BBC- Pourquoi il est si difficile de quitter le pouvoir en Afrique ?

Le président Macky Sall a réitéré lors de l’ouverture du dialogue national au Sénégal son intention de quitter le pouvoir au terme de son mandat le 2 avril. Elu en 2012 pour un mandat de sept ans et réélu en 2019 pour cinq ans, son départ du pouvoir à la date prévue par la Constitution serait une belle éclaircie démocratique dans une région où les transitions militaires qui perdurent après les coups d’Etat et les stratégies de pérennisation de pouvoirs civils en place sont légion.

« L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions », lançait l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama lors d’une visite officielle au Ghana, un pays de l’Afrique de l’Ouest, le 11 juillet 2009. Il prononçait ce discours à une période où le Ghana venait de connaître un changement pacifique à sa tête à travers une élection paisible.

Aujourd’hui, cet appel de Obama est encore d’actualité, surtout dans les pays où des dirigeants s’imposent à la tête des pays, avec trois, quatre voire cinq mandats au détriment des instruments et mécanismes mis en place par les organisations internationales et africaines pour régler la question sur le nombre de mandats présidentiels.

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait tenté de résoudre ce problème en créant, lors de son sommet des chefs d’Etat à Dakar (Sénégal) en décembre 2001, un protocole sur la bonne gouvernance et la démocratie.

Ce protocole est additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité qui existait déjà. Le protocole additionnel a pour enjeu le développement de l’Etat de droit, la consolidation de la démocratie et l’adoption de principes communs de bonne gouvernance dans l’espace CEDEAO. Il y est également mentionné que le mandat présidentiel doit être limité à deux.

Mais dans certains pays, notamment de la CEDEAO, on note des présidents qui font plus de deux mandats, ceci contre la volonté de leurs peuples. Pour ce faire, la constitution subit des modifications. On peut citer l’exemple de la Côte d’Ivoire, du Togo, et de la Guinée, pays dans lesquels la modification de la constitution a créé des manifestations violentes avec des morts, des blessés et des emprisonnements.

« Ces situations pouvaient être évitées si chacun de ces chefs d’Etat avait accepté de partir après ses deux mandats », souligne Nathaniel Olympio, président du Centre Kékéli – Cercle d’études stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest.

Alassane Ouattara, 3e mandat à la tête de la Côte d’Ivoire

Alassane Dramane Ouattara, le président de la République de Côte d’Ivoire, a été réélu avec un score de 94,27% en octobre 2020 pour un troisième mandat qui prend fin en 2025. Avant ce scrutin, en 2017, il avait promis aux Ivoiriens qu’il ne se représentera pas pour un autre mandat, après les deux qui arrivaient à terme en 2020. Le décès de son dauphin, choisi pour représenter son parti a changé le cours des événements. Il a pris la décision de se présenter, un « véritable sacrifice » personnel, selon lui.

Cette volonté de briguer un mandat de plus a provoqué des violences meurtrières en Côte d’Ivoire, l’opposition ayant appelé au boycott de l’élection et à la désobéissance civile parce que, selon elle, le troisième mandat du président Ouattara est « anticonstitutionnel ». La constitution de la Côte d’Ivoire a limité le mandat présidentiel à deux. En 2020, une modification a porté sur 20 articles sur les 183 que contient la Constitution de la Côte d’Ivoire. Cette constitution, dans sa forme originelle, dispose dans son article 57 que « le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois ».

Mais après la modification, les partisans d’Alassane Ouattara ont indiqué que le compteur doit être remis à zéro pour le président. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire a validé la candidature de Ouattara en 2020. Les manifestations qui ont dégénéré à certains endroits du pays ont fait beaucoup de victimes. Selon les chiffres rendus publics à l’époque par le procureur de la République, Richard Adou, il y avait eu 85 morts et plus de 500 blessés.

19 ans de présidence pour Faure Gnassingbé au Togo

L’actuel chef de l’Etat togolais, Faure Gnassingbé, est arrivé au pouvoir à la suite de la mort de son père Gnassingbé Eyadéma, le 5 février 2005. Cette succession « anticonstitutionnelle » comme le dénonçait l’opposition à l’époque a conduit des vagues de contestation, des manifestations qui avaient plus de 500 morts selon les Nations Unies qui ont commandité une enquête sur les violences survenues dans le pays.

Après être réélu lors de deux présidentielles (2010 et 2015) contestées par l’opposition, Faure Gnassingbé a fait face à de grandes manifestations contre son pouvoir qui ont été déclenchées en août 2017. Ces manifestations qui se sont poursuivies jusqu’en 2018 avec 14 partis de l’opposition qui se sont coalisés, n’ont pas réussi à obtenir le retour à la constitution dans sa forme originelle de 1992.

Après les élections de décembre 2018 auxquelles l’opposition a refusé de participer, l’Assemblée nationale a modifié une fois encore la constitution, notamment l’article relatif à l’élection du président de la République.

Le nouveau texte indique que « le président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois ». Après avoir précisé que « cette disposition ne peut être modifiée par voie référendaire », le texte souligne que les mandats déjà réalisés et celui en cours à la date d’entrée en vigueur (2019) de la nouvelle loi constitutionnelle « ne sont pas pris en compte ».

En clair, Faure Gnassingbé peut encore se présenter en 2025, selon la nouvelle constitution. Le pays est actuellement secoué par une crise politique où l’opposition appelle la CEDEAO, d’autres organisations africaines et internationales à intervenir sur le cas Togo.

Le Togo se prépare acuellement pour les élections législatives et régionales qui vont se tenir en avril. L’année prochaine se tiendra l’élection présidentielle. La constitution, dans son état actuel, permet à Faure Gnassingbé de briguer un cinquième mandat. Mais ses partisans parlent plutôt du second mandat, puisque le compteur a été remis à zéro depuis la modification de constitution en 2019.

Blaise Compaoré, 27 ans à la tête du Burkina-Faso

Blaise Compaoré a démissionné de la tête du Burkina Faso après 27 ans de pouvoir, à la suite d’un soulèvement populaire les 30 et 31 octobre 2014. Ce soulèvement populaire était consécutif à la volonté du président Compaoré de modifier la constitution du pays pour se représenter à l’élection présidentielle et ainsi rester au pouvoir. Il a été déjà élu et réélu en 1991, 1998, 2005 et 2010. En 2014, Blaise Compaoré a voulu modifier l’article 37 de la constitution qui fixe depuis 2000, le mandat présidentiel d’une durée de 5 ans à deux mandats. Une situation contre laquelle le peuple burkinabè s’est soulevé.

Le 30 octobre 2014 où devrait se tenir le vote à l’Assemblée nationale, le parlement a été pris d’assaut par une foule et le général Honoré Traoré annonce la dissolution de l’Assemblée, un gouvernement de transition, et prend les responsabilités de chef de l’État. Le lendemain, Blaise Compaoré quitte la présidence. Ainsi prenait fin son règne sur le Burkina Faso.

Un troisième mandat écourté pour Alpha Condé

La Guinée est aujourd’hui dirigée par une junte après le coup d’Etat qui a renversé le président Alpha Condé le 5 septembre 2021. Ce dernier, malgré la protestation de l’opposition, a modifié la constitution de son pays pour se présenter pour un troisième mandat.

Les manifestations contre le troisième mandat d’Alpha Conde ont été réprimées avec des morts et des blessés. C’était dans la liesse populaire que les populations avaient accueilli le coup d’Etat fait par un commando des forces spéciales de l’armée guinéenne dirigé par le Colonel Mamadi Doumbouya, actuellement au pouvoir.

En dehors de l’Afrique de l’Ouest, d’autres parties du continent, notamment l’Afrique Centrale, vivent cette situation où des dirigeants font plusieurs décennies au pouvoir.

C’est le cas du Cameroun où Paul Biya, 90 ans, a fêté ses 41 ans au pouvoir l’année dernière, de Yuweri Mussévéni, 80 ans, qui totalise 38 ans à la tête de l’Ouganda. Egalement au Congo, Dénis Sassou N’Guesso, 81 ans, au pouvoir depuis 1997. Le cas aussi de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 82 ans, au pouvoir depuis 1979 en Guinée Equatoriale.

Ce long règne à la tête des Etats amène parfois des soulèvements populaires sources d’instabilité souvent exploitée par les militaires pour prendre le pouvoir.

Dans de nombreux cas, ces militaires indiquent qu’ils prennent le pouvoir pour une période de transition avant l’organisation d’élections démocratiques pour l’élection des nouveaux dirigeants du pays. Force est de constater que la transition dure souvent plus longtemps que prévu.

Pourquoi est-il si difficile de quitter le pouvoir ?

Les expériences vécues par les peuples en Afrique de l’Ouest et dans d’autres parties du continent ont montré une réticence des dirigeants à quitter le pouvoir à la fin de leur mandat.

« Cette pratique de s’accrocher au pouvoir est le fruit de l’histoire récente, dans les pays francophones particulièrement. Concentré entre les mains du chef de l’Etat, le pouvoir est exercé sans limite et sans reddition de compte, avec tous les excès qui en découlent. La perpétuation de cette puissance absolue devient une obsession pour les présidents », indique M. Olympio.

Cette pratique qui a engendré les coups d’Etat dans les années 60, selon lui, a connu une évolution. « D’autres formes de coups d’Etat sont apparues. Essentiellement la combinaison de la manipulation de la Constitution, pour contourner la limitation de mandats, et de la fraude électorale massive, pour garantir la victoire », dit-il.

Et d’ajouter : « Rien qu’en Afrique de l’Ouest, Faure Gnassingbé, Mamadou Tandja, Blaise Compaoré, Alpha Condé, Alassane Ouattara, et même Abdoulaye Wade, Olusegun Obasanjo ont tous succombé au coup d’Etat constitutionnel. Paradoxalement, la CEDEAO qui lutte pour la limitation des mandats à deux, a toujours apporté sa caution à ces dérives des chefs d’Etat ».

Il note que le phénomène se passe en Afrique centrale aussi. « Tout cela a créé un état d’esprit où et des dirigeants trouvent normal de passer plus de 40 ans au pouvoir et parfois avec une succession dynastique. Aujourd’hui, cette pratique est ancrée dans la conscience de ces dirigeants ».

Comment éviter ces situations ?

Dans certains pays, on note toujours l’existence du parti-Etat, cette forme de régime qui prédominait avant l’avènement de la démocratie. Et pour éviter ces situations dans les pays, il faut, selon l’expert en géopolitique, aider ces présidents à quitter le pouvoir en mettant en place des institutions solides dont les prérogatives sont clairement délimitées, en s’appuyant sur une Constitution rigoureuse.

Cela passe par la fidélité de l’institution militaire à la République et l’indépendance totale du pouvoir judiciaire. Nathaniel Olympio préconise aussi que « la veille citoyenne soit permanente ». « Si Abdoulaye Wade, Olusegun Obasanjo et Macky Sall n’ont pas réussi à faire un troisième mandat, c’est grâce à la vigilance des citoyens », souligne-t-il.

Nathaniel Olympio lance également un appel aux organisations sous-régionales qui doivent être fortes afin de veiller à ce que les « dirigeants ne sortent pas de leurs prérogatives institutionnelles en usant de la force publique pour enfreindre les règles communautaires et nationales dans le but de s’imposer au peuple. Cela exige que ces organisations construisent leur crédibilité ».

Et de conclure : « Toutefois, il faut une grande vigilance de la part du peuple pour que le coup d’Etat qui suscite une liesse populaire, parce qu’il met un terme à une souffrance réelle, ne devienne une opportunité pour les auteurs de confisquer le pouvoir. Cette vigilance doit être aussi celle des organisations de la sous-région et du continent, pour accompagner le peuple. En aucun cas, l’action de coercition des organisations sur les régimes de transitions ne doit devenir une autre souffrance pour la population ».

S   www.bbc.com

Momar Diack SECK
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