Des facultés et instituts universitaires vandalisés: Ucad, des plaies encore béantes

Avenue Cheikh Anta Diop de Dakar, un calme plat règne ce dimanche 4 juin 2023. Les activités commerciales aux alentours reprennent timidement. La circulation est fluide sur cet axe jadis très fréquenté par les automobilistes. Des éléments des forces de défense et de sécurité, armés, sont positionnés au rond-point et font face à l’entrée principale. Laquelle est inaccessible. Elle affiche un visage hideux. Des véhicules complètement réduits en cendres forment le décor. Ils font partie des dégâts engendrés par les manifestations qui ont éclaté dans le temple du savoir, le 1er juin dernier, après l’annonce du verdict de la chambre criminelle, condamnant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse. Des agents de sécurité du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) interdisent tout accès dans ce temple du savoir où les autorités universitaires ont pris la décision de suspendre les enseignements jusqu’à nouvel ordre. Ils sont intransigeants et appliquent à la lettre les consignes reçues. Des étudiants venus récupérer leurs bagages sont retenus à la porte principale. « Nous voulons récupérer nos bagages qui sont dans notre chambre et rentrer. Nous étions sur le qui-vive le jour de la manifestation. On s’est sauvé en laissant tout dans notre chambre », a fait savoir El Hadji Mbaye, étudiant en troisième année à la Faculté des sciences, l’air désemparé.

Les manifestants étaient armés de scie à métaux, arrache-clou, piques et marteaux

En effet, contrairement à la grande porte, l’allée communément appelée « couloir de la mort » n’est pas contrôlée.  Mais elle est vide. On n’y aperçoit pas une âme qui vive. Des morceaux de pierre jonchent le sol. Le Centre d’études des sciences et techniques de l’information, Mame Less Camara (Cesti/Mlc) jouxte cette allée. Cette école, qui a formé plusieurs générations de journalistes d’ici et d’ailleurs, n’a pas échappé à la furie des contestataires de la sentence qui a été infligée au maire de Ziguinchor. L’amphithéâtre « Eugénie Rokhaya Aw » a été incendié. Il est sens dessus dessous. Les vitres des fenêtres endommagées à coup de pierres, les tables bancs calcinés. Pis, trois véhicules appartenant à cette école sont réduits en tas de ferraille. Les flammes ont noirci la peinture du bâtiment. Joint au téléphone, Mouminy Camara (Directeur des études du Cesti), présent sur les lieux au moment des faits, n’a pas voulu se prononcer parce que « les autorités de l’Ucad n’ont pas encore fait le point de la situation ».

Après le Cesti, on a fait cap à la Faculté des lettres et sciences humaines (Flsh). Ici, c’est le chaos total. Le panorama est indescriptible. Les casseurs ont été sans état d’âme. Ils n’ont rien épargné. Les dégâts sont démesurés. De nombreuses dégradations ont été commises. Au minimum, 20 bureaux ont été vandalisés. Le bureau des archives a été complètement incendié. Les images font mal. Des tas de paperasses carbonisés jonchent le sol. Des ordinateurs, des photocopieuses, des chaises, détruits, sont visibles pêle-mêle, un peu partout dans le nouveau bâtiment. Des tables-bancs, des armoires contenant des livres sont renversées çà et là. La salle de réunion, les salles des professeurs, le bureau local des mobiliers, le bureau de liaison université-entreprise, la case d’inscription pour les nouveaux bacheliers ont également subi les attaques des casseurs.  Deux bus et le véhicule d’un professeur de philosophie ont été incendiés. Cheikh Abdou Massaly est agent de sécurité dans cette Faculté, depuis 2017. Présent au moment des faits, il déroule le film des saccages. « Nous étions sept agents de sécurité sur les lieux quand les manifestants ont envahi la Faculté. Ils nous ont demandé de prendre nos bagages parce qu’ils vont mettre le feu à la Faculté. Sans même qu’on ait eu le temps de négocier avec les meneurs, certains ont mis du feu sur le bus. Ils étaient armés de scie à métaux, d’arrache-clou, de gros marteaux, de piques », explique M. Massaly. Selon lui, les casseurs ont défoncé la porte du bureau des archives, volé les ordinateurs, les photocopieuses et les télés avant d’y mettre le feu. Il poursuit : « Après le bureau des archives, ils ont pris d’assaut la case des inscriptions. Ils ont volé les 8 ordinateurs, les imprimantes, les serveurs, les machines qui servaient à tirer les cartes des nouveaux étudiants. Ils ont même emporté les robinets des toilettes et le coffre du disjoncteur ». Selon le vigile, même la buvette n’a pas été ménagée. Les assaillants, selon lui, ont mangé toute la nourriture qu’ils ont trouvée avant d’emporter la somme de 60 000mille FCfa qui était gardée dans la caisse.

Les caméras de surveillance ont tout filmé

À la question de savoir si ceux qui ont commis ces actes qui frisent le crime sont des étudiants, M. Massaly rétorque : « ceux qui étaient devant ne donnent pas l’air d’être des étudiants. S’ils sont des étudiants, ce sont des cartouchards. En plus, ils n’étaient pas lucides. J’en ai vu au moins trois qui détenaient des bouteilles de bière ».  À l’instar de M. Massaly, Souleymane Faye, agent de sécurité à l’Ucad, depuis 1992, dit être scandalisé et outré par ce qu’il a vu le jour des manifestations. Pour lui, ceux qui ont saccagé l’université ne sont pas des étudiants, mais ils avaient mûri leur plan bien avant. « C’est la première fois que je voyais de supposés étudiants commettre de tels actes. Il y a toujours eu de grèves et de saccages au sein de l’université, mais les étudiants ont toujours fait la part des choses. Ils n’ont jamais incendié encore moins saccagé les bureaux. Ceux qui ont commis ces actes n’étaient pas dans un état normal. Les pertes sont énormes. Elles dépasseront des centaines et des centaines de millions de Fcfa », dit M. Faye. Il affirme qu’ils seront tous arrêtés parce que la grande caméra de surveillance a filmé toute la scène.

La bibliothèque de l’Ucad n’a pas été visitée par les manifestants. Mais les vitres du cyber ont été cassées et un bus et cinq véhicules particuliers qui étaient garés dans le parking ont été incendiés. L’un des agents de sécurité trouvés sur place, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, renseigne que les véhicules particuliers appartiennent à des travailleurs de la bibliothèque. « Ils les avaient laissés ici et sont rentrés à pied parce que la situation était tendue. Ils ont pensé que leurs voitures seraient protégées, hélas ! ».

Le chapiteau de la fac droit et le véhicule du Pr Isaac Yankhoba Ndiaye réduits en cendres

À la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp), le chapiteau est complètement calciné. L’image est désolante. Le bruit des zincs complètement noircis et les gazouillis des oiseaux accueillent tristement les visiteurs. Des bacs à ordures, des morceaux de chaises, des troncs d’arbres jonchent le sol. De l’autre côté, c’est-à-dire à l’entrée principale de la Faculté, une carcasse de voiture garée devant le bâtiment qui forme des juristes est visible. L’un des agents de sécurité trouvés dans le hall nous informe qu’elle appartient au Professeur Isaac Yankhoba Ndiaye. Dans cette Faculté, les salles de travaux dirigés, la salle des professeurs et les amphithéâtres ont été saccagés par les manifestants. Des détritus de vitres cassées et des pierres couvrent le sol. C’est le même panorama à la Faculté de médecine et d’odontologie où, de loin, on peut voir les vitres brisées.

leSoleil

Fatima Seck

Author

Fatima Seck

Up Next

Related Posts