A propos d’Auchan

OPINION – « J’ai suivi avec intérêt les échanges avec le Représentant de l’UNACOIS JAPPOO, lors de l’émission JAKAARLO BI du vendredi 29 mai 2018. Le sujet abordé comme les interventions ont attiré mon attention et faute d’avoir pu y participer, de manière interactive, il me plaît de faire part de mon opinion sur l’invasion par la société AUCHAN de notre espace marchand d’une part et d’autre part de poser la question de notre relation avec l’économie capitaliste dans le contexte de la mondialisation.
D’emblée, sachez que je suis nationaliste, donc réfractaire à l’accaparement de notre tissu économique !
Toutefois, ce sentiment doit s’accorder avec une réalité cruelle : les sénégalais ont échoué avec l’entreprenariat et AUCHAN n’en est qu’un exemple parmi des milliers.
Absence d’une offre locale
Si la classe moyenne (cible privilégiée de cette entreprise) a pris d’assaut les boutiques AUCHAN, c’est parce qu’il n’existait pas une offre locale (nationale) satisfaisante en tout point de vue : prix, diversité, hygiène, organisation, etc.) ; les modèles préexistants (CASINO, CITYDIA, etc.) ayant toujours été perçus comme des lieux de prédilection de la petite bourgeoisie.
A cela s’ajoute le fait que nos marchés traditionnels sont asphyxiés (disons exsangues) par les pratiques prédatrices des collectivités territoriales qui n’y voient que des sources de revenus pour financer leur clientélisme politicien. Les communes n’ont pas su investir pour moderniser nos installations marchandes, à Dakar comme dans le reste du territoire national ;
Faillite du patronat sénégalais
Cette faillite s’illustre à plusieurs niveaux :
Taux élevé de morbidité de l’entreprise après la disparition du fondateur : Ndiouga Kébé, Djily Mbaye comme Ben Bass, sans oublier les Dame Ndiaye et autres, sont des cas patents de la difficulté des successeurs à faire prospérer le legs. En disparaissant en mars 1984, Ndiouga Kébé laissait un héritage estimé à 54 milliards FCFA. Quel son poids aujourd’hui dans notre économie ? Cette question est également valable pour Djily Mbaye ou Dame Ndiaye. Quel est le sort actuel des entreprises de Ben Bass ? De manière globale et en revisitant l’histoire économique de notre pays, quelle est la seule entreprise qui vit encore après la mort de son fondateur (CCBM semble être l’exception qui confirme la règle !) ;
Patronat politicien et non capitaine d’industrie : Que pèsent les boss du patronat sénégalais : Baidy Agne et Mansour Kama ? Quel secteur stratégique contrôlent t’ils ? Quel est l’aura de leurs entreprises ? Ces responsables du patronat sont beaucoup plus dans la représentation politique que dans l’investissement structurant. Que pèseraient-ils devant le patronat français ou américain ? Ont-ils suffisamment de crédibilité (économique, financière) pour imposer aux gouvernants une ligne de conduite et infléchir les décisions concernant la commande publique ?
Absence d’investissement dans l’économie de transformation: Nous avons produit cette année 1,4 millions de tonnes d’arachides et 1,15 millions de tonnes de riz. Quelle a été la réaction du patronat ? Fallait-il attendre l’invite du gouvernement pour se lancer dans des initiatives de transformation locale de l’arachide ? Quelle est la situation de la filière riz pour laquelle des centaines de milliers de tonnes sont dans la vallée, attendant la mise en place d’unités de transformation en vue de leur écoulement sur le marché, avec comme effet la réduction de notre facture d’importation. Autre exemple : l’industrie du cuir pour laquelle nous immolons plus de 2 millions de bêtes par an et 97% des peaux sont exportées pour nous revenir sous forme de ceintures, chaussures, sacs et autres produits du cuir que nous achetons à prix d’or ! J’éviterai de citer les produits du cru que sont le bissap, le pain de singe, le jujube, le soump, le cajou et la noix d’anacarde, sans oublier le « mad » et autres. Notre patronat n’aime que deux choses : le BTP et l’importation de produits étrangers !
Qui, après AUCHAN? Cette question est cruciale car, tous les matins, le sénégalais qui entre dans une boutique, dépense son argent auprès d’un étranger. Après les évènements de 1989, nous avions l’espoir que le traumatisme né de cette tragédie allait avoir comme conséquence le contrôle par les nationaux, du commerce de détail. Cela n’a même pas duré le temps d’une rose ! Aujourd’hui, à part le marché traditionnel, tous les points de vente sont à la main d’étrangers. Donc, chasser AUCHAN ne signifie par protéger le commerçant sénégalais car plus de 50% de notre consommation quotidienne se fait auprès de la boutique du quartier qui appartient à un non sénégalais.
Quel est le comportement de l’homme d’affaires sénégalais en situation de monopole ? Cas de l’oignon, du transport, du sucre, de l’huile, du ciment….
Vous voyez donc que les questions soulevées sont plus compliquées que le seul fait de vouloir chasser AUCHAN car cela n’est pas la solution ! Sommes-nous prêts pour l’économie capitaliste car nous sommes toujours dans l’esprit de la cueillette.
Tidiane KOUNTA
Dakar, Sénégal

Saër DIAL

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