Questions autour d’une stratégie : les gouvernements africains bâtissent-ils une génération d’anti-entrepreneurs ?

L’entrepreneuriat de nécessité, encouragé par les Etats, se veut une réponse rapide au chômage des jeunes. Pourtant, se lancer pour survivre alors que l’opportunité est le principal catalyseur d’un entrepreneur, questionne l’efficacité des actions en faveur de l’entrepreneuriat en Afrique subsaharienne. Ecofin

L’Afrique subsaharienne concentre depuis quelques années la plus forte proportion de créateurs d’entreprises parmi les jeunes, comme en témoignent divers rapports statistiques. Selon le ‘’Global Entrepreneurship Monitor/Youth Business International’’ en 2013, le nombre de créateurs d’entreprises dans cette zone géographique est de 60% parmi les 18-35 ans. On y observe de nombreuses initiatives pour l’entrepreneuriat lancées par les gouvernements, organismes et multinationales du secteur privé, parmi lesquelles des programmes d’autonomisation des jeunes, des mesures pour faciliter la création d’entreprises, des structures de financements pour PME, ou encore des compétitions pour entrepreneurs.

Mais en réalité, plus de la moitié de ces créateurs d’entreprises se sont lancés par nécessité. Leur volonté de création de richesse ne se limite qu’à leur personne et à leurs proches, ou ne touche qu’une pincée d’individus, justifiant leur statut d’entreprise individuelle ou de TPE. L’écosystème entrepreneurial de l’Afrique subsaharienne est de fait dominé par des personnes désespérant de trouver un emploi décent ou d’acquérir des revenus suffisants. Cet esprit d’entreprise basé sur la survie est bien différent du schéma idéal d’entrepreneur à fort succès et fort impact sur son environnement.

Un jeune au chômage se lançant dans l’agriculture, un salarié exerçant une activité secondaire en auto-entrepreneuriat, ou encore une femme en zone rurale ouvrant un petit commerce pour avoir des revenus, tels sont les profils généralement encouragés par l’entrepreneuriat social. Et ces derniers ont tous un point commun : le manque d’une meilleure alternative d’emploi. Tous sont des entrepreneurs par nécessité, c’est-à-dire des personnes défavorisées dans la société et contraintes d’entreprendre pour survivre, contrairement aux entrepreneurs par opportunité, qui sont eux, guidés par la motivation et l’envie de créer des solutions innovantes à forte croissance.

Il est vrai que l’entrepreneuriat par nécessité se présente comme la solution la plus accessible face au chômage. Avec près de 10 millions de jeunes qui pénètrent le marché du travail chaque année en Afrique, l’incapacité des gouvernements à satisfaire les attentes les contraint d’adopter des mesures d’urgence, dont le soutien à ce genre d’initiatives. Etant des pays en voie de développement où les besoins élémentaires comme l’alimentation, l’éducation et le logement, sont encore de véritables défis, cette forme d’entrepreneuriat est une solution qui fait sens.

En termes de profils, les jeunes, les femmes et les minorités pauvres sont les plus concernés. Contrairement à l’entrepreneuriat par opportunité ou les créateurs d’entreprises sont poussés par la passion et l’envie de proposer des solutions susceptibles de contribuer au développement des économies, des sciences, des infrastructures, etc., celui par nécessité est confronté à des problèmes pressants, notamment le manque de revenus, la précarité des contrats de travail et les contraintes du marché. Ces profils d’entrepreneurs se développent uniquement grâce à des capacités d’adaptation phénoménales.

Il faut toutefois dire que ces deux concepts d’entrepreneuriat varient en fonction des contextes. Dans les pays développés par exemple, où les besoins primaires ne constituent plus un défi, les motivations peuvent à la fois relever de la nécessité et de l’opportunité, comme le soulignait déjà la revue Entreprendre et Innover en 2014. L’entrepreneuriat par nécessité peut devenir positif si l’entreprise se développe avec succès, devenant non plus une tentative désespérée d’échapper à la précarité, mais un projet avec des perspectives véritables. Ceci dit, le taux de réussite est plutôt faible, eu égard à toutes les contraintes énumérées.

Le bilan des entreprises créées par nécessité montre bien cette réalité. En Afrique, une start-up sur deux a fermé au cours de la décennie écoulée. Entre 2010 et 2018, l’écosystème des start-up africaines a connu un taux d’échec de 50% d’après une étude menée par Weetracker dans le rapport ‘’The Better Africa’’. Ainsi, les jeunes encouragés par les institutions à s’aventurer dans l’entrepreneuriat ont vraiment du mal à développer leurs affaires sur le long terme.

Comme solution, on estime que les actions des politiques devraient prendre en compte les dimensions stratégiques et organisationnelles dans le processus de création d’entreprise, et aussi la dimension psychologique avec le renforcement des programmes de mentorat et coaching par profil d’entrepreneur. La nouvelle typologie à construire devrait donc considérer au préalable les caractéristiques de l’entrepreneur et ses motivations, afin de créer ou adapter les accompagnements.

Ceci permettrait de mieux classer les entrepreneurs selon les facteurs internes et externes les ayant poussés à entreprendre, et de mieux déterminer leur potentiel de réussite. En conclusion, l’entrepreneur dit de nécessité sera outillé sur les moyens de créer une entreprise non pas par manque d’opportunité professionnelle, mais dans un processus de reconstruction de soi qui à terme, fera naître un nouvel écosystème favorable au parcours d’une entreprise à succès.

Ecofin

Pape Ismaïla CAMARA
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