Darou Salam, Le Drame Social des veuves, des retraités… et un pupille de la Nation menacés d’expulsion

Une quarantaine de familles domiciliées à la cité « Darou Salam II » de Keur Massar risquent de se retrouver sans domicile. Elles se trouvent coincées entre le marteau de la Banque de l’habitat du Sénégal (Bhs) et l’enclume de la Société civile immobilière « Darou Salam ». Un contentieux, né d’un prêt d’un montant de 222 millions et d’une hypothèque sur 47 maisons, en est l’origine.

Le domicile de Moustapha Fall fleure bon l’encens. Les effluves envoutantes accueillent dès le seuil de la maison et vous conduisent jusqu’au premier palier. Madame Fall s’y trouve avec ses deux petits. L’un gigote dans ses bras. Le plus grand suspend un moment ses occupations pour dévisager les visiteurs. C’est une maison à l’intérieur meublé, décoré avec des tons variant d’une pièce à l’autre, assortis aux peintures et fresques murales.

L’ingénieur en énergie a élu domicile dans la cité «Darou Salam II» de Keur Massar depuis 2009. Portes intérieures en métallique vitrées, façade partagée entre carrelage et peinture beige, huit (8) pièces sont aménagées à l’intérieur de ce bâtiment R+1. Le rez-de-chaussée comporte trois chambres et un salon ; alors que deux dortoirs, un living-room et une cuisine sont bâtis au premier. Moustapha Fall a dû injecter une rondelette somme pour avoir ce résultat. «Une trentaine de millions», précise-t-il

«Prêts, primes et économies pour se retrouver dans la rue…le préjudice moral est énorme»

Il y a tout mis : trois prêts bancaires, ses primes et ses économies. Cela en valait la peine, à son avis. «Une maison, c’est sacré», commente Moustapha Fall. Au moins, il aura assuré un toit à sa progéniture et la mettre à l’abri. «J’ai cru avoir tout réalisé dans ma vie», ajoute-t-il.

Mais depuis qu’il a reçu le 13 décembre 2022, de la part de la Banque de l’habitat du Sénégal (Bhs), la lettre de commandement valant de saisie immobilière, avec un délai de 20 jours, l’ingénieur en Télécommunications vit dans l’incertitude.

«Elle (la lettre, ndlr) est venue bouleverser notre quiétude, nous causant un préjudice moral énorme», confie-t-il. Son domicile fait partie des 47 lots à distraire par voie de morcellement du Titre foncier n°2858/R appartenant à la Société civile immobilière « Darou Salam » dite «Sci darou salam».

Il ignorait jusque-là avoir acquis une maison hypothéquée par le promoteur depuis 2008. Si la banque veut procéder à une expropriation, c’est parce que la Sci resterait lui devoir encore la somme de 163 930 164 FCFA sur un prêt d’un montant de 222 200 000 FCFA contracté à la Bhs le 26 novembre 2008.

Des chiffres et des dates clairement confinés dans les différents documents authentiques produits par l’institution financière. Les pièces renseignent qu’en garantie de ce prêt, la société avait consenti une hypothèque conventionnelle assortie de diverses interdictions inscrites le 28 novembre 2008 sur ledit terrain d’une superficie de 7 108m2 sur le TF 2 858/R. Le 24 octobre 2009, le prêt arrive à échéance.

La requérante, d’après la banque, «n’honore pas» ses engagements, malgré la prorogation qui lui est accordée jusqu’à la date du 24 octobre 2010. Trois virements d’un montant total de 3 855 430 FCfa entre juin 2013 et mars 2019 ont ramené la créance à la somme de 163 93 164 FCFA. Oumou Mamadou Ndiaye a tardé à découvrir tout ceci. D’après elle, malgré ces charges, le promoteur botte constamment en touche.

«C’est la Bhs qui nous doit de l’argent, elle cherche à faire pression sur nous»

Youssoufa Marc Saliou Ndione, Directeur de la « Sci Darou Salam », confirme. «Nous ne devons pas un reliquat à la banque. La banque n’a plus le droit de les expulser. Nos avocats ont assigné la Bhs en paiement d’un trop perçu compris entre 500 et 800 millions (le montant exact est à calculer et le tribunal a demandé la nomination d’un expert comptable qui va faire le compte entre les parties). L’affaire est pendante devant le tribunal.

La Bhs a envoyé ce commandement pour que les clients viennent nous mettre la pression, à tort, dans le cadre de cette affaire où elle nous doit beaucoup plus. Tant que cette affaire n’est pas vidée, la Bhs ne sait pas exactement combien elle nous doit et nous non plus», se défend il. Il ajoute : «Le prêt de 222 millions est arrivé à terme en 2010.Il ne s’est rien passé de 2010 à 2022.

Treize ans après, la banque se lève pour demander un reliquat, une soi-disant créance. Une banque ne vient pas recouvrer 13 ans après à moins qu’elle veuille faire du bruit parce qu’elle sait qu’elle est en train de perdre un procès.»Le promoteur dit n’avoir rien à se reprocher dans la mesure où les ventes ont été faites en 2009 devant notaire.

«Cela date de 14 ans. Le Tf 2858/R de la cité Darou Salam est domicilié depuis 2005 chez le notaire Me Mamadou Dieng Tanor Ndiaye. Il était au courant qu’il y avait une hypothèque avant les ventes sur le terrain pour lequel il devait faire des mainlevées individuelles en accord avec la banque», poursuit Youssoufa Marc Saliou Ndione.

Interpellés sur ce dossier, les représentants de Mamadou Dieng Tanor Ndiaye disent avoir été eux-mêmes, à un moment, trompés. Comment ? «Cette ouverture de crédit (le prêt de 222 millions) a été réalisée dans un autre cabinet sachant que le dossier de vente est déjà logé chez nous. L’opération s’est faite à notre insu, sans nous en avoir informés. Au moment où nous avons déposé les actes de vente à la conservation pour les mutations, il (le promoteur) avait déjà hypothéqué le terrain chez un autre notaire», explique Me Yaye Ndiaye du cabinet SCP Ndiaye et Ndiaye.

Pour son collègue, Me Mory Diakhaté, s’il devait y avoir des mainlevées, ce serait des mainlevées partielles. «Et il aurait fallu que ces prix soient versés à la comptabilité du notaire ou qu’ils soient logés à la banque pour qu’elle puisse les ponctionner à la source. Ce qui n’a pas été fait. Les prix ont été payés hors de la vue du notaire, directement au promoteur. Nous ne pouvons pas payer à une banque un montant que nous n’avons pas reçu», conforte Me Mory Diakhaté.

«Toute une vie à être ménagère pour s’offrir cette unique maison de 9 millions»

Si la procédure aboutit, Oumou Mamadou Ndiaye, surveillante au Cem Keur Massar village va se retrouver sans toit, elle et ses six (6) orphelins. Sa maison construite sur 150m2 est le seul fruit de l’héritage de ses enfants. Même si elle a été achetée par son défunt mari en 2017 à 13 millions en espèces «versés au promoteur lui-même», le legs a financé la rénovation. «Les travaux ont coûté plus de 10 millions», précise la dame. Néné Diatta, elle, a passé sa vie à se courber l’échine devant lessive, linge, vaisselle, pour pouvoir se payer son chez-soi. Sa maison F3 aux fenêtres noires et à la devanture peinte en jaune et rouge-bordeaux lui a coûté 9,7 millions.

«J’étais ménagère. Je travaillais avec des Blancs. C’est grâce à cela que j’ai pu acheter la maison», confie-t-elle. Le foyer assuré, la veuve de 65 ans met fin à ses activités, espérant profiter tranquillement de sa retraite. «Mais non. Je suis bouleversée. Mes enfants et moi qu’allons-nous devenir ?», s’interroge-t-elle de sa bouche désolée. «Une véritable bombe sociale…»

Entre amertume, paperasses et déplacements incessants, le porte-parole du collectif ne dort plus du sommeil du juste. «C’est une véritable bombe sociale. Dans ces lots menacés d’expropriation, il y a des veuves, des retraités. Il y a même un pupille de la Nation. Lorsque son papa est décédé dans le bateau, ses oncles ont pris les 5 millions remis par l’Etat et se sont cotisés pour lui payer une maison. Elle est donnée en location. C’est ce qui lui permet de financer ses études supérieures», dénonce brahima Wane.

Le collectif a porté cette affaire devant la justice à travers sa plainte déposée le 16 janvier 2023 au tribunal de Rufisque contre le directeur de la société, Youssoufa Marc Saliou Ndione, «pour escroquerie et vente frauduleuse», explique l’inspecteur de l’animation. Le collectif demande la levée de l’hypothèque pour parfaire les ventes afin de pouvoir se reposer, tranquillement, dans leurs cocons. Une réunion tripartite a eu lieu mardi dernier entre la Bhs, le notaire et les représentants du collectif dans le but de trouver une solution définitive. Une issue heureuse serait envisageable.

L’Obs

Oumou Khaïry NDIAYE
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