Macky Sall, l’arroseur arrosé

Que signifie «intimider» ? Quels actes répréhensibles cachent-ils pour mériter la perpétuité ? Les douze morts de mars 2021 sont loin des préoccupations du chef de l’État.

Macky est plein de ressources. Un genou à terre en mars, il ressuscite en mai. Plein d’allant, il n’a peur de rien, à l’opposé de ses ministres. Il redécoupe Dakar quelques mois avant les élections municipales, il s’offre des tournées régionales populaires le sourire aux lèvres, il envoie promener la Cour de Justice communautaire sur le parrainage. Il reprend la main, il redevient le stratège cynique qu’il est depuis son accession au pouvoir. Les douze morts de mars 2021 sont loin de ses préoccupations !

C’est dans ce contexte de reconquête du pouvoir que Macky Sall présente un projet de loi sur le terrorisme. A priori, il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! Quoi de plus normal, en ces périodes troubles dans le Sahel, de lutter contre le terrorisme. Une personne sur ma page Facebook me rétorque qu’il s’agirait en l’espèce d’une simple transposition d’une loi internationale. Seulement, à y regarder de plus près, cette loi ne vise aucunement les radicalités religieuses ou les séparatistes casamançais. La loi parrainage en soi n’était pas anti-démocratique, c’est la manière dont on l’utilise qui la fait devenir anti-démocratique. Cette loi en question, peut-être, dans son contenu, n’est pas anti-démocratique, mais la manière dont Macky Sall l’utilisera risque d’abîmer encore plus la démocratie sénégalaise.

À la lecture de l’article 279-1, ce sont bien les leaders de l’opposition qui sont dans le viseur de Macky Sall, en particu­lier Ousmane Sonko. Dès lors, si le juge reconnaît une instrumentalisation de la population pour troubler gravement à l’ordre public ou au fonctionnement normal des institutions nationales ou internationales, et pour contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque par la terreur, les carottes sont cuites pour vous, c’est la réclusion criminelle à perpétuité. Bref le goulag !

Je souhaiterais vous soumettre mon étonnement sur la rédaction brouillonne de l’article 279-1 au cœur du projet de loi très controversé. Que signifie en droit pénal «intimider» ? Quels actes répréhensibles cachent-ils pour mériter la réclusion à perpétuité ? Je regarde le dictionnaire pour mieux comprendre le sens des mots de cet article. Intimider signifie grosso modo faire peur à quelqu’un.

Autrement dit, cette loi s’en prendrait aux activistes et leaders d’opposition qui instrumentaliseraient leurs adeptes. C’est quand même osé d’un point de vue strictement juridique. Tout finirait par tomber sous l’effet de cette loi ! Cela ne donne pas envie de battre le pavé ! Avec la notion d’ordre public en sus, concept attrape-tout en droit, vous n’avez plus qu’à bien vous tenir jusqu’en 2024, voire après. Sinon gare à vous !

Faisons de la fiction politique afin que vous compreniez le caractère anti-démocratique de ce projet de loi : imaginez cette loi en application depuis des lustres. Aurait-elle permis mai 68 et le 23 juin ? Non, assurément non ! Tous les leaders de ces mouvements historiques dans la vie politique sénégalaise croupiraient aujourd’hui en prison avec l’étiquette de terroriste. Ils seraient des traites à leur patrie, des parias ! Et Macky Sall n’aurait jamais pu accéder à la présidence ! Si cette loi était en vigueur le 23 juin 2011, le président sénégalais serait lui-même un terroriste. Voilà la vérité sur cette loi, ni plus ni moins une honte pour les acquis démocratiques acquis lors de révoltes.

En aucun cas, je n’approuve les saccages, mais il y en a eu en mai 68 ; d’ailleurs déjà contre les intérêts français, il y en a eu le 23 juin 2011. Macky Sall, à cette époque, a beaucoup intimidé, pour reprendre cet étrange mot du projet de loi sur le terrorisme. Pour les besoins d’un documentaire, j’ai interrogé des protagonistes de mai 68 et du 23 juin. Ils sont unanimes, on doit beaucoup à ces deux révoltes. Ils nous apprennent aussi que les pouvoirs de Senghor et de Wade qui vacillaient, utilisaient les mêmes ficelles pour discréditer les opposants : les pouvoirs en place les assimilaient à des terroristes.

Sur les ondes de radio Sud FM, j’ai interpellé l’ambassadeur de France. À supposer qu’il s’agisse d’une transposition d’une loi internationale, c’est assez curieux de constater comment ce projet de loi tombe à pic et s’adapte si bien au contexte politique sénégalais d’aujourd’hui ! Non seulement le projet de loi s’en prend aux «intimidations» des opposants, et protège les intérêts de la France qui ont été gravement menacés par les jeunes manifestants.

Si l’institution du conseiller diplomatique français à la présidence sénégalaise a disparu, la France continue pour autant d’envoyer des magistrats du Conseil d’État ou des professeurs de la filière bordelaise en vue de rédiger des lois. Projet de loi d’origine internationale ou pas, la France a été secouée en mars 2021. Elle n’est pas restée inactive dans la bataille de Dakar. Ce pays ne saurait perdre Dakar et Abidjan, cela signifierait la fin de la présence française en Afrique. Alors, il est évident que la France est à la manœuvre et que cette loi terroriste a fait l’objet d’une lecture très attentive de la part des services de l’ambassade française, voire au plus haut sommet de l’État. Ne soyons pas naïfs !

Macky Sall intimide aujourd’hui avec la force légitime qu’il a en sa qualité de président. Autrefois, dans l’opposition, il intimidait aussi, mais sans la force légitime. Macky Sall, avec une lecture «rétroactive» de ce projet de loi, était, en juin 2011, un terroriste ! L’arroseur arrosé, cela finit toujours par revenir !

Emmanuel Desfourneaux

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