Lorsque manger devient difficile Par Mary Teuw Niane

Cela a commencé par la réduction des « trois normaux », les trois tasses de thé offerts après le déjeuner, à seulement deux tasses de thé.

Ensuite vint la suppression du petit déjeuner. Les enfants dans les classes ont beaucoup souffert de cette restriction qui affaiblit considérablement leur concentration et leurs facultés mentales en fin de journée.

L’instauration de la journée continue pour les élèves a décalé dans beaucoup de familles le déjeuner communautaire. En effet beaucoup de familles n’avaient pas la capacité de partager le déjeuner en deux bols consistants, l’un pour la partie de la famille restée à la maison et l’autre pour les élèves. Il fallait attendre la famille rassemblée pour servir le bol de repas.

Petit à petit la hausse des coûts de la vie, la cherté croissante des aliments ont poussé les familles à décaler l’heure du service du déjeuner. De douze heures, il est passé à treize heures, puis à quinze heures, l’heure de déjeuner des pêcheurs.

Maintenant l’heure de déjeuner se situe entre quinze heures et seize heures pour des dizaines de milliers de familles.

Ce choix s’impose depuis quelques années à d’innombrables familles qui n’ont plus les moyens de servir le petit déjeuner et le dîner. Elles concentrent tous leurs efforts à l’unique possibilité d’offrir un seul repas à leurs enfants et au reste de leurs membres.

Beaucoup de familles s’en tiennent seulement à cuisiner une fois par deux jours dans le souci de faire face aux dépenses de plus en plus hors de leur portée.

Le soir donne lieu à l’essor, sans précédent, de la restauration de la pauvreté, du « fast good local », fait de foondé, de caakri, de ndammbé, de beignets, de fataya, etc. Le minimum alimentaire accessible à chacun pour pouvoir tromper la faim, passer la nuit et attendre patiemment le déjeuner tardif du lendemain.

Cette économie de la pauvreté chronique fait vivre beaucoup de familles que supportent de braves femmes. Elles tirent le financement de leurs restaurants sommaires des tontines, des prêts offerts par les établissements de la microfinance ou d’opportunités plus consistantes.

Cette économie florissante reçut un coup de massue lorsque le Gouvernement, sans une réflexion approfondie, imposa le couvre-feu lors de la pandémie du COVID-19. Il faillit provoquer les révoltes généralisées de la faim.

Notre pays souffre d’un problème chronique. L’incapacité, depuis les indépendances, de ses dirigeants politiques à assurer la nourriture de sa population à partir de sa production alimentaire nationale.

Ainsi le Sénégal est-il un des pays de la sous-région où le manger coûte le plus cher, où l’alimentation occupe une part trop importante du budget familial.

La tâche principale de tout pouvoir à venir devra être de mettre un terme à cette situation insupportable et inadmissible.

L’être humain n’a pas vocation de consacrer une bonne partie de son temps à la recherche de sa pitance. Il y a des activités plus valorisantes.

Si les pouvoirs des indépendances ont enfoncé de plus en plus les populations dans la routine animale quotidienne, les pouvoirs du futur auront pour mission de libérer les Sénégalaises et les Sénégalais du stress du manger pour s’adonner à des activités plus valorisantes comme l’éducation, la formation, la pratique religieuse, la science, la technologie, l’innovation, la culture, le sport, la marche, le tourisme, etc.

La lutte contre la pauvreté n‘est pas une ambition cependant sortir la population de la pauvreté est un devoir impératif et urgent au Sénégal.

Dakar, mercredi 9 février 2023

Saphiétou Mbengue
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