Annulation de la dette africaine, et après ?

Les récents appels lancés par des dirigeants du continent dont le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, et des institutions financières internationales à une annulation et/ou à une suspension de la dette africaine semblent trouver un écho favorable auprès des créanciers, du moins pour certains. lundi, tard dans la soirée, aussitôt après la déclaration du président français, Emmanuel Macron, plaidant pour une « annulation massive » de la dette africaine ; le Fmi, se montrant plus pragmatique, semble lui emboîter le pas en annonçant l’allégement « immédiat » du service de la dette pour 25 pays membres du Fmi dont 19 Etats africains : Bénin, Burkina Faso, îles Comores, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mozambique, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, Tchad et Togo. Cerise sur le gâteau, hier, le G7 s’est dit favorable à la suspension provisoire du service de la dette des pays pauvres avec accord du G20.
Ces annonces ont fait le tour du monde telle une trainée de poudre à l’image de l’expansion virale du Covid-19. C’est comme une épine tirée du pied au regard des réactions qui ont suivi ; d’autres diront un bol d’air. Quoi qu’il en soit, ces différentes mesures prises par les créanciers internationaux surviennent dans un contexte où les finances publiques de la plupart des Etats sont soumises à une vive hémorragie financière. Les régies (impôts, douanes, trésor) saignent partout pour perfuser les secteurs les plus affectés (santé, entreprises, ménages…). Les besoins des Etats ont pris une courbe ascendante, pendant que les ressources financières se raréfient. Certains Etats s’imposent à une austérité pour gagner des marges à travers des politiques de rationalisation sur certaines dépenses non urgentes et l’optimisation de ressources. Du coup, une annulation ne peut être qu’un ouf de soulagement. Toutefois, il convient de rappeler que ce n’est pas la première fois que les pays africains bénéficient de telles faveurs. On se rappelle de l’Initiative des pays pauvres très endettés (Ppte) lancée en 1996 et qui prévoyait l’octroi d’un allégement de la dette globale à une quarantaine de pays les plus endettés dont 33 en Afrique). Dans l’objectif de contribuer à l’accélération des progrès au vu de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, l’Initiative Ppte est supplée par l’Initiative sur l’allègement de la dette multilatérale (Iadm) en 2005. Elle fournit un allégement de l’intégralité des dettes éligibles contractées auprès du Fonds africain de développement (Fad), la Banque interaméricaine de développement, l’Association internationale de développement de la Banque mondiale et le Fmi par les pays en cours d’achèvement du processus de l’Initiative Ppte.
Beaucoup de pays africains avaient vu leur dette gelée ; d’autres se sont retrouvés avec des taux d’endettement largement en dessous des seuils de leurs normes communautaires. N’empêche, près de 25 ans après, leur stock de dette est reparti de plus belle. Ces programmes étaient-ils murement réfléchis ? Que sont devenus les Etats africains bénéficiaires ? Sont-ils devenus plus riches ou plus pauvres ? Aujourd’hui, nous devons changer de paradigmes dans les stratégies d’annulation ou d’allégement de la dette des Etats du continent pour ne pas rester éternellement dans ce cercle vicieux d’endettement. Demain, nous allons encore tendre la main aux créanciers pour demander une nouvelle annulation. Il faut imprimer une rupture dans ces programmes de facilitations en faisant bon usage des ressources financières exonérées.
Si nos Etats veulent se faire respecter et avoir la voix au chapitre dans les instances politiques et financières mondiales, il leur faut radicalement imposer des changements dans la manière de gérer les ressources publiques. C’est un impératif d’instituer la transparence, l’efficience et l’efficacité dans la gouvernance de nos budgets. Celle-ci passe inévitablement par une bonne gestion de nos marchés publics, le gouffre financier des ressources financières de l’Etat. Autant, nos Etats sont appelés à bien négocier les contrats avec leurs partenaires bilatéraux comme multilatéraux durant toute la procédure, du montage financier au décaissement des crédits jusqu’à l’exploitation des ouvrages en passant, bien évidemment, par la réception et la mise en service. Que nos Etat soient dotés de personnes ressources expérimentées capables de mener les négociations de nos projets d’envergure. Oui, vous me direz des détails, mais le diable est toujours dans le détail. Qu’il s’agit des projets financés à travers les Partenariats public privé (Ppp), les Build, operate and transfer (Bot), les offres spontanées, ou simplement les marchés publics, il nous faut beaucoup plus de préparation dans les négociations pour que nos intérêts soient les mieux protégés. Une chose qui ne sera pas facile d’autant que nos Etats devront faire face aux investisseurs et multinationales assistées d’une armada d’avocats d’affaires, de fiscalistes, de financiers, d’économistes, d’environnementalistes dotés d’une expertise insoupçonnée.
Abdou DIAW

Saër DIAL

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