Politique, Corruption et Illusions : Seule une alternance véritable pourrait sauver le Sénégal

Les perspectives à court terme sont pessimistes : Face à ce tableau plutôt sombre, les perspectives à court terme vers l’échéance de la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en 2024 sont plutôt sombres

  1. La croissance est en berne. Les taux de croissance du PIB annoncés sont souvent fabriqués de toute pièce. Ils ne sont pas en conformité avec le niveau des productions, non plus avec la situation des populations; la pauvreté s’accroît. L’inflation a atteint des records en 2022. Elle a réduit de manière significative le pouvoir d’achat des populations, accroissant la pauvreté et la précarité. Les conditions de vie des populations s’étaient considérablement dégradées du fait de la crise Covid-19, des inondations et des campagnes agricoles négligées et mal préparées
  2. Les perspectives de relance sont quasi inexistantes. Les fondamentaux économiques et financiers sont dans une impasse : le niveau du déficit budgétaire, le taux d’endettement extérieur, le déficit des paiements courants n’offrent plus de marges de manœuvre dans un environnement international incertain et pour l’instant défavorable; le recul de l’investissement public (annoncé à -9,1 % en 2023 par les prévisions budgétaires) ne sera pas couvert par une augmentation en relais de l’investissement privé. En effet, ce dernier sera gêné et retardé par les incertitudes pesant sur la situation internationale d’une part, et le climat politique interne d’autre part. Ce dernier est vicié par l’incertitude entretenue par Macky Sall en ce qui concerne sa candidature pour un troisième mandat qui violerait le respect de sa parole et la Constitution du Sénégal.
  3. Tous les espoirs reposent désormais sur l’apport du gaz et du pétrole à l’économie sénégalaise. Cela signifie que le Sénégal en est devenu dépendant avant même le début de son exploitation, lorsque d’autres pays qui sont déjà producteurs reconnaissent l’erreur d’en avoir trop dépendu. Pire, il est faussement présenté comme justifiant une croissance de 10,1% en 2023, et va donc susciter des tensions de demande de partage d’une manne quasi inexistante (51,6 mds en 2023, dont 33,7 mds utilisables)
  4. Le mécontentement populaire ira grandissant, alimenté par la dégradation des conditions de vie des populations et l’euphorie déçue née des annonces du démarrage de l’exploitation du gaz et du pétrole. Il sera de plus en plus exploité par les populismes à l’approche de l’année électorale de 2024. Après avoir créé de faux espoirs, le réveil risque d’être brutal.
  5. Le pouvoir en place est affaibli par sa perte de majorité. Cette dernière est ancienne puisqu’effective depuis les élections législatives de 2017. Elle a toutefois été rendue visible grâce à une large alliance de l’opposition qui a permis en 2022 de contrer les effets pervers d’un scrutin majoritaire à un tour. Il avait en effet permis à la coalition au pouvoir de ravir 76 % des sièges de l’Assemblée nationale avec moins de 50 % des votes exprimés au niveau national. En soi, une perte de majorité ne devrait pas poser de problème dans une démocratie digne de ce nom, le pouvoir en place s’obligeant à rechercher avec l’opposition les compromis souhaités par les électeurs. Mais le problème est créé par le refus de les entendre en excluant toute remise en cause d’un mode de gouvernance habitué à ignorer les propositions et voix de l’opposition

 

Le message envoyé par les électeurs est pourtant fort : pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, un régime au pouvoir n’obtient pas de majorité à l’Assemblée nationale. Macky Sall s’y montre sourd, de nombreux signes annoncent une manifeste volonté d’en découdre : le gouvernement est présenté comme «de combat» ; les résultats des élections législatives à peine connus, le président de la République a remis le Sénégal en campagne électorale avec le vœu de reconquérir des positions perdues et annonce des tournées économiques, des Conseils des ministres décentralisés ; le budget 2023 est annoncé «social» à 45 % comme il le fut en 2018, une année avant l’élection présidentielle de 2019.

Retenons en conclusion que treize mois ne suffiront jamais à redresser l’économie sénégalaise. Les problèmes sociaux iront crescendo avec la hausse des prix, cette dernière étant entretenue par celle du prix de l’énergie et l’offre insuffisante de denrées alimentaires (importées ou produites localement) sur les marchés ; les pénuries de biens alimentaires essentiels ne sont pas à exclure.

La hausse du dollar par rapport à l’Euro, et donc par rapport au franc CFA, alimentera également l’inflation importée. Les contraintes budgétaires empêcheront le respect de certains engagements déjà pris aussi bien en termes de subventions de prix qu’au niveau des avantages salariaux. Enfin, la démarche consistant à réduire d’autorité certains prix par décrets et arrêtés instaurant des prix administrés sera impossible à mettre en œuvre sur toute l’étendue du territoire, excepté au niveau des étals et guichets de quelques rares contrevenants. Ils seront punis dans le cadre de ce qui ressemble à une grande mascarade visant à transformer l’échec de l’État en spéculation de commerçant.

L’incertitude politique sera un facteur aggravant de ce contexte global peu rassurant. Et les voies retenues consistant à appeler le FMI à émettre et distribuer de nouveaux DTS ou à solliciter des dons auprès des pays arabes, seront sans doute contrariées par les épouvantables scandales de détournement de ressources publiques qui semblent se multiplier en cette période pourtant reconnue de crise.

Des solutions existent, mais ne seront possibles qu’après le départ de Macky Sall

  1. La question de la gouvernance est fondamentale. Or treize mois sont notoirement insuffisants pour permettre à Macky Sall de changer de démarche ; la configuration de son nouveau gouvernement en est la première preuve, l’annonce de sa mise en campagne par reprise des Conseils des ministres décentralisés et de ses tournées économiques en est une autre. Les indices qui s’accumulent font apparaître sa volonté de rechercher un troisième mandat en violation de sa parole, de l’esprit et de la lettre d’une Constitution qu’il a lui-même fait modifier par référendum. Sa réforme constitutionnelle visait «à verrouiller» la question du troisième mandat ; il est le premier à vouloir la violer. Les conséquences d’une telle option, si elle se confirme, seront à n’en point douter son départ du pouvoir en 2024 dans un contexte de violences très probables et de radicalisation de la vie politique qui pourraient embraser le Sénégal avant 2024

 

  1. Le Sénégal ne pouvant être une exception mondiale, l’appauvrissement consécutif à une mauvaise gouvernance combiné au recul démocratique produiront les mêmes effets qu’ailleurs en augmentant les risques de choix électoraux populistes.

 

Des réflexes de sauvegarde républicaine pourraient en être la contrepartie. Les deux voies doivent être évitées. Comment ?

 

  1. En veillant à ne pas fermer davantage le jeu démocratique avec le procès Adji Sarr c/ Sonko. Certes ce procès instruit sur plainte d’une citoyenne ne peut être empêché ; mais il sera essentiel de faire le choix de la totale transparence et du verdict raisonnable non prononcé sur ordre de l’Exécutif comme trop souvent lorsque des hommes politiques sont mis en accusation au Sénégal.

 

  1. Organiser le retour dans le jeu politique de ténors de l’opposition qui en avaient été écartés par le recours à des décisions de justice contestées est une bonne manière de revenir sur une partie du recul démocratique organisé par Macky Sall depuis son accession à la magistrature suprême. Cependant, une solution par l’amnistie évoquée en Conseil des ministres ne serait pas la bonne en raison de son caractère général et impersonnel qui viderait les prisons sénégalaises. En revanche, celle de la révision du Code électoral reposant sur la réécriture des articles privant automatiquement tout citoyen de ses droits civiques en cas de condamnation pénale même très légère, rencontrerait le vœu longtemps formulé par l’ensemble de l’opposition, les auditeurs et observateurs internationaux du processus électoral sénégalais. c. En expliquant aux électeurs les risques et les dangers du populisme accompagnant les discours nihilistes anti-institutions

 

 

  1. Après Macky Sall, le Sénégal et sa démocratie devront tirer les leçons des deux précédentes alternances vécues et dévoyées. Elles l’ont été en raison de l’absence d’équilibre entre les institutions que sont la Présidence (plutôt que l’Exécutif), le Parlement et la Justice ; on peut y ajouter une administration devenue politisée à l’excès cessant d’être au service de tous les citoyens. La construction d’un nouvel équilibre institutionnel est la première des nécessités pour éviter un troisième échec de l’alternance qui s’annonce. C’est le renforcement de la démocratie sénégalaise qui apportera les solutions à la mauvaise gouvernance ; le seul changement des femmes et hommes qui gouvernent ne suffit pas, loin s’en faut

 

  1. . La croissance durable de l’économie sénégalaise ne pourra être construite que sur la base de fondamentaux reconstruits et recherchés par un type de programme économique revisité, visant à la fois une croissance durable inclusive, le rééquilibrage des finances publiques, la création d’une marge d’endettement public, la réduction du déficit des paiements extérieurs qui en sont les conditions

 

Un rééquilibrage budgétaire ne pourra être construit que par une gestion véritablement sobre et vertueuse, le combat contre la corruption et les gaspillages (Etat, agences et entreprises du secteur parapublic), l’importance des suites à donner aux rapports des corps de contrôle,

  1. La création d’une capacité d’endettement sera le résultat du réaménagement de la dette, d’un recours élevé au Partenariat Public Privé (PPP) pour le financement des infrastructures sans détournement de l’objectif recherché pour faciliter des choix basés sur le niveau des rétro-commissions, l’abandon des «grands projets» trop coûteux et de pur prestige sans aucune efficacité économique réelle ;
  2. La dépense de la commande publique devra profiter au maximum aux opérateurs économiques nationaux : les grandes entreprises, les PME mais aussi les artisans. Les entreprises de petite taille étant systématiquement privilégiées comme sous-traitants, et les commandes entre elles éclatées pour ne pas les éliminer sous prétexte de capacités de production insuffisantes.
  3. La réduction du déficit des paiements courants passe par le choix organisé des productions locales à créer ou développer aussi bien dans les domaines agricoles qu’industriels. Dans le secteur agricole, plusieurs autosuffisances sont possibles dans le cadre d’une démarche de substitution aux importations. Par des choix forts de politique publique, l’artisanat doit être transformé en semi-manufacture puis en industrie, imitant les modèles d’émergence économique réussis.
  4. Une vraie croissance s’obtenant par «localisation de valeur ajoutée», il sera essentiel d’opter résolument pour une transformation locale des matières premières disponibles localement ou importées, dont les productions pourront être consommées en interne ou exportées ;
  5. Dans le même ordre d’idée, l’augmentation d’une distribution de revenus locaux devra provenir de projets à haute intensité de main d’œuvre tels la lutte contre inondations, la reconstruction du chemin de fer, les travaux d’assainissement, la reprise du projet des vallées fossiles, etc…
  6. Last but not least : la réduction des coûts des facteurs de production, tout particulièrement celui de l’énergie, est indispensable pour faire gagner l’économie globale sénégalaise en productivité.

 

Cela ne sera possible que par la bonne gestion de la ressource nouvelle en hydrocarbures. Il est primordial que le Sénégal ne rate point cette opportunité lorsque la récente décision de sortir les entreprises de la filière du Code des marchés publics et du Code des Obligations de l’Administration annonce une autre voie empruntée. h. Le gaz et le pétrole sont peut-être l’un des derniers espoirs de pouvoir engager un processus d’émergence du Sénégal.

Ils ne doivent surtout pas servir à financer un déficit budgétaire, déjà construit, qu’on rendrait durable par une logique de corruption et de distribution aux agents de l’État ; il est primordial que l’exploitation des hydrocarbures contribue fortement à bâtir une compétitivité de l’économie sénégalaise pour le reste du siècle.

Telles sont quelques options fortes devant permettre une inflexion des trends actuels conduisant le Sénégal vers des impasses, puis, sans aucun doute possible, vers l’explosion. Les gouvernants actuels du Sénégal n’ont toujours pas pris la juste mesure des voies sans issue dans lesquelles ils ont conduit le pays. Ils se montrent incapables de concevoir et de mettre en œuvre des solutions de redressement moral, financier, économique et social durable. Il sera cependant indispensable que les électeurs sénégalais ne se trompent une troisième fois dans le choix de leurs futurs gouvernants à l’orée des trois quarts de siècle qui nous restent avant le 22ème. Selon l’option qu’ils auront retenue, cette période pourrait être celle d’une mise du Sénégal en posture d’émergence ou marquer sa transformation en un «non-État», suivant l’exemple d’autres pays africains ayant déjà franchi ce pas.

Abdoul Mbaye Ancien Premier ministre

Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT)

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