FAUT-IL UN NOUVEAU MODELE D’ORGANISATION SOCIETALE POUR LE MONDE ? (deuxième partie)

L’ENSEIGNEMENT DE CHEIKH AKMADOU BAMBA : UNE SOLUTION POUR L’HUMANITE
Dans notre dernière tribune intitulée « Faut-il un nouveau modèle d’organisation sociétale pour le monde ? », nous avions annoncé une nouvelle réflexion présentant le modèle pratique d’organisation qui nous semble incarner le mieux ce nouveau modèle théorique. Dans les lignes qui suivent, nous allons nous y évertuer, non sans prendre quelques précautions :
– En tant que citoyen sénégalais, DIEU m’a donné l’opportunité de mieux connaitre la doctrine proposée à l’humanité par Cheikh Ahmadou Bamba. Par honnêteté intellectuelle, je suis donc dans l’obligation de ne faire état que de ce que je sais.
– Ensuite, comme économiste formé dans une universités occidentale, ayant eu l’occasion de servir dans les organisations africaines de financement du développement et participer aux Assemblées annuelles de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaires internationales, véritables creusets de passage en revue des politiques économiques et financières internationales, je pense humblement avoir les rudiments méthodologique pour analyser et comparer le modèle social de Cheikh Ahmadou Bamba aux courants dominants qui gouvernent le monde.
– Enfin, je tiens à affirmer que la présente contribution n’est pas un exercice scientifique mais un constat motivé éclairé par ma modeste expérience.

Pour rappel, j’ai toujours soutenu qu’en dépit de quelques percées notées en termes de croissance économique et de progrès techniques, le monde demeure encore fragile au regard des énormes inégalités existantes, de la perte des valeurs humaines essentielles, de la recrudescence de la pauvreté et des tensions permanentes dans les relations internationales. Les piliers et mécanismes actuels d’organisation du monde ne me paraissent pas suffisamment solides pour arrimer le monde au développement durable, car fondamentalement matérialistes, en déphasage par rapport aux lois universelles et beaucoup plus concentrés sur le savoir et le savoir-faire, en laissant de côté l’essentiel qui est le savoir être.
Nous avons aussi soutenu dans notre dernière contribution que le modèle recherché pour sauver l’humanité devrait s’appuyer sur l’éthique et la refondation de l’homme dans sa dimension spirituelle, et expérimenter une vision novatrice sur des outils économiques comme le travail, la consommation l’investissement l’épargne et le financement.
Dans les développements qui suivent nous allons présenter le modèle de Cheikh Ahmadou Bamba. Dans un premier paragraphe il sera présenté les INPUTS dudit modèle que nous allons décliner en quatre parties :
– Ses qualités humaines intrinsèques ;
– Son modèle d’éducation ;
– Son leadership ;
– Et sa philosophie d’autonomie.

Dans une seconde partie, nous présenterons les OUTPUT ou succès du modèle avant d’aborder une troisième partie relative aux défis à relever.
I. LES INPUTS DU MODELE
Un homme extraordinaire
Comme le modèle est proposé à l’humanité, il est important de dire un mot de Cheikh Ahmadou Bamba. C’est un musulman soufi sénégalais, né vers 1853 et rappelé à Dieu en 1927. Il subit beaucoup de brimades de la part de l’autorité coloniale pour avoir voulu vivre sa foi à la lumière de sa référence qui est le Prophète de l’Islam, Seydina Mouhammad (Paix et salut sur lui). Il fut un organisateur hors pair, un penseur, un philosophe et un érudit. L’examen de sa trajectoire a souligné ses nombreuses qualités et les résultats positifs engrangés par son modèle de société. Ils seront proposés dans le second paragraphe OUTPUT.

Pour énumérer ses principales qualités, on peut dire que Cheikh Ahmadou Bamba était :

– Strict dans l’observance des prescriptions divines ;
– Instruit, visionnaire avec un bon sens de l’anticipation, stratège et organisé ;
– Travailleur, innovateur et déterminé, avec un cap clair sur les objectifs à atteindre ;
– Fier de son africanité, comptant d’abord sur ses propres forces et ayant une préférence marquée pour tout ce que produit son continent ;
– Homme de paix, patient, pédagogue et pardonneur ;
– Discipliné, respectueux de l’environnement, de la chose publique, des institutions et des règles.

Il aurait pu, à l’instar des autres résistants du continent qui ont péri, opposer la force au colonisateur. Il a préféré évaluer, en stratège averti, les rapports de force existant, pour mener un combat gagnant. Il passait la plus grande part de son temps à l’adoration de DIEU et à l’éducation des hommes. Il n’a gardé aucune animosité à l’égard de ses geôliers et a affirmé par écrit à la face du monde qu’il leur avait pardonné.
Les différentes expériences racontées par ses contemporains ont montré qu’il était très rigoureux dans son comportement et abhorrait les solutions de facilité.
Un modèle d’éducation original et efficace

Son modèle d’éducation allie à la perfection savoir, savoir-faire et savoir être. Il a su mettre en harmonie le corps, l’esprit etl’âme. Il a inculqué des valeurs utiles à la construction d’une société humaine juste, droite, entreprenante basée sur les valeurs religieuses, civiques et morales. Ce système a magnifié le travail. En son temps, la formation spirituelle initiatique du disciple était confiée aux mains de trois principaux maitres :
– Le Cheikh Tahlim pour l’enseignement coranique ;
– Le Cheikh Tarbiya pourles sciences religieuses ;
– Et le Cheikh Tarqiya qui s’occupait de l’élévation de l’âme.

Un système de commandement d’essence théocratique très rigoureux

Les ordres appelés « Ndiguel » sont décrétés ou validés par le Chef suprême de la Communauté et deviennent exécutoires. Dans un tel système qui tranche avec les méthodes démocratiques d’inspiration libérale et occidentale, le succès n’est garanti que lorsque celui qui donne les ordres est un exemple parfait et vise l’intérêt collectif. Ce postulat a été vérifié en ce qui concerne la doctrine de Cheikh Ahmadou Bamba. Il s’en suit une discipline communautaire impeccable. La qualité des hommes qui ont eu l’occasion d’assumer cette posture de Chefs suprêmes de la Communauté sera abordée dans les OUTPUT.

Une stratégie de décentralisation efficace

Cette stratégie a permis l’essor territorial de la communauté et le développement de pôles satellites contigües à la ville de TOUBA la capitale du mouridisme. Elle a permis aussi de déconcentrer les activités d’éducation et de production et limiter le phénomène d’exode rural.

Une philosophie d’autonomie confirmée

A travers cette approche, le modèle de Cheikh Ahmadou Bamba a réussi à développer une philosophie du compter sur soi pour assurer un développement endogène.

II LES OUTPUTS D’UN MODELE DE REUSSITE
Des guides éclairés

Tous les dirigeants qui se sont succédés à la tête de la communauté depuis la disparition du fondateur en 1927, ont tous été caractérisés par une grande sobriété. Des milliards de dollars représentant les contributions des disciples ont depuis passé entre leurs mains successives sans que des phénomènes d’enrichissement personnel n’aient été constatés. Ils ont vécu dans l’austérité absolue. Cette attitude qui tranche avec les détournements de deniers publics constatés dans la gestion des affaires de ce monde est le résultat du système éducatif mis en place par Cheikh Ahmadou Bamba. Bien évidemment ces bons exemples impliquent un sens élevé du patrimoine collectif et une forte culture de bonne gouvernance dans la communauté. Aussi, ce même modèle éducatif a réussi à forger de nombreux hommes d’affaires et capitaines d’industrie au niveau national. Un article publié par le journal français « Le monde » titrait le 14 décembre 2015 : « Au Sénégal les réseaux très prospères de la confrérie mouride ».

Une ville sainte en plein boom démographique

Touba, capitale du Mouridisme, fut fondée en 1887 par Cheikh Ahmadou Bamba dans un environnement peu hospitalier, uniquement pour adorer DIEU. En 1960, elle comptait 2670 habitants source : https://www.persee.fr/doc/assr_0003-9659_1962_num_14_1_2789. Soixante ans après, elle en compterait environ 1 500 000 sur la base d’un recensement effectué en 2017. La ville a battu le record d’accroissement de la population au Sénégal de même que celui du développement à tout point de vue. Deuxième ville du pays après Dakar, elle a été consacrée, au regard de son modèle d’aménagement et d’urbanisation original,  » ville modèle  » par la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II) organisée à Istanbul du 3 au 14 juin 1996. Cheikh Ahmadou BAMBA a eu la vision de matérialiser l’emprise foncière de la ville en titre foncier privé. Par ailleurs, Touba a su conserver son statut de cité islamique dans un environnement national laïc. Contrairement à beaucoup de villes dans le monde, la consommation d’eau y est gratuite.
Une capacité reconnuede mobilisation de ressources et de financement de projets

La communauté mouride est bien structurée au plan national et international avec des associations locales qui collectent une part importante des ressources à travers la contribution des membres. Cette organisation en fait une puissance financière qui arrive non seulement à financer ses projets en autofinancement et mieux à appuyer la collectivité et l’Etat. Cet impressionnant dynamisme en matière de solidarité s’est manifesté à maintes reprises dans l’histoire de la Communauté :

– 550 Francs de contribution remis au mois de mai 1909 par Cheikh Ahmadou Bamba aux Autorités coloniales pour la construction d’une infirmerie à Diourbel.
– 500 000 Franc dans le cadre de la campagne de contribution volontaire au relèvement du Franc. A l’époque, le total des contributions de la colonie du Sénégal ne dépassa guère les 3 millions de Franc.
– 10 millions de FCFA consentis aux victimes de l’accident d’ammoniac de la SONACOS intervenu le 24 mars 1992
– 10 milliards de FCFA qu’il remit au Président Abdoulaye Wade pour entamer les grands chantiers de Touba en 2006.
– 1 milliard de FCFA d’aide à l’Etat du Sénégal dans le cadre de la lutte contre les inondations.
– 200 millions de FCFA d’appui financiers à l’Etat dans la lutte contre le COVID-19.

Cet altruisme insiste sur la solidarité désintéressée qui est un multiplicateur universel de richesse. Cette solidarité atténue la politique d’épargne spéculative et de thésaurisation préconisée dans la pensée économique matérialiste. Le modèle social de Cheikh Ahmadou Bamba propose un altruisme conforme aux textes sacrés. Le Coran ne dit-il pas dans la sourate 2 verset 61 « Ceux qui dépensent leurs biens dans le sentier de Dieu ressemblent à un grain d’où naissent sept épis, à cent grains l’épi. Car Dieu multiplie la récompense à qui Il veut et la grâce de Dieu est immense, et Il est Omniscient. ». Bien entendu le modèle intègre une épargne de précaution pour financer l’investissement.
Une mystique du travail éprouvée

La devise de Cheikh Ahmadou Bamba en matière d’organisation de la cité a toujours été« Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais mourir demain « . L’homme qui craint son Créateur ne compte pas sur un système de contrôle pour bien faire son travail. Sa conscience lui dicte son comportement. Son modèle de travail s’articule autour de l’économie réelle, hors de toute velléité de spéculation. Quelques-unes des innombrables réalisations de sa communauté sont répertoriées ci après :
– Prolongement en 1929 du chemin de fer Diourbel-Touba d’une longueur de 50km pendant la colonisation pour une valeur de 10 millions de F de l’époque, pour pouvoir transporter les matériaux nécessaires à la construction de la grande mosquée de Touba ;
– Mise en valeur et exploitation d’une réserve foncière de 45 000 ha à Khelcom mise à la disposition de la Communauté par l’ex Président Abdou DIOUF ;
– Une expertise reconnue dans les secteurs agricole et commercial et dans le secteur informel ;
– Construction de nombreux lieux de cultes dont le dernier, la mosquée de Masalikoun Djinane d’un coût approximatif de 20 milliards de FCFA, confiée à un éminent membre de la communauté, a montré une nouvelle facette du management de projet par la communauté : une femme ingénieure a dirigé les travaux de construction et le principal responsable a retourné dans les caisses de la communauté l’enveloppe budgétaire non utilisé ;
– La construction en cours d’une université pluridisciplinaire d’un coût d’un montant de 37 milliards de FCFA sur fonds propres.

Une identité culturelle reconnue

La communauté est caractérisée par l’existence d’une culture spécifique qui en fait son trait distinctif (habits, café Touba, prosternation dans les salutations etc..).

III LES DEFIS QUI INTERPELLENT LA COMMUNAUTE

Ils sont de trois ordres :
– La poursuite et l’adaptation de la politique éducative de la communauté aux défis de la mondialisation ;
– Une meilleure réorientation des investissements vers des secteurs porteurs de progrès humains ;
– La prise en compte efficace des défis liés au développement exponentiel de la ville.

Sur le premier aspect, la construction en cours du complexe universitaire de Touba permettra de relever le défit relatif au renforcement de capacité.
Sur la deuxième préoccupation, la prise en compte des besoins physiologiques étant une conditionnalité à l’adoration de DIEU, il pourrait être important que la communauté étudie la possibilité d’investir une partie des contributions des fidèles dans des activités génératrices de revenus et dans des activités économiques agricoles et industrielles autour de la ville sainte de TOUBA. Cela permettra de lutter contre la pauvreté et limiter les vagues d’émigration.

Enfin sur la question de l’expansion démographique de la ville que favorise l’attrait qu’exerce Cheikh Ahmadou Bamba sur les populations, la communauté sachant qu’elle ne peut rien attendre d’un Etat sénégalais aux finances difficiles, devrait mieux s’organiser afin d’orienter une partie des dons des fidèles vers le développement urbain et la construction d’équipements collectifs.

Conclusion
Si un modèle social doit s’évaluer par l’adhésion des populations à ses principes et valeurs, sa traversée des âges pour entrainer des générations les unes après les autres, ainsi que sa capacité d’innovation et s’adaptation aux besoins sans cesses évolutifs des communautés humaines, on peut dire que celui du Cheikh Ahmadou Bamba est pleinement achevé.

Magaye GAYE
Economiste
Ancien Cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)
Et du Fonds Africain de garantie et de Coopération Economique (FAGACE)

Saër DIAL

Author

Saër DIAL

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