Santé : quand la prise en charge devient un vrai calvaire pour les malades

Se soigner au Sénégal coûte excessivement cher. Mais, à côté des soins, les usagers sont sujets, parfois,  à un accueil froid et, à la limite, ‘’irrespectueux’’ de la part du personnel médical.

Dès lors, ils sont nombreux à affirmer que les patients, une fois dans nos hôpitaux, ‘’sont livrés à eux-mêmes, s’ils n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour assurer leur prise en charge médicale’’. (Dossier réalisé par enquêteplus.com)

Sous une chaleur de plomb, un groupe de personnes, majoritairement des femmes, le visage crispé, est assis devant l’entrée de l’hôpital Abass Ndao sis à la Médina. Le silence des lieux est quelque peu perturbé par un homme en sueur, bloqué à la porte d’entrée par le vigile.

Témoignages

Ses grands gestes et ses multiples appels téléphoniques ne changeront rien à la situation : il ne peut accéder à la chambre de son malade, l’heure de visite étant fixée à 13 h ; or il est à peine midi. Les interminables allers et retours des hommes en blouse blanche, dans la cour de l’hôpital, pourrait faire croire que tout se passe comme dans le meilleur des mondes. Cependant, le calvaire raconté par les Sénégalais malades ou assistants un malade prouve tout le contraire.

Mère Sarr, couverte d’un voile blanc, est debout et discute avec son gendre Ousmane Diop. Ce dernier passe des nuits blanches depuis le 19 mars 2018, date à laquelle sa femme a subi une césarienne à l’hôpital Nabil Choucair de la Patte d’Oie. Des complications survenues lors de la couture de la déchirure ont entrainé son évacuation au Centre hospitalier Abass Ndao (Chan).

Ousmane, derrière ses lunettes noires, dénonce avec beaucoup d’amertume ‘’le manque de professionnalisme des médecins de l’hôpital Nabil Choucair’’. Furax, il accuse : ’’Ils ignoraient, au début, la cause de ces complications dont ils sont à la base et en plus, ils n’avaient pas le matériel nécessaire pour stopper le mal. Aujourd’hui, c’est comme si de rien n’était. Ils ne sont pas inquiétés et ne le seront jamais, de toute façon, parce qu’au Sénégal il n’y a pas de loi, chacun fait ce qu’il veut.’’

L’argent

L’homme révèle avoir vécu des situations dans ledit hôpital où des malades ont été orientés vers les cliniques de ces mêmes médecins. La méthode est très simple. Soit ils arrêtent leur boulot avant l’heure normale, pour courir dans leurs cliniques, en demandant aux patients de les y retrouver, s’ils tiennent à être soignés. Soit ils évoquent le fait que l’hôpital manque d’outils adéquats qu’on peut cependant trouver dans leurs propres cliniques. Ousmane a dû verser la somme de 87 500 F Cfa pour une autre opération sur sa femme, une ordonnance de 14 000 F Cfa, 17 000 F Cfa pour une analyse et 7 500 F Cfa de frais d’anesthésie. ‘’Chaque jour, on te présente une nouvelle ordonnance. Les médecins ne te disent même pas à quoi cela va servir. Très souvent, ils développent leur propre commerce, en nous faisant payer des médicaments proposés par le délégué médical de leur choix et dont le malade n’a même pas besoin’’.

Des révélations confirmées par Mère Sarr. Le ticket de consultation s’élève à 5 000 F Cfa et le repas n’est autre qu’une bouillie de mil coûtant 1 000 F Cfa (500 F Cfa l’assiette et 500 F Cfa le plat). Les chambres ont aussi un coût qui varie de 5 000 à 25 000 F Cfa par jour. Ce qui fait dire à Ousmane que ‘’se soigner au Sénégal coûte excessivement cher. Il y en a qui n’ont même pas le transport pour venir à l’hôpital. Avec quoi vont-ils acheter un ticket à 5 000 F Cfa et tout ce qui doit suivre ?’’.

Un personnel médical froid

A côté des soins, les usagers sont sujets à un accueil froid et, à la limite, ‘’irrespectueux’’ de la part du personnel médical. Nombreux sont-ils à relater des mésaventures bien loin du respect de la personne humaine et de la compassion que demande un malade déjà affaibli physiquement et moralement.

La discussion a attiré Aïssatou Badji qui, jusque-là, faisait des va-et-vient entre la porte d’entrée et le bloc de chirurgie. La jeune dame vient de Bambey. Son fils aîné devait subir une opération de goitre le vendredi 16 mars dernier. Il a été refoulé avec sa mère le lendemain, parce que ne disposant pas de la totalité de la somme requise pour l’opération. ‘’Il traîne ce mal depuis huit ans. C’est récemment qu’on lui a diagnostiqué un goitre. C’est pourquoi je suis à Dakar. Le médecin m’a dit que l’opération coûte 200 000 F Cfa. Quand je débarquais, je n’avais que cette somme plus 3 000 F Cfa pour le voyage Bambey – Dakar. Ils m’ont tendu une ordonnance de 20 000 F Cfa. Puisque je ne pouvais pas la payer, l’enfant est automatiquement ressorti du bloc opératoire. Pourtant, les infirmiers l’avaient déjà préparé pour l’opération’’, relate-t-elle la mort dans l’âme.

Les blouses blanches indexées…

C’est finalement le lundi suivant qu’il a pu être opéré. Aïssatou a dû mobiliser toutes ses connaissances et des personnes de bonne volonté qui continuent encore à la soutenir financièrement, car son enfant est toujours hospitalisé au Chan. Dans sa main droite, elle tient une feuille blanche qu’elle présente à Ousmane pour calcul. Le total des différentes ordonnances, en trois jours, s’élève à 86 300 F Cfa. ‘’C’est difficile. Je ne travaille pas, son père non plus. Actuellement, je ne sais même pas si mes enfants ont mangé, parce que je n’ai rien laissé comme argent, ni provisions à la maison. Seul Dieu nous aide’’, explique-t-elle.

En ces lieux, les populations se demandent comment peut-on laisser un malade dans un piteux état pour aller vaquer à d’autres occupations. Le plus révolté est sans doute Pape Sy, enseignant dans une école de la place, venu accompagner sa sœur pour un pansement.

‘’Ce matin, j’ai vu parmi les malades une dame âgée qui saignait, mais aucun médecin n’a pris la peine de la prendre en charge, trop occupé à aller on ne sait où’’, révèle-t-il. La salle d’attente du service de pansement du Chan refuse du monde, la plupart sont des personnes du troisième âge, des diabétiques qui trainent des plaies nécessitant des soins réguliers. Il est 13 h et beaucoup sont là depuis 6 h ou 7 h. Visages tristes ou crispés, ils patientent depuis de longues heures.

Les hommes en blouse, premiers indexés, n’ont pas de temps pour répondre à nos questions. Ils disent être ‘’occupés et submergés’’.

Nos interlocuteurs sont unanimes : l’Etat a échoué dans la prise en charge des malades. Ces derniers sont livrés à eux-mêmes, s’ils n’ont pas les moyens financiers nécessaires. Pour certains usagers, avec la modernisation, les hôpitaux sénégalais sont mieux équipés qu’il y a quelques années et bénéficient de beaucoup plus d’innovations. Mais, paradoxalement, l’accès aux soins est de plus en plus onéreux.

Coût élevé des soins

Autre lieu, même décor et même réalité. Dans la cour de l’hôpital de Fann, l’on remarque de petits groupes de parents et amis venus voir un malade. Mamadou Lamine Sall est assis sur une grosse pierre, la tête entre les mains. Il tient une ordonnance d’un montant de 260 000 F Cfa. Sa femme est internée au service de neurologie depuis un mois, suite à un accident vasculaire cérébral (Avc). Ils viennent tous deux de Nouakchott. Chaque dix jours, il en reçoit une et ignore la date de la fin du traitement. En Mauritanie, elle n’a pu recevoir que des soins pour le diabète, alors qu’elle souffrait en plus d’un Avc. ‘’Les soins coûtent cher au Sénégal. Les gens préfèrent même attendre la mort chez eux, puisqu’ils n’ont rien. Ici, l’accueil est bon, le personnel est dévoué, mais il arrive qu’ils laissent des personnes mourir, parce qu’elles n’ont pas d’argent pour payer la facture’’, raconte-t-il. Cependant, il tient à ajouter que les populations sont aussi responsables de cette situation. Elles n’ont pas d’éducation de la santé et traînent des tares, des symptômes et des maladies qu’elles préfèrent cacher ou faire semblant de ne pas en souffrir et qui deviennent graves. Ce qui engendre, bien sûr, un coût élevé en soins.

Ces autres maux qui compliquent la situation

L’orientation est un véritable problème dans nos hôpitaux. Une fois sur les lieux, les malades sont livrés à eux-mêmes et ne savent où se rendre pour soigner le mal qui les ronge. Pour beaucoup, le personnel médical n’en a cure, puisqu’il choisit délibérément d’aller boire du café, discuter ou faire autre chose que de s’occuper de la longue file d’attente de patients qui les attend. Et selon Pape Sy, ‘’on ne te dit que : ‘Assieds-toi et attend.’ Les médecins te dépassent sans te calculer. Un jour, j’ai rencontré une dame qui a passé deux jours ici sans savoir où aller. Elle quittait Guédiawaye et elle a même acheté son ticket de consultation. C’est moi qui lui ai indiqué l’endroit, quand je l’ai vue, l’air perdu’’.

Les malades et leurs parents ne savent ni qui est infirmier, garçon de salle ou médecin. Ils sont préoccupés par la guérison et donc prêt à faire tous les sacrifices.

A cela s’ajoute le vol dans les chambres d’hospitalisation. Plusieurs patients affirment avoir acheté des médicaments qui ont disparu du jour au lendemain. Visiblement, selon les populations, certains infirmiers ou médecins viennent à prescrire des médicaments qui n’ont aucun lien avec la maladie du patient. La question qui se pose c’est : à quelle fin ?

La corruption a, elle aussi, établi sa demeure dans les murs de nos hôpitaux. Le vieux Mamadou Diop, assis sur un des bancs de la cour du Chan, témoigne : ‘’Un jour, je suis venu aux urgences avec mon fils. L’infirmier m’a dit qu’il n’y a pas de place. Quand j’ai fait semblant de toucher ma poche, il m’a promis de trouver un lit pour mon fils. Il était sûr que j’allais lui donner de l’argent.’’ Même aux urgences, le malade ne reçoit pas les premiers soins, s’il n’a pas acheté son ticket d’entrée. ‘’Comment cela peut-il être possible pour des personnes qui n’ont même pas de quoi acheter un sachet d’eau ? Voilà pourquoi le nombre de morts augmente de jour en jour’’,  fulmine Cheikh Fall accompagnant son frère aux urgences. De l’avis de ce dernier,  l’Etat a échoué dans la prise en charge des malades au Sénégal. Car l’accès aux soins s’avère difficile pour celui  qui n’a pas les moyens.

De telles accusations sont balayées d’un revers de la main par les médecins interrogés sur place. ‘’Il faut mettre toutes ces affirmations gratuites et non fondées sur le compte de l’ignorance des populations’’, se dédouane un médecin  qui a préféré requérir l’anonymat. Un de ses collègues de renchérir : ‘‘Certaines personnes  ne maîtrisent pas le fonctionnement d’un hôpital. Ainsi, quand elles débarquent avec leur malade,  elles veulent être satisfaites le plus rapidement possible.’’

Source enquêteplus.com

Oumou Khaïry NDIAYE
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