Mahaman Laouan Gaya, Ancien Ministre, Expert en Energie et Pétrole du Niger, nouvellement élu Secrétaire Exécutif de l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA), dans l’ entretien accordé à Lactuacho, au cours d’un récent séjour à Dakar estime que le continent doit peser sur l’échiquier pétrolier mondial car il dispose un énorme potentiel en hydrocarbure.
Monsieur le Ministre, le poste de Secrétaire Exécutif de l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA) vient de vous être confié. Quels sentiments vous procure ce choix ?
Mahaman Laouan Gaya : Bien évidemment, c’est avec une grande joie et beaucoup d’humilité que j’ai appris cette nomination à partir d’un appel téléphonique d’Abidjan du ministre nigérien en charge du pétrole, Mr Gado Foumakoye.
Permettez-moi donc de prime abord de remercier les autorités politiques nigériennes qui ont bien voulu parrainer ma candidature, mais aussi les efforts qu’elles ont déployés jusqu’à son aboutissement. C’est donc un sentiment de pleine satisfaction et de reconnaissance et je saisis l’occasion que vous m’offrez à travers votre organe pour dire merci au Président de la République du Niger, SEM Issoufou Mahamadou et lui traduire toute ma gratitude.
Je dois également remercier et rendre hommage aux autorités des 18 pays membres de l’APPA pour la grande confiance portée en ma modeste personne. Ces pays souhaitant la redynamisation de notre organisation commune, je m’engage à le faire avec abnégation et dévouement.
Pourquoi l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA)?
L’idée de sa création remonte aux années 80 à partir des rencontres informelles entre les pays africains membres de l’OPEP, qui étaient à l’époque, l’Algérie, le Gabon, la Libye et le Nigeria. Mais ce n’est qu’en janvier 1987 à Lagos au Nigéria, que quatre autres pays (l’Angola, le Bénin, le Cameroun et le Congo) se joignirent à ce groupe initial pour créer l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA).
Les fondateurs de cette organisation souhaitaient d’abord qu’elle serve de plateforme de coopération, de collaboration et de partage de connaissances et de compétences entre les pays africains producteurs de pétrole. Aussi, naquit un sentiment de solidarité à l’égard des autres pays africains non producteurs de pétrole et qui étaient en proie à d’énormes difficultés d’approvisionnement en hydrocarbures. C’est ainsi d’ailleurs que les pays fondateurs ont convenu de fournir 4% de leur production pétrolière aux autres pays africains vivant en insécurité énergétique. Entre autres objectifs, étaient la promotion de la coopération sur tous les aspects de la chaîne de valeurs de l’industrie pétrolière (technique, juridique, économique, financier, fiscaux, sociaux, etc…) et la promotion de l’assistance technique dans les domaines où chaque pays-membre a un avantage comparatif.
A ceux-ci s’ajoutent ce que, personnellement, je qualifierai de nobles, qui sont la contribution aux efforts des pays membres pour tirer les meilleurs profits socio-économiques de l’exploitation de ces ressources non renouvelables, en tenant compte des normes de protection de l’environnement, de la sécurité énergétique et de l’utilisation de la rente pétrolière au bénéfice des populations et l’assistance aux autres pays africains non membres en vue de la satisfaction de leurs besoins en énergie.
Aujourd’hui, force aussi est de constater que de nombreux autres défis ont apparus, dont entre autres le placement du brut africain sur le marché international, le marché physique du pétrole qui échappe au contrôle des pays producteurs du fait de sa financiarisation et de la spéculation boursière, la géopolitique internationale (entendue comme étant ‘’l’étude des rapports de force qui déterminent, dans une large mesure, le déroulement des échanges et le comportement des agents économiques’’), l’arrivée sur le marché des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste) produits en très grande quantité par les pays traditionnellement importateurs du pétrole brut africain et qui a eu pour conséquence de réduire les exportations pétrolières vers ces pays et donc de réduire les ressources financières de nos pays.
Je rappelle que l’APPA, aujourd’hui forte de 18 pays membres produit plus de 95% du pétrole africain et représente 12% de la production mondiale (avec des coûts d’extraction et de production très compétitifs) et 10% des réserves pétrolières mondiales prouvées. Avant ‘’l’arrivée’’ des hydrocarbures de schiste, les Etats-Unis importaient environ 60% du pétrole africain (ce qui constitue près de 90% des exportations africaines vers les Etats-Unis) et la Chine 20% (soit plus de 60% des exportations).
En 2015, les échanges du secteur pétrolier entre l’Afrique sub-saharienne et les États-Unis ont baissé de 85%, et en mars 2015, c’est une perte de recettes de l’ordre de 15 milliards US$ qui est enregistrée par rapport aux 100 milliards US$ de transactions de 2008. Si nous prenons le cas spécifique de l’Afrique de l’Ouest ; avant ‘’l’arrivée’’ des hydrocarbures de schiste américain, 45% de la production exportée de cette région l’était vers les Etats-Unis, 40% vers l’Asie (Chine, Inde,…) et 15% vers l’Europe.
Actuellement, les exportations vers les Etats-Unis sont tombées à 20% ; autrement dit, nous nous retrouvons avec au moins 25% de production invendue. Par ailleurs, la faible capacité de nos États à assurer l’exploitation de leurs ressources pétrolières incite les grandes puissances et celles dites ‘’émergentes’’ à venir pour investir massivement. Vous convenez avec moi que ceci n’est pas bon signe et il s’impose à nous de revoir nos copies.
Il est donc impératif que nous nous adaptions au nouveau contexte mondial qui est celui de la perte des marchés et de la baisse drastique des prix du pétrole brut. L’un dans l’autre, l’Afrique qui dispose d’un énorme potentiel en hydrocarbures doit conséquemment peser sur l’échiquier pétrolier mondial.
Quels sont les axes majeurs que les pays africains devraient poser pour tirer le plus grand profit des ressources énergétiques et pétrolières ?
Vous savez,…il y’a des clichés négatifs très souvent utilisés à l’endroit de l’Afrique relativement à sa gouvernance des ressources extractives et énergétiques. Vous entendez çà et là et très souvent à raison, des superlatifs genres ‘’paradoxe de l’abondance’’, ‘’malédiction des ressources naturelles’’, ‘’scandale géologique’’, etc. Ce qui est indéniable, c’est que l’Afrique est dotée d’abondantes ressources énergétiques, d’origines fossiles et renouvelables, et qui sont globalement sous-exploitées. Il faut ajouter à ce bilan certaines régions qui demeurent sous-explorées ou inexplorées et qu’il existe encore des potentiels très prometteurs.
Outre le potentiel et la production en hydrocarbures, il faut ajouter celui en électricité d’origines renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique,…) et nucléaire. Tout ce panorama, trop beau, faudrait-il l’avouer, n’a jamais ou très peu servi aux africains. C’est en cela justement que ceux qui qualifient notre situation de ‘’paradoxe de l’abondance’’ n’ont pas tout à fait tort. Malgré toutes ces richesses, jamais le secteur primaire et les ressources humaines n’ont été considéré comme de véritables leviers d’un développement durable. Au moment de l’envolée des cours des matières premières extractives, seuls quelques pays ont saisi l’occasion pour appuyer leur croissance sur une économie un peu plus diversifiée ; sinon en majorité ils n’ont pas été capables de résoudre les problèmes de dépendance et de mono production et continuent de subir le triste effet du ‘’syndrome hollandais’’.
Face à cette situation, l’on assiste à une augmentation des coûts des facteurs de production, une pression sur les prix locaux ; et les autres secteurs de subir une perte de compétitivité économique. Nous nous retrouvons alors avec une croissance économique soutenue par une mono production d’un sous-secteur extractif, les autres secteurs ne survivant en général que grâce au soutien direct ou indirect de l’Etat.
En Afrique, le taux de croissance des recettes pétrolières a été assez proche de celui du prix du pétrole lui-même. Imaginez un peu… ces recettes ne représentaient guère plus que 1% du PIB dans les années 70, elles sont passé à 41% du PIB dans les années 80, plus de 60% aujourd’hui ; et si on reste passif, cette tendance de se poursuivre. Déjà certains pays ont atteints les 80% depuis fort longtemps.
Dans plusieurs cas, si l’on déduit du PIB global celui généré par les ressources pétrolières, on remarque que son niveau est très faible et que son taux de croissance est même négatif. Les conséquences, nous les avions vécues cette année. En effet, beaucoup de pays producteurs-exportateurs ont élaborés leurs budgets 2015 sur la base d’un baril de pétrole à 100 US$, voire même plus pour certains.