Macky Sall, Une décennie au pouvoir : Les Couacs d’un Magistère

S’il avait réduit son premier mandat de 7 à 5 ans, Macky Sall en serait aujourd’hui à devoir passer la main à son successeur. C’est dire qu’il a eu largement le temps d’imprimer sa marque et de laisser ses empreintes. Toutefois, si le bilan matériel est globalement satisfaisant, l’immatériel l’est beaucoup moins. Entre gros échecs et grandes réussites, le « Vrai Journal » fait l’inventaire des dix premières années de Macky Sall. S Le Vrai Journal

1 Indépendance de la Justice :

Le secteur de la justice est sans conteste celui à propos duquel, la gouvernance du Président Macky Sall est le plus décriée. Dès le début de son magistère, la nature très sélective de la traque aux biens mal acquis jeta le discrédit sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) et plomba cette initiative qui était pourtant présentée comme une « demande sociale ». L’affaire Khalifa Sall dont toutes les étapes de la procédure ont été bouclées en un temps record juste pour acter le rejet de sa candidature à la présidentielle 2019, est la preuve que c’est bien l’Exécutif qui est le « maître des horloges » dans le traitement de certains dossiers. Si bien que l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) n’a pas hésité à dénoncer, à plusieurs reprises, le manque d’indépendance de la magistrature.

2 Politisation de l’administration

Jamais l’Administration sénégalaise n’a été aussi politisée que sous Macky Sall. La carte de l’Apr est le meilleur sésame pour ceux qui ont un plan de carrière et veulent gravir les échelons sans forcément le mériter. Pis, à la tête des sociétés nationales et des agences, le critère de performance n’est plus la qualité du management, mais plutôt l’action sur le terrain politique et les résultats électoraux. Aussi, des cadres des régies financières (Trésor et Impôts et Domaines), de la magistrature, des secteurs de l’aéronautique et portuaire, jusque-là éloignés de la sphère politique, ont investi le créneau et sont promus juste pour cette raison.

3 Emploi des jeunes

Après avoir promis 500 000 emplois durant la campagne électorale de 2012, puis un million lorsqu’il sollicitait un second mandat en 2019, le Président Macky Sall bute toujours sur cette équation. Au point de faire un aveu d’échec suite aux événements de mars 2021. « Il faut engager dans les meilleurs délais une réorientation des allocations budgétaires pour améliorer de façon substantielle et urgente les réponses aux besoins des jeunes en termes de formation, d’emploi, de financement de projets et de soutien à l’entrepreneuriat et au secteur informel », avait-il enjoint à son gouvernement. D’où le lancement du programme « kheyoundawgni » qui doit déboucher sur 91 000 recrutements et 350 300 autoemplois. Et même s’il est en cours, on est encore bien loin du million d’emplois promis en 2012

4 Mal gouvernance

« Une gouvernance sobre et vertueuse ». Voilà ce qu’avait promis le candidat Macky Sallavec son programme « YonouYokouté » en 2012. Dire que c’est lui-même qui dénoncera publiquement en octobre 2019, lors d’un forum consacré à la modernisation de l’Administration, l’enveloppe on ne peut plus excessive de …307 milliards consacrés à l’achat et à l’entretien de véhicules de 2012 à 2019. Et de prendre dans la foulée des mesures à rationaliser l’acquisition de véhicules et à plafonner les dépenses liées à l’usage des téléphones portables estimées entre 16 et 17 milliards par an. Sa gouvernance n’est tout à fait « vertueuse » non plus si on en juge par les rapports produits par les organes de contrôle et qui ne servent quasiment à rien.

5 Recul Démocratique

Là aussi, c’est au Président Macky Sall himself qu’il faut emprunter l’expression qui témoigne du recul démocratique sous son magistère. « Je vais réduire l’opposition à sa plus simple expression », disaitil en marge d’un conseil des ministres décentralisé à Kaffrine. Et tout porte qu’il en est ainsi depuis qu’il est aux manettes. A la faveur de dossiers politicojudiciaires, Karim Wade et Khalifa Sall ont été exclus de la course à la présidentielle, alors qu’ils étaient ses deux rivaux les plus sérieux. De même que le parrainage adopté de manière non consensuelle a aussi permis d’éliminer plusieurs candidats en 2019. Prévu aux législatives du 31 juillet prochain en dépit de son rejet par l’opposition et la société civile, appuyées par la Cour de justice de la Cdeao qui avait requis son retrait pur et simple dans un délai de six mois, la question va encore polluer l’atmosphère pour ces élections. Mais Macky Sall n’en a cure, pourvu qu’il profite à sa majorité

6 Education

L’année académique en cours vient d’être sauvée in extremis après trois mois d’un long bras de fer entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants. Et pour cause, le non-respect par l’Etat d’accords signés en 2014 et en 2018 et qui étaient pourtant jugés à l’époque « réalistes et réalisables » de la bouche même de Serigne Mbaye Thiam, alors ministre de l’Education nationale. Il a fallu une enveloppe de près de 100 milliards pour la levée du mot d’ordre de grève, même s’il est certain que les potages feront les frais de cette longue perturbation. En vérité, l’année n’est pas « sauvée » ; elle sera plutôt escamotée. Alors que l’école publique reste en sursis

7 Patriotisme économique

La majorité des acteurs économiques s’en plaignent, en particulier les capitaines d’industrie. La quasi-totalité des grands chantiers sont captés par les entreprises étrangères, qu’elles soient françaises, chinoises, marocaines ou turques. Là où, les entreprises détenues par les nationaux se contentent de sous-traitance, si elles ne sont pas carrément hors circuit. Un problème lié certes à un déficit d’expertise, à l’insuffisance de leur surface financière et, par ricochet, à la difficulté à respecter les délais. N’empêche qu’avec une volonté politique de promouvoir les entreprises nationales, toutes ces limites auraient pu être surmontées comme cela se fait partout où les gouvernements ont à cœur de faire émerger des champions nationaux. Un effort de mutualisation est engagé avec le Club des investisseurs sénégalais et il revient à présent à l’Etat de donner un coup de pouce. Et de ce point de vue, le régime de Macky Sall a encore beaucoup à faire.

8 Secteur des Transports

En décembre 2010, l’ensemble du secteur des transports était à l’arrêt pendant trois jours. Du jamais vu dans ce secteur ! Mais c’était à la mesure des difficultés qu’éprouvent chauffeurs et transporteurs à l’anarchie qui prévaut dans le secteur, de la concurrence déloyale et des tracasseries policières. Autant de problèmes qui ont été mis sur la table, mais qui tardent à être résolus. Aussi, les syndicats des transports n’excluent-ils pas de déterrer la hache de guerre. Preuve que le gouvernement s’est juste donné du répit, mais l’équation du transport demeure.

9 – Litiges fonciers

Le Président Macky Sall l’a avoué : 90 % des conflits soumis à son arbitrage ont trait au foncier. Preuve que sa commission de réforme foncière pilotée dans un premier par Me Doudou Ndoye, démissionnaire, puis par feu Moustapha Sourang, n’a pas permis de régler la question. Récemment, c’est les jeunes lébous des villages traditionnels de Ngor, Ouakam et Yoff qui étaient vent debout pour dénoncer la gestion des terres de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Les prédateurs fonciers ne se fixent aucune limite et l’Etat semble sinon complice, du moins totalement impuissant

10 Politique industrielle

Si la réalisation d’infrastructures est la marque de fabrique du régime de Macky Sall, la réalité est tout autre en matière de politique industrielle. Rien ou presque en la matière. D’où la difficulté en matière d’emplois, en particulier pour les jeunes. Les douanes sénégalaises battent régulièrement tous les records de recettes. Ce qui témoigne de notre dépendance aux produits importés, faute d’unités de transformation. C’est assurément le talon d’Achille de la gouvernance de Macky Sall après 10 ans de magistère.

Le Vrai Journal

Mamadou Nancy Fall
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