Après plus de 20 ans de compagnonnage avec le fondateur du Mouridisme, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana (1886-1967) a reproduit et transcrit une grande partie des poèmes du Cheikh en louange à Allah et au Prophète Mouhamad (Psl). Ayant bénéficié de l’enseignement spirituel du Cheikh, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana avait une bonne maîtrise du livre saint, mais aussi une belle plume.
Entre le fondateur du Mouridisme et Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana, ce n’est pas seulement une relation entre un guide religieux et son disciple dévoué, mais plus une convergence spirituelle. Une conjonction d’étoiles et un rapport de confiance. «Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana a suivi les traces du Cheikh jusqu’à ce qu’il le retrouve en terre mauritanienne.
Depuis lors, il est resté sous l’ombre du Cheikh. Il avait une foi inébranlable au projet du Cheikh et, pendant plus d’une vingtaine d’années, a été un disciple dévoué, son secrétaire particulier, un confident», rappelle l’Imam de la mosquée de Djanatoul Mahwa (un quartier de Touba), Serigne Abibou Diop, fils de Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana. On l’a retrouvé au village de Thiawène, à presque une dizaine de kilomètres de la Grande mosquée de Touba vers l’autoroute à péage Dakar-Touba.
Habillé d’un «Ndiampoutt (caftan)» et d’un «Thiaya (pantalon bouffant)» de couleur blanche, Serigne Abibou Diop, Imam de Djanatoul Mahwa, accueille dans la sobriété. Dans son domicile à Thiawène, un grand «Daara (école coranique), Serigne AbibouDiopestla voix autoriséede la famille de Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana. Sur le chemin d’Allah, l’Imam de Djanatoul Mahwa se donne corps et âme.
Sur la voie du Mouridisme, Serigne Abibou Diop sacrifie ses intérêts sur l’autel du «Ndigël» (consigne). Ce jour-là, malgré un agenda chargé dans la deuxième ville du Mouridisme, Diourbel, Serigne Abibou, pour ses proches, suspend ses activités pour répondre à l’appel de la famille de Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana.
«J’étais à Diourbel pour des affaires concernant la famille et les Daaras. Mais mon frère, Serigne Cheikhouna m’a ditq ue vous avez émis le souhait de me rencontrer. Excusez-moi donc de vous avoir fait attendre une journée de plus avant de pouvoir vous recevoir», sert-il, le verbe plein de piété. La tête farcie de projets étoilés pour le bon fonctionnement des Daaras et l’enseignement coranique, Serigne Abibou, en digne héritier du saint homme, garde les pieds bien ancrés dans les réminiscences du passé pour revisiter l’œuvre et la vie de son illustre père, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana
La rencontre avec Serigne Touba sur le chemin de l’exil
Serigne Mouhamadou Lamine DiopDagana est né vers 1886-1887 à Dagana au nord, sur les rives du fleuve Sénégal. Il est le fils du grand érudit Serigne Tafsir Ahmadou Diop Dagana et de Sokhna Hannatou (Anta) Diop Khayar. Serigne Mouhamadou Lamine Diop a débuté son apprentissage coranique auprès de son père, Tafsir Ahmadou Diop, avant de fréquenter les Daaras de Serigne Mouhamadou Diène et de Serigne Mamour Kébé, des érudits du Fouta.
Il mémorise le livre saint auboutde trois années d’étude et en écrit deux exemplaires. Après la maîtrise du saint Coran, il retourne auprès de son père Tafsir Ahmadou Diop, un grand exégète du Coran et ami de Cheikh Ahmadou Bamba, pour ses études de sciences islamiques. Bien avant la création de la capitale spirituelle du Mouridisme, Touba en 1887 et juste après l’appel du Cheikh (fondation du Mouridisme en 1883), Tafsir Ahmadou Diop avait quitté son Dagana natal pour aller rendre visite à Serigne Touba à Mbacké Baol vers 1884.
Les deux hommes avaient fini de tisser des relations sincères avant même la naissance du jeune Mouhamadou Lamine. En 1903, sur le chemin de l’exil en Mauritanie (1903-1907), Serigne Touba passera trois nuits à Dagana, chez son ami Tafsir Ahmadou Diop. Ce dernier, sous forme de serment, lui confie ses cinq garçons (Serigne Cheikh, Mouhamadou Lamine, Makhtar, Khayar et Malick), avant de quitter ce bas-monde trois mois après le passage du Cheikh.
Au cours du séjour du Cheikh à Dagana, Tafsir Ahmadou Diop avait chargé son fils, Mouhamadou Lamine, qui avait à peine 16 ans, de rester auprès de son futur maître pour ses services. Impressionné par le Cheikh, le jeune talibé tenait à bien accomplir sa mission. C’est ainsi au dernier matin de son séjour, le Cheikh lui demanda s’il voulait, lui aussi, devenir un grand érudit et lui offrit en guise de bénédiction du couscous. La connexion était faite.
Lorsque Tafsir Ahmadou Diop Dagana confiait le jeune talibé Mouhamadou Lamine Diop Dagana au Cheikh, il visait deux buts : la perfection et la dévotion. Deux choses que le Cheikh a inculquées au jeune Mouhamadou Lamine Diop Dagana, qui finira par devenir son confident et secrétaire particulier. Quelques mois après les funérailles de son père, le jeune Mouhamadou Lamine suivra son frère aîné, Serigne Cheikh Dio pDagana dans le Mbakol, une contrée religieuse dans l’ancien royaume du Cayor où il devait apprendre les sciences islamiques.
«C’est durant son séjour à Mbakol, que Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana fut informé que Serigne Touba demandait les enfants de Serigne Tafsir Ahmadou Diop qu’il lui avait confiés sur son chemin d’exil. Avide de savoir et séduit par la piété du Cheikh, le jeune talibé, de son propre chef et sans délais, suit les traces du marabout jusqu’en Mauritanie où il arriva en 1904 après plusieurs jours de marche.
Confident, disciple dévoué et biographe du Cheikh
Arrivé en Mauritanie, le Cheikh salua le courage et la détermination de son nouveau disciple. Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana avait à peine 17 ans.Et depuis lors, le jeune disciple ne quittera plus Serigne Touba avec qui il a vécu de 1904à 1927, soitprèsde23 ans», explique Serigne Abibou Diop. Après l’exil en Mauritanie, le jeune talibé retourne au Sénégal avec le Cheikh et reste à ses côtés à Thiéyenne Djolof dans l’actuelle région de Louga.
En Mauritanie comme àThiéyenne, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana compléta ses études en sciences islamiques auprès de grands érudits comme Serigne Modou Mbacké Touré, Serigne Mouhamadou Lamine Gaye, Serigne Mouhamadou Lamine Faty Mbodj et Serigne Lamine Bara Khary Fall. Formé par Serigne Touba et quelques de ses grands disciples, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana était devenu un fin lettré et grand connaisseur des sciences religieuses. Il était l’un des confidents du Cheikh et l’un de ses plus proches serviteurs.
«Après des années aux côtés de Serigne Touba, Cheikh Mouhamadou Lamine Diop Dagana était devenu le confident, le secrétaire particulier et un des hommes les plus proches du Cheikh. C’est pourquoi dans la bibliographie Mouride, ses œuvres sontles plus consultées et citées en référence. Mouhamadou Lamine Diop Dagana est l’auteur de l’ouvrage : Irwa al-naddim min adhb hubb al-khadim (L’Abreuvement du commensal dans la douce source d’amour du serviteur). Cet ouvrage écrit par Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana est un exposé destiné à ceux qui désirent mieux connaître la vie et l’œuvre du fondateur du Mouridisme. Ce document de plus de 220 pages, composé d’une dizaine de chapitres, est rédigé dans un arabe très classique, mais très clair, en1963, avantd ’être traduit en français», fait savoir l’Imam de Djanatoul Mahwa.
Savant exégète, fidèle compagnon et disciple dévoué du fondateur du Mouridisme, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana a écrit cette biographie de Cheikhoul Khadim où sont rassemblés les événements les plus importants de la vie de son maître et de ses enfants, ainsi que les litanies de la «Tarikha (confrérie)» Mouride. Pour la postérité, son fils Serigne Abibou Diop renseigne que son illustre père a laissé une production littéraire de plusieurs ouvrages dont les deux plus connus sont «Irwa al-naddim…» et «Minahoul-miskiya». Des œuvres qui parlent de la vie du Cheikh et de l’histoire du Mouridisme.
Ses dernières heures avec le Cheikh à Diourbel et la toilette mortuaire
«Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana a servi le Cheikh jusqu’à ses dernières heures sur terre. Et après son rappel à Dieu, c’est Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana qui est allé informer son fils aîné,Serigne Modou Moustapha, premier Khalife général des Mourides, de la disparition du Cheikh. Serigne Abibou Diop explique : «Quand Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana est resté deux jours sans entendre l’appel du Cheikh pour un service, il s’est inquiété et est allé voir Serigne Modou Moustapha qui était de passage à Diourbel.
Il a ainsi contraint Serigne Modou Moustapha d’aller ensemble s’enquérir de la situation du Cheikh. On m’a même confié que Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana avait même attaché leurs deux boubous pour contraindre Serigne Modou Moustapha d’aller voir le Cheikh avant de quitter Diourbel. C’est après qu’ils sont allés demander aux chambellans du Cheikh, Serigne Makhtar Sylla et Serigne Cheikh Faty Tacko Diop dans quelle pièce (la résidence du Cheikh à Diourbel était composée de plusieurs carrés avec plusieurs pièces) ils ont vu le saint homme pour la dernière fois.
Arrivés devant la pièce, Serigne Modou Moustapha demande à Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana d’entrer le premier. Quand il est entré, il a trouvé que le saint homme avait déjà quitté ce bas monde. Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana a eu le très grand privilège de toucher de ses deux mains le corps béni du saint homme, de procéder à sa toilette mortuaire avec AbdourahmaneTandakha, un Chérif de la Mauritanie et ami de Serigne Touba.
Et cela, il l’a consigné dans un de ses ouvrages que son ami,Serigne Bassirou Mbacké, a contresigné pour authentifier les faits». Savant émérite et ayant bénéficié de l’enseignement spirituel du Cheikh, Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana s’est constamment évertué à s’instruire auprès du Cheikh et à apprendre à vivre sa foi inébranlable. Après la disparition du Cheikh, il poursuit l’enseignement du Coran et des sciences islamiques avant d’être nommé Imam de la Grande mosquée de Diourbel.
Une fonction qu’il a occupée jusqu’à son rappel à Dieu, survenu un dimanche 2 juillet 1967 à Diourbel. Il est enterré àTouba, sur instruction du deuxième khalife des Mourides, Serigne Fallou Mbacké.
Serigne Makhtar Diop est l’actuel khalife de la famille de Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana. Sa famille célèbre chaque année le Magal de l’illustre père, qui se tient à Diourbel «Keur Gou Mag» le23e jour du mois lunaire de Gamou. Une date qui correspond au jour où son père lui confiait le Cheikh lors de son passage à Dagana, sur le chemin de l’exil en Mauritanie.
Source L’Obs du 28 Mars 2023
