L’une des caractéristiques les plus préoccupantes de notre époque est l’émergence, de plus en plus prononcée, d’individus s’exprimant sur des sujets qu’ils ne maîtrisent guère.
Ce phénomène, qui gagne en ampleur dans le Sénégal contemporain tout comme à l’échelle mondiale, illustre la banalisation de la parole dénuée de profondeur. Il n’est pas rare de voir des personnes se proclamer expertes en domaines aussi divers que le football, la médecine, le droit ou la géopolitique, sans la moindre légitimité.
Certains discutent de livres qu’ils n’ont jamais lus, se contentant d’en citer le titre, ou affirment connaître des individus qu’ils n’ont jamais rencontrés. Encore plus troublant est de voir des civils parler de l’armée comme s’ils étaient des généraux. Nombreux sont ceux qui relatent des événements auxquels ils n’ont jamais assisté, avec une telle assurance qu’elle en devient déconcertante.
Ce phénomène appelle à une réflexion sur la nature de la connaissance et l’importance de l’humilité. La tendance à parler sans savoir semble ancrée dans un besoin d’affirmer une forme de supériorité intellectuelle, alors qu’elle ne fait que révéler la vanité. Nos traditions spirituelles et religieuses, en particulier au Sénégal, offrent pourtant des antidotes puissants contre cette dérive.
L’humilité dans la tradition sénégalaise : Au cœur des sociétés traditionnelles sénégalaises, la parole est sacrée. Celui qui s’exprime sans connaissance manque non seulement de respect envers luimême, mais aussi envers la communauté. «Celui qui sait doit se taire pour écouter celui qui sait mieux», dit un adage bien connu, qui renforce l’idée que l’écoute précède la parole.
Nos aînés nous enseignent ainsi à ne jamais s’exprimer sur ce que nous ignorons, rappelant l’importance de l’humilité et du respect des savoirs traditionnels.
L’islam et la maîtrise de la parole :
Dans la tradition islamique, la prudence dans le discours est également primordiale. Le Coran et les hadiths soulignent la nécessité d’une parole mesurée et éclairée. Le Prophète Muhammad (PSL) nous enseigne : «Celui qui croit en Dieu et au Jour dernier, qu’il dise du bien ou qu’il se taise.»
L’islam voit la parole irréfléchie comme une forme d’ignorance à combattre. Ainsi, l’acquisition du savoir est un devoir sacré, et seuls ceux qui détiennent une véritable expertise sont encouragés à s’exprimer sur des sujets complexes.
Le christianisme et la prudence dans l’enseignement :
De même, le christianisme prône la retenue dans la parole. L’Épître de Jacques (3 :1) avertit : «Tout le monde ne doit pas se faire maître, car nous serons jugés plus sévèrement.».
Le message est clair : celui qui parle sans connaissance s’expose non seulement à l’erreur, mais induit également les autres en confusion. La vanité de l’ignorance est, dans cette tradition, un péché contre la sagesse, car elle éloigne de la vérité divine et de la reconnaissance des limites humaines.
La sagesse de l’écoute et le respect de l’expertise : De ces différentes perspectives, une leçon centrale émerge : la maîtrise de la parole est un signe indéniable de sagesse et d’humilité. Dans une société où beaucoup s’expriment sans véritable connaissance, souvent par crainte de paraître ignorants, il devient essentiel de rappeler que le savoir ne se crée pas dans la précipitation.
Le respect de l’expertise et de la connaissance est un pilier fondamental de la cohésion sociale et du progrès. Dans nos sociétés traditionnelles, tout comme dans les grandes religions monothéistes, la reconnaissance de ses limites personnelles est une vertu essentielle.
Dans un monde où l’information circule à une vitesse vertigineuse, la tentation de s’exprimer sur des sujets complexes sans en maîtriser les nuances est omniprésente. Nous assistons parfois à une forme de schizophrénie collective, où l’ignorance est déguisée en certitude, encouragée par des médias et les réseaux sociaux.
Comme l’a souligné Serigne Mor Mbaye, psychologue sénégalais, il est peut-être temps d’envisager un « Ndeup » national, un rituel collectif pour guérir ce mal. Socrate et l’humilité de l’ignorance : Le philosophe grec Socrate, à travers son fameux «Je sais que je ne sais rien», nous enseigne que la véritable sagesse réside dans la reconnaissance de notre propre ignorance.
Cette leçon socratique, présente dans toutes les cultures et traditions, invite à une quête permanente de savoir et au respect des connaissances d’autrui. Socrate ne parlait pas uniquement à ceux qui ignorent, mais aussi à ceux qui pensent savoir, car souvent, l’un et l’autre se privent d’apprendre en refusant d’admettre leurs propres limites. Plutôt que de se perdre dans des discours mal maîtrisés, la sagesse nous invite à écouter ceux qui possèdent une véritable expertise et à leur faire confiance.
En reconnaissant nos propres limites, nous contribuons à construire un environnement où la vérité, la compétence et le savoir sont véritablement valorisés, permettant à chacun d’apprendre et de grandir.
Marcel A. Monteil