Exclusivité de Lactuacho : Procès de Habré, Clément Abeïfouta à cœur ouvert…

Clément Abeïfouta, est le président de l’association des victimes des crimes du régime de Hissène Habre (AVCRHH). Prisonnier miraculé, témoin oculaire de faits macabres et indécents, fossoyeur obligé de la DDS, il se définit comme une preuve vivante des exactions de l’ancien président tchadien.

Porteur d’un combat difficile pendant plus de vingt ans, l’homme a du mal à cacher cette joie mêlée d’amertume ressentie à l’approche du procès de Hissène Habré.

Lactuacho.com a abordé avec lui des questions cruciales liées à ce qui semble parti pour être un long procès.

Lactuacho.com : Clément, plus de vingt ans de combat semblent toucher à leur fin avec l’ouverture de ce procès de l’ancien président Hissène Habré, aujourd’hui traduit devant la cour de Chambres africaines extraordinaire. Que représente réellement de ce procès pour vous ?

Clément Abeifouta : Ce procès représente beaucoup de choses pour moi. C’est le couronnement de beaucoup de sacrifices, jalonnés de patience, de mépris, de frustration. Même si l’émotion est assez grande, je m’en réjouis. Ce procès représente le sacre de la lutte que nous menons depuis vingt-cinq ans.

Il se tient après celui de ses supposés complices de Habré au Tchad. Comment avez apprécié justement ce dernier ?

Après beaucoup de retard, le procès des ex agents de la DDS s’est tenu, même si certains complices courent encore, même si je crois en moyenne à la volonté des autorités tchadiennes, surtout dans la gestion de ce dossier. Nous nous sommes inscrits sur deux axes.

Le premier concerne les ex agents de la DDS nommément cités dans nos plaintes. Et le second axe est celui contre Habré. Vous imaginez que pour ce dernier ça n’a pas été facile.

Je me rappelle encore comment Abdoulaye Wade (l’ancien président sénégalais NDLR) nous a tournés en bourriques. Mais avec la ténacité des victimes, la volonté de ceux qui nous accompagnent, avec nos avocats nous sommes arrivés à ce stade fatidique du 20 juillet. Ça va être pour moi le point d’orgue de ma lutte. Mais il faut bien que Hissène Habré vienne.

Certains pensent que ce procès sans les seconds couteaux, excusez du terme, de l’ancien président est parti pour être déséquilibré…

Déséquilibré pourquoi ? Moi je me dis les agents de la DDS sont jugés, condamnés à Ndjamena  Aujourd’hui nous en sommes à la seconde étape.

Déséquilibré dans quel sens ? L’opportunité a été donné à Hissène Habré d’envoyer ses avocats au Tchad, il a refusé. Nous sommes ici pour justement sortir Habré de son silence. Je ne crois pas comprendre comment réagit Hissène Habré, orgueilleux qu’il est, fier de lui-même, qui nous a considéré pendant un moment de son règne comme des vermines…Un homme qui se comportait comme il veut : Vous avez une belle femme, vous êtes inquiétés, vous avez un compte en banque, vous êtes inquiétés, vous avez une belle maison vous êtes inquiétés…

C’est le moment qu’il vienne à la barre, rencontrer des gens comme moi pour lui dire, il faut parler…

Oui, mais un adage wolof nous enseigne que les seconds-couteaux sont plus dangereux que les rois en termes de dérive. Est-ce que le procès tchadien qui semble avoir été accéléré ne joue pas en valeur d’un bon procès, juste et équitable ?

Même si c’est accéléré, je me dis que l’un de nos objectifs est atteint. A entendre les avocats, les hommes de Droit, c’est un verdict sans pareil qui a été livré. Il est assez satisfaisant. Même si la manière avec laquelle les choses ont été menées, la gestion de ce tribunal a été faite, je demeure satisfait, parce que les gens qui nous ont fait mal se retrouvent dans la loge des prisonniers. Ça, ça me satisfait. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent mais nous qui avons porté ce combat, nous sommes satisfaits.

L’autre argument qui revient est : Un procès financé par Idriss Déby ne peut pas être juste et équitable, car il n’est pas exempt de reproches dans cette affaire…

Ecoutez, moi je ne suis pas juge, peut-être que si je l’étais je vous auriez donné la réponse. Je suis une victime et le Tchad est le pays le plus concerné par cette affaire.

Hissène Habré a agi au nom du Tchad, de l’Etat ! Il a tué, il a violé, il a volé l’argent au nom de l’Etat. L’Etat est une continuité au point de vue du droit. Alors d’après les juristes qui nous accompagnent, le Tchad a la responsabilité d’accompagner les victimes.  Et aussi, même des pays qui ne sont pas concernés ont financé ce tribunal ! Alors pourquoi, le Tchad ne financerait pas ? En fin de compte, il est responsable de ses citoyens. Vous voudrez qu’il reste à ne rien faire ?

Moi je ne vois pas le Tchad en termes de Déby. Je suis tranquille, attendons le procès pour voir…

Avant leur séparation, il fut un des responsables du régime de Habré. Est-ce que Déby est ciblé par une action dans cette affaire ?

Déby l’ai dit clairement et à haute voix, il est prêt à témoigner devant la barre. Attendons que les juges le prennent au mot. Ce n’est pas à nous de décider. Parce que pour notre association, moi je n’ai porté aucune plainte contre lui.

Certes des délits comme les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et autres sont reprochés à l’ancien président. Mais pouvez-vous nous livrer quelques aperçus là-dessus ?

Pouvez-vous imaginer une femme qui a vu son mari partir sans revenir. A-t-il été tué et jeté dans le fleuve ? Quand j’ai vu un documentaire sur Habré traduit devant la justice, j’ai pleuré comme un enfant. C’est dans un film qu’un jeune a su que son père a été assassiné. Ces veuves, ces orphelins, ces femmes jetées en pâture à des militaires qui pendant des années n’ont pas vu de femmes…Vous vous imaginez ces centaines de victimes qui vont défiler ?

C’est le moment où jamais de déballer, de faire jaillir la vérité !

Mais justement au-delà d’une condamnation, des milliers de victimes qui réclament des dommages et intérêts pour divers  dommages subis, cela ne va pas poser de problème ?

Cela ne cause aucunement problème. Je ne suis pas juriste mais pour moi, des gens qui ont été torturés tués, violés, déportés, dépossédés de leurs biens par la trempe d’un état…l’Etat est responsable. Il faudrait que ces gens qui ont été humiliés, qui ont perdu leurs dignité puissent être réhabilités. L’Etat est responsable et doit les dédommager.

Des gens qu’on a dépossédés de leurs maisons,   à qui on a soutiré des millions, des femmes violées, qui ont perdus leurs virginités,  Ce n’est pas le démon qui va payer…

Comment évaluer tous ces dommages alors ?

La science a évolué. Si on a retrouvé l’ancêtre de l’humanité dans le désert africain plusieurs milliers de siècles après, la science peut pour quelques années en arrière évaluer les dommages et biens.

Ses présumés complices jugés au Tchad, Habré jugé à Dakar…Après le procès, la réconciliation nationale sera-t-elle envisageable ou acquise ?  

Nous, nous nous sommes dit qu’après le procès, il y a du travail à faire. L’affaire ne s’arrête pas seulement au procès ou à la condamnation de Habré. Vous savez, Hissène Habré avait utilisé le tissu social pour diviser et régner. C’était machiavélique ! Oui, nous avons du travail à faire.

Jusqu’à ce jour la psychose règne au Tchad par l’entremise de Habré. Son procès est un élément fondamental qui va aider à la réconciliation des fils du Tchad. Il faut que les cœurs et les esprits s’apaisent.

 

 

Michel DIEYE

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Michel DIEYE

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