La difficulté de la prise en charge de la santé mentale en Afrique de l’Ouest (Marie Faucon)

Le domaine de la santé publique est largement traité en Afrique, en témoigne la multitude de rapports académiques portant sur le Sida/VIH, le choléra, le virus Ébola et plus récemment la Covid-19. Pourtant, force est de constater que les recherches se sont concentrées en priorité sur des maladies physiques, délaissant les troubles psychiatriques et mentaux.

En septembre 2015, la promotion de la santé mentale, c’est-à-dire « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté »,  a été inscrit dans les objectifs de développement durable de l’ONU (Sustainable Development Goals). Cela illustre l’importance donnée à la prise en charge de la santé mentale comme vecteur de développement et contraste donc avec le peu de considération que ce sujet a pu recevoir au cours des dernières années en Afrique.

De fait, selon une étude de la santé mentale en Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2011— la dernière étude d’envergure en date sur le sujet — les problèmes neuropsychiatriques sont à l’origine de 18% de la charge globale de morbidité en Afrique de l’Ouest. Il est donc nécessaire d’inscrire la reconnaissance des troubles mentaux comme handicap légitime, à la fois dans les mentalités et dans le cadre juridictionnel.

État des lieux de la prise en charge des maladies psychiatriques

La problématique est notoirement difficile à faire entrer dans le débat public, à en voir les statistiques sur le budget alloué à la santé mentale par les États africains : la plupart réserve moins de 1% de leur budget à la santé mentale. Au Bénin, en 2004, l’État a dépensé 0,06% du budget au domaine de la santé, dont moins de 1% à la prise en charge des troubles psychiatriques et cognitifs.

Le constat est le même en ce qui concerne le système de prise en charge. Un personnel médical formé à la psychiatrie, des infrastructures adaptées, des médicaments accessibles et peu couteux sont tout autant de freins à surmonter. La question des infrastructures révèle des disparités entre les différentes régions des pays africains. S’il existe des hôpitaux psychiatriques, la plupart datant de l’époque coloniale, ils sont généralement situés dans la capitale économique ou dans la plus grande ville.

Au Ghana, il existe trois hôpitaux psychiatriques publics, dont deux à Accra et un non loin de la capitale. Les personnes atteintes de troubles mentaux habitant des zones plus reculées sont donc dans l’impossibilité de suivre un traitement sur le long terme, voire même de se déplacer jusqu’aux hôpitaux capables de procurer des soins adéquats.

De plus, les infrastructures sont « hospitalo-centrées », dans la mesure où les services de psychiatrie se situent dans les hôpitaux généraux. Cela rend plus difficile le suivi des patients et encourage des opérations lourdes et uniques plutôt qu’un traitement sur le long terme. La situation est d’autant plus difficile dans des pays en conflits ou sortant de conflits : en Sierra Leone, seulement 250 lits d’hôpitaux sont prévus pour accueillir des personnes atteintes de troubles mentaux dans l’ensemble du pays.

En raison de ce manque de visibilité de l’enjeu psychiatrique en Afrique, le personnel médical dans ce domaine est restreint. D’une part, l’exode médical est une réalité en Afrique : certains médecins très formés préfèrent pratiquer dans les pays occidentaux. De plus, le ratio du nombre de psychiatres comparé au reste de la population est largement déséquilibré : au Nigeria, l’OMS estime  que le pays ne compte que 130 psychiatres pour 174 millions de personnes, alors que le nombre de personnes souffrant de maladies mentales se situerait entre 40 et 60 millions.

Enfin, les médicaments nécessaires au traitement des troubles mentaux sont très couteux et parfois peu accessibles. Un traitement psychiatrique coûte en moyenne entre 50.000 et 150.000 francs CFA, ce qui réduit considérablement le nombre de personnes pouvant assumer un tel budget sur le long terme.

Isolement des personnes affectées par une maladie mentale et poids des traditions

Du côté des populations, il existe parfois une ostracisation des malades mentaux par leur communauté et famille. On a souvent parlé d’un tabou pour ce sujet, lié au poids de la tradition dans certaines zones. Les personnes atteintes de troubles psychiques seraient habitées par des « esprits malveillants », qu’il conviendrait de chasser.

Par conséquent, comme l’indique le psychiatre français Philippe Raynaud de Prigny, « les personnes souffrant de troubles psychiques vivent très souvent une condition d’enchaînement, d’enfermement sans contrôle, de maltraitance et d’abus divers ».

La médecine traditionnelle est largement plus utilisée que la médecine psychiatrique dans les zones ayant le moins accès à des soins encadrés et étant plus attachées à la tradition. En effet, il a été prouvé que la plupart des malades mentaux recherchant une aide auprès d’un médecin psychiatrique étaient d’abord passés par la médecine traditionnelle, sans succès.

S’il est effectivement difficile de parler librement de santé mentale et de troubles psychiques dans l’espace public, l’argument de la tradition est à prendre avec des pincettes : d’une part, dans plusieurs pays, les médecines traditionnelles et occidentales ne sont pas en compétition mais tendent à s’accompagner l’une et l’autre pour fournir des soins adaptés. De plus, la situation en termes de croyances sur les maladies psychiques est diverse et dépend de facteurs géographiques, générationnels, socio-économiques etc.

Des initiatives qui améliorent l’accès aux soins pour les personnes atteintes de maladies mentales et l’offre sanitaire

Face à un état des lieux pessimiste vis-à-vis de la situation de la prise en charge de la santé mentale en Afrique de l’Ouest, il est nécessaire de rappeler que de nombreuses initiatives ont été créées pour pallier les faiblesses du système hospitalier.

En effet, nombre d’ONG et d’associations se sont emparées de la question des soins prodigués aux personnes affectées par un trouble psychique. La plus célèbre grâce à son activisme en Afrique de l’Ouest est l’ONG Saint-Camille-de-Lellis, fondée en 1994 par le Béninois Grégoire Ahongbonon.

Avec l’aide de l’association Santé mentale en Afrique de l’Ouest (SMAO), l’organisation a créé un véritable réseau de dispensaires couvrant des zones rurales et reculées, ainsi que des centres d’accueil pouvant héberger les malades. L’ONG refuse de recourir à l’isolement et la contention, et demande l’implication des familles pour le soin des patients.

A l’image de Saint-Camille, nous avons donc des organisations qui se mettent en place pour dispenser des soins psychiatriques à coût moindre et couvrir des zones géographiques s’étalant sur tout le pays. Le partage d’informations est également un enjeu majeur pour la prise en compte de la santé mentale en Afrique de l’Ouest. Pour ces raisons, des associations ainsi que des individus, à travers les réseaux sociaux, se sont mobilisés pour briser le tabou qui entoure la santé mentale.

Au Sénégal, la jeune génération a pris d’assaut Twitter pour évoquer le thème de la dépression, à travers un mot d’ordre commun : #cilonek (en wolof, « comment vas-tu ? »). L’hashtag a été largement utilisé par des jeunes racontant des épisodes de dépression, ce qui a contribué à non seulement développer un espace de dialogue libre, mais aussi entamer une réflexion sur la visibilité de la santé mentale chez les jeunes. Enfin, il est nécessaire de souligner des initiatives étatiques, comme le Ghana qui a adopté la loi 846 sur la santé mentale en 2012.

Les ONG ont ainsi souvent supplanté le manque d’infrastructures mises en place par l’État. Ce dernier, en allouant plus de budget et d’attention aux questions de santé mentale, pourrait accompagner ces ONG dans leurs actions, puisqu’elles bénéficient d’une bonne connaissance du terrain, d’un lien personnel avec les patients et d’une implantation locale.

Les dispensaires et centres psychiatriques constituent une bonne alternative à la prise en charge des troubles psychiques car les hôpitaux et cliniques privées ne permettent pas toujours un accès égal aux soins. Il faut un meilleur cadre juridique et institutionnel à travers la reconnaissance de la santé mentale comme un défi de développement, au même titre que les maladies physiques. Grâce à des politiques publiques adaptées aux réalités ouest-africaines, le soin des malades psychiques et psychiatriques sera facilité et mieux compris au sein des communautés.

Dans l’optique d’améliorer le fonctionnement des structures de santé, WATHI propose cinq recommandations consignées dans un document visant à orienter l’action collective des citoyens et des décideurs, le Mataki. Le think tank WATHI appelle notamment à approfondir la formation de tous les professionnels de santé sur la compréhension de la santé mentale dans le cadre d’une politique préventive de lutte contre les maladies. Placer la question du « bien-être » au centre du débat sur la santé publique permettrait également d’encourager les décideurs à promouvoir l’accessibilité aux soins et aux traitements pour maladies neuropsychiatriques.

 

Marie Faucon est étudiante à Sciences Po Lille en France. Elle est particulièrement intéressée par les enjeux liés aux migrations, aux conflits internationaux et au terrorisme. Elle effectue un stage au sein de WATHI.

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