La Justice Populaire Vue Par Ibou Sane (Enseignant-Chercheur) : « La société s’autorégule à partir du lynchage »

Dans l’intervalle d’une semaine, deux présumés agresseurs ont été battus à mort à Liberté 5, puis à Wakhinane Nimzat. Un phénomène découlant de la justice populaire et dont la récurrence inquiète. Le sociologue et enseignant chercheur au CESTI, Ibou Sané, donne son éclairage.

La recrudescence des cas de justice populaire est devenue inquiétante, notamment à Dakar. Selon le sociologue Ibou Sané, formateur au CESTI (Centre d’Etudes Scientifiques et Techniques de l’Information), ce n’est pas un phénomène nouveau, qu’il relève de la petite ou de la grande délinquance.

Cela peut s’expliquer, selon lui, « par la perte de repères, la crise sociale ; ce qui fait que certains se situent en dehors de la loi. Le phénomène de la prostitution, le viol, les agressions sont là. C’est ce qu’on appelle à chaque fois les formes de parallèles urbaines ».

Pour l’enseignant chercheur au CESTI, « l’Etat ne peut pas mettre malheureusement derrière chaque personne un policier. Par contre, il doit mettre l’accent sur la police de proximité avec des agents qui peuvent circuler dans les quartiers en civil ou en motos, parfois en voiture banalisée pour appréhender les petits délinquants avec la collaboration de la population », explique-t-il.

Malheureusement, la population ne collabore pas, déplore-t-il. « Si on agresse quelqu’un en pleine circulation, personne n’intervient, personne ne veut s’en mêler. A partir de ce moment, les bandits se sentent hyper puissants et c’est la loi du plus fort », souligne le professeur Sané.

Cette situation d’indifférence peut conduire les jeunes à s’organiser pour se défendre, pense-t-il. Or, « avec une formation de ces jeunes, on aurait pu éviter des lynchages de voleurs. Parce que si les jeunes attrapent un voleur et le remettent à la police, ils le retrouvent quelques jours après dans la circulation. Alors, ils ont tendance à croire que c’est à eux de lui faire la fête », souligne M. Sané. Malheureusement, le séjour carcéral de ces malfaiteurs ne dure pas souvent. Mais, même s’il y a des manquements ou qu’il existe des failles dans le système judiciaire, la population n’a pas le droit de se faire justice elle-même. « La population n’a pas le droit de lever la main sur quelqu’un, sinon chacun essaiera de régler son compte à sa manière. Comme nous sommes dans un pays de droit, il faut que la population ait l’habitude d’amener les voleurs à la police. Sinon, les plus forts vont écraser les plus faibles. Et ce sera la jungle ».

Faisant une comparaison avec la basse Casamance, le professeur souligne les différences culturelles entre les localités. « Dans le Enampor, jusqu’à Oussouye, on regarde ce qui se passe en Guinée Bissau. Là-bas, vous volez quelque chose, la victime va directement à la radio et dit à son voleur : je vous donne 48 heures pour me ramener la chose. Parce que là-bas, c’est le mystique qui intervient et vous pouvez laisser charger votre portable ou votre ordinateur sans danger. Parce que c’est la société qui s’est autorégulée à partir du mystique alors qu’ici, c’est le contraire car la société s’autorégule à partir du lynchage », fait-il savoir.

Ces lynchages risquent de prendre de l’ampleur si l’Etat n’intervient pas. « Cela peut perdurer si l’Etat n’intervient pas, mais le danger est que celui qui bat le voleur à mort peut se retrouver en prison. Et cela montre que la population est en danger parce qu’ à force de vouloir lyncher le voleur ou le violeur, elle risque elle-même d’aller en prison à la place de l’agresseur », indique professeur Sané. L’Etat doit fournir des efforts allant dans le sens de la sensibilisation des citoyens à faire confiance aux forces de l’ordre. « L’Etat doit sensibiliser la population à s’imprégner des valeurs civiques», martèle le sociologue.

Le Vrai Journal

Oumou Khaïry NDIAYE
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