Stimuler la sécurité alimentaire en Afrique : des mesures de lutte contre le sous-financement de l’agriculture préconisées par M. Qu Dongyu

Le Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), M. Qu Dongyu, a mis en garde contre le grave sous-financement du secteur agroalimentaire qui empêche l’Afrique d’exploiter ses atouts.

Il s’est exprimé à l’occasion du lancement du dernier rapport de la FAO sur les dépenses publiques consacrées à l’alimentation et à l’agriculture en Afrique subsaharienne, qui met en évidence l’écart entre les engagements politiques pris de longue date et la réalité financière dans 13 pays d’Afrique subsaharienne. Le rapport était fondé sur «une analyse rigoureuse effectuée au long des quinze dernières années, grâce à une étroite collaboration avec nos membres dans la région» a-t-il souligné.

Réunis à Maputo en 2003 (et à nouveau à Malabo en 2014), les États membres de l’Union africaine se sont engagés à consacrer 10 pour cent de leurs budgets nationaux à l’alimentation et à l’agriculture, dans le but de stimuler la croissance sociale et économique. Pourtant, près de deux décennies plus tard, cette promesse n’a toujours pas été tenue.

«C’est en renforçant la coordination et en améliorant les capacités humaines dans les pays africains que nous pourrons éliminer les obstacles qui freinent la mise en valeur des atouts», a déclaré le Directeur général de la FAO. «Nous devons également débloquer des fonds et rationaliser les systèmes financiers publics, afin que les rares ressources dont nous disposons soient pleinement exploitées».

Dépenser plus, dépenser mieux

Parmi les pays étudiés dans le cadre du Programme de suivi et d’analyse des politiques alimentaires et agricoles, initiative de la FAO qui concerne également les dépenses publiques en Afrique, le Malawi est le seul à avoir toujours atteint l’objectif de 10 pour cent; le Mali l’a fait certaines années; les 11 autres (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Éthiopie, Ghana, Kenya, Mozambique, Ouganda, Rwanda, Sénégal et Tanzanie) n’y sont pas parvenus. Dans certains cas, seulement 3 pour cent, ou à peine plus, du budget national sont alloués à l’alimentation et à l’agriculture. En outre, il ressort du rapport que, en moyenne, plus d’un cinquième des maigres ressources consacrées au développement alimentaire et agricole n’est pas dépensé en raison des capacités d’exécution insuffisantes. Selon le rapport, l’agriculture est implicitement pénalisée.

Dans sa présentation des conclusions du rapport, le Directeur adjoint de la Division de l’économie agroalimentaire de la FAO, M. Marco V. Sánchez s’est appuyé sur des travaux de recherche pour souligner que l’efficacité technique dans l’agriculture augmente considérablement lorsque les dépenses avoisinent les 80 USD par habitant, après quoi elle commence à diminuer. Cependant, la plupart des pays africains sont loin d’atteindre ce montant. Il a admis qu’il existait une «marge de manœuvre budgétaire étroite» pour accroître les investissements publics en Afrique, à plus forte raison dans le contexte de la pandémie de covid-19, mais il a fait valoir que, même lorsqu’il était impossible de dépenser plus, on pouvait toujours dépenser mieux et générer des gains d’efficience.

Selon le rapport, la majeure partie des dépenses nationales consacrées à l’alimentation et à l’agriculture en Afrique sert à subventionner les intrants (engrais, outils, etc.), dont le rendement tend à diminuer avec le temps selon M. Sanchez, tandis que la recherche-développement, qui recèle un plus grand potentiel de développement, a été négligée. «Les fonds doivent être redirigés vers les domaines les plus rentables», a conclu M. Sánchez, à savoir la recherche-développement, mais aussi les infrastructures et les services de vulgarisation (ou de formation des agriculteurs).

D’autres intervenants (des représentants de gouvernements nationaux ou d’organismes internationaux, ainsi que des experts) ont salué les efforts déployés dans le rapport de la FAO pour examiner en profondeur la répartition réelle des dépenses au sein des budgets agroalimentaires en Afrique, contrairement à d’autres rapports qui se concentrent plus simplement sur les niveaux consolidés de dépenses.

Expérience nationale, aspirations régionales, mobilisation mondiale

Deux responsables ministériels, Mme Thule Lenneiye (Kenya) et M. Yassia Kindo (Burkina Faso), ont fait part de l’expérience de leurs pays respectifs. Mme Thule Lenneiye a exposé les mesures prises pour associer les femmes et les jeunes aux chaînes de valeur agricoles, sur le modèle du secteur kenyan de la production de thé, à majorité féminine, et créer des initiatives en faveur du secteur privé, notamment les initiatives permettant d’accélérer le développement des entreprises agricoles, lesquelles sont facilitées mais non financées par le gouvernement. «Nous devons passer d’un soutien financier direct à des mesures incitatives», a-t-elle déclaré. Pour sa part, M. Kindo a indiqué que le budget national était épuisé et absolument tributaire du soutien des donateurs étrangers, dans le contexte d’une faible exécution budgétaire, de mauvais rendements agricoles et d’un système alimentaire dominé par les importations.

À propos de l’expérience de l’Afrique au sens large, M. Godfrey Bahiigwa, de l’Union africaine (UA), a déclaré qu’il n’était pas surprenant que la faim et la malnutrition aient augmenté sur le continent. Il a également plaidé pour une vision unifiée de l’UA lors du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires qui se tiendra cette année.

Selon Mme Tewodaj Mogues, économiste au Fonds monétaire international (FMI), les gouvernements préfèrent allouer des fonds là où l’impact est immédiatement visible, par exemple la subvention d’engrais, plutôt que la recherche-développement, qui est caractérisée par de longues périodes de gestation. Le défi consiste à «accroître auprès du public la visibilité des domaines d’investissement qui sont plus efficaces», a-t-elle déclaré.

Apollos Nwafor, de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), a insisté sur la nécessité d’adopter des politiques propices, autant que d’augmenter les budgets, qui permettent de mener «des projets agricoles phares autour desquels le secteur privé et la société civile peuvent se rallier», tandis que M. Shenggen Fan, de l’Université agricole de Chine, a mis en garde contre le fait d’invoquer l’inefficacité des systèmes agroalimentaires africains comme obstacle aux investissements des partenaires extérieurs.

«L’amélioration de l’efficacité nécessite des capacités, et les capacités nécessitent des investissements».Leonard Mizzi, de la Commission européenne, a insisté sur le dialogue interministériel: «L’alimentation et l’agriculture ne sont pas seulement l’affaire des ministères de l’agriculture», a-t-il déclaré, dans un contexte de concurrence pour les ressources exacerbée par la pandémie de covid-19. «Le statu quo nous enverra droit dans le mur», a-t-il ajouté, faisant écho à l’appel général en faveur d’approches transformatrices de la sécurité alimentaire en Afrique.

L’Économiste en chef de la FAO, M. Máximo Torero, a conclu la manifestation en soulignant qu’il était impératif de produire des données de qualité pour orienter les décisions d’investissement dans l’agriculture, le rapport d’aujourd’hui constituant un pas important dans cette direction. L’investissement public devrait être évalué en fonction des résultats, a-t-il conclu, et servir à son tour de catalyseur pour l’investissement privé.

Le programme de suivi et d’analyse des politiques alimentaires et agricoles est une initiative de la FAO qui favorise la collaboration avec les pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud en vue de mettre en place des systèmes nationaux de suivi, d’analyse et de réforme des politiques alimentaires et agricoles.

Soutenus par la Fondation Bill et Melinda Gates et d’autres donateurs, les indicateurs et les analyses du programme sont utilisés pour éclairer des réformes ciblées des politiques agricoles et alimentaires qui créent un environnement plus propice aux investissements dans les systèmes agroalimentaires.

Oumou Khaïry NDIAYE
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