Ne pouvait-on pas faire confiance à des architectes ouest-africains de talent, à des entreprises compétentes de la région, pour donner corps et âme au futur siège d’une CEDEAO qui entend être celle « des peuples » ?

« Le centre de conférence de l’Union africaine a été conçu par l’Institut de recherche pour la conception architecturale de l’université Tongji et construit par la Compagnie de construction de Chine », nous apprend un document du site du ministère chinois du commerce. On attendra d’en savoir davantage sur les institutions chinoises qui seront chargées d’offrir aux populations ouest-africaines le bâtiment qui incarnera pendant les décennies à venir leur idéal d’intégration.

Je suis un fervent défenseur de la CEDEAO dont les réalisations sont immenses et la mission, celle d’approfondir l’intégration économique, politique, culturelle, humaine, dans cette partie du continent, plus vitale que jamais. Mais nous traversons depuis plusieurs années une très mauvaise passe dont il est urgent de sortir avant qu’il ne soit trop tard pour préserver les acquis précieux de plusieurs décennies d’efforts.

Gilles Yabi

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