Trait Pour Trait : Mamadou Amat Niasse, Sycomore de la presse sénégalaise Par Amadou Kébé

« Échec et mat ? Non, Mamadou et mat ! ».

Avec lui, les échecs deviennent une partie de rigolade. Il gagne toujours, mais personne ne sait comment. Les mots sont ses pièces et l’humour son roi. Un article signé Amat ? C’est comme un coup de maître. Tu te dis : « Ah oui, bien joué ! », tout en éclatant de rire. En conférence de rédaction, il peut transformer un silence lourd en sketch improvisé. Les journalistes « sérieux » froncent les sourcils ?

Tant mieux, il adore cela. Avec un seul mot, il déstabilise, amuse, et parfois rend hommage à la réalité sans qu’on s’en rende compte. Les lecteurs pensent qu’ils viennent chercher seulement de l’info… et repartent avec une bonne dose de sourire et un petit « Ah, sacré Amat, encore lui ! ».

Il a le don de raconter le monde avec sérieux… mais sans jamais se prendre au sérieux. Un problème politique ? Une phrase qui fait mouche et la tension disparaît. Une affaire économique compliquée ? Amat la transforme en petite anecdote que même ton voisin comprendrait. Et pourtant, derrière les blagues, il y a un journaliste méticuleux, rigoureux, connaisseur et humble. Un intellectuel reconnu et respecté par ses pairs. Mais il le fait avec un tel humour que même ceux qu’il dépeint finissent par rire avec lui.

Avec Mamadou Amat, l’information devient une partie d’échecs hilarante, tu peux perdre la bataille, mais tu rigoles jusqu’au mat ! Avant l’alternance de 2000, Amath, alors journaliste à l’Agence de presse sénégalaise (Aps), décroche un entretien avec Abdoulaye Wade. Tout se passe bien, jusqu’au moment où il découvre que son dictaphone est resté muet comme une carpe.

Beaucoup auraient jeté l’éponge, mais pas Amat. Journaliste intelligent et rigoureux, il fait parler sa mémoire et recompose l’interview, mot pour mot, comme par magie. Après la parution de l’interview, Wade, tout sourire, l’appelle : « Comment as-tu fait pour reconstituer l’interview ? »

Imperturbable, Amat répond : « J’ai pris note ». Wade éclate de rire et déclare : « Ah ! tu es un sacré preneur de note ! ». Cette anecdote résume bien Amat : un journaliste capable de transformer un désastre technique en un exploit journalistique.

Ce journaliste que tous ses pairs admirent a passé presque toute sa carrière journalistique à l’Agence de presse sénégalaise jusqu’en 2000 pour l’Agence panafricaine d’information (Panapress). D’abord à Louga.

Amath, le journaliste et l’intellectuel

Le goût de Mamadou Amath Niasse pour le journalisme naît d’une anecdote presque banale. En classe de cinquième, un camarade lui confie que « les étudiants en journalisme, on leur donne des appareils photos tout neufs et des magnétophones ». L’image frappe l’adolescent, qui se met à imaginer un métier où l’on capte le réel avec des outils modernes. À la maison, chaque soir, il guette le journal «Le Soleil» que son père rapporte en rentrant du boulot.

« Je lisais pratiquement tout, sauf le sport », se souvient-il. En octobre 1974, tout s’accélère. À peine son bac en poche, il est admis au Cesti. Son premier professeur, Paul Bédard, bouscule les représentations des étudiants fraîchement sortis du lycée. « Nous pensions qu’il fallait écrire comme les philosophes, avec des phrases longues et compliquées. Mais il nous a appris que le journalisme, c’est la simplicité », se rappelle t-il.

Cette découverte est une libération. Désormais, Amat sait que le métier repose sur la clarté, pas sur l’effet de style. Son entrée dans la vie professionnelle, en revanche, n’est pas un long fleuve tranquille. Après un très court passage à L’Ouest-Africain et un petit mois à Promotion, il finit par se retrouver à l’Aps, où il avait fait ses stages pendant qu’il était au Cesti. Le directeur lui avait promis un poste, mais le moment venu, aucun budget n’était prévu. Le jeune diplômé se retrouve sans emploi. « J’ai été l’un des premiers journalistes diplômés chômeurs », raconte-t-il avec ironie. Les mois passent, jusqu’au jour où un poste se libère, enfin. L’agence le rappelle. Le parcours peut commencer.

À l’Agence de presse sénégalaise, Amath est le troisième diplômé du Cesti recruté, après Abdou Gningue et Souleymane Guèye. Très vite, avec d’autres collègues nouvellement diplômés comme Saliou Traoré et Ibrahima Bakhoum, il forme une génération décidée à moderniser la rédaction. Un soutien précieux lui vient de Kader Diop, journaliste à l’Afp, qui lui confie le guide rédactionnel de l’agence française.

« Ça nous a beaucoup aidés, c’était déterminant ». Sans oublier sa riche expérience à Panapress, en tant que journaliste puis chef du desk français. Le terrain, lui, devient une véritable école. À Louga, puis à Saint-Louis, il suit les déplacements des gouverneurs, des ministres ou du président de la République. Il couvre des événements majeurs, comme la pose de la première pierre du barrage de Manantali. Ces reportages l’ancrent dans le pays profond.

« C’est dans les régions que j’ai vraiment compris le fonctionnement du Sénégal », confie-t-il. Derrière les dépêches, il a cherché à restituer une réalité vécue, dans pas seulement des faits bruts. Aujourd’hui, en enseignant au Cesti, il transmet cette double expérience de praticien et de pédagogue.

« J’essaie de montrer aux étudiants que le journalisme n’est pas de la littérature compliquée. C’est informer clairement, pour être compris et entendu ».

Le parcours de Mamadou Amat Niasse illustre ainsi une tension permanente : entre la théorie et la pratique, entre l’urgence du terrain et la réflexion critique, entre l’obstacle du chômage et la reconnaissance à l’Aps. C’est dans ces aller-retour que se dessine la figure du journaliste-intellectuel, un res cogitans, comme dirait Descartes. Le journaliste Sidy Diop le qualifie d’ailleurs de « dictionnaire ».

L’intellectualité de Mamadou Amath Niasse se lit dans sa manière d’écrire et de parler. Il manie les mots avec une précision quasi chirurgicale. Une nuance mal placée ou un terme approximatif peuvent changer le sens d’un texte, et il ne transige pas avec cette exigence.

Ses dépêches à l’Aps, comme ses cours au Cesti, portent la marque de cette vigilance. Sa mémoire impressionne tout autant. Niasse se rappelle les dates, les noms, les lieux et les détails des événements qu’il a vécus ou étudiés, comme si rien ne s’effaçait. Cette mémoire hors du commun, alliée à une attention constante au réel, lui permet de relier les faits entre eux et de restituer des contextes entiers sans hésitation.

Elle renforce son autorité d’intellectuel du journalisme, capable non seulement de raconter, mais aussi de conserver et de transmettre. Amat est aussi un grand passionné de cinéma. Il se rappelle d’ailleurs son papier sur « Bal poussière » du Franco-Ivoirien Henri Duparc que «Le Soleil» avait repris. Ainsi, pendant quatre ans, Mamadou Amat a tenu dans les pages de Sud Hebdo la rubrique « Clin d’œil » de Yamatélé (le sobriquet qui lui avait été collé), devenue au fil du temps un incontournable pour les lecteurs.

Avec son humour singulier, parfois taquin, mais toujours intelligent, il commentait l’univers télévisuel à sa manière. C’est tout lui. Mais, dans son travail journalistique, il défend une éthique exigeante, fondée sur la rigueur, la vérification des faits et le refus de toute complaisance. « Ce que je voudrais qu’on retienne de moi, c’est surtout l’aspect humain. Il faut être intègre et loyal », explique-t-il.

Cesti et mat Quand on a cours avec M. Niasse, on sait carrément qu’on ne va pas s’ennuyer pour deux heures. Ce sera du pur régal intellectuel et humain. C’est l’encadreur qui encourage toujours l’étudiant, quel que soit le contenu qu’il lui présente, mais qui est également méticuleux et exigeant en ce qui concerne la qualité du travail. Une virgule de trop, un accent de travers ou une faute banale, rien n’échappe à sa vigilance. « Je suis allergique aux fautes ».

C’est ce qu’il ne cessait de nous dire en cours », confie Boubacar Faye, journaliste et ancien étudiant d’Amat. La rigueur, voilà ce qui caractérise Amat. Ses étudiants trouvent en lui un émule tant sur le côté professionnel qu’humain.

« Mamadou Amat Niasse nous a rendu visite au campus avant la fin de notre séjour au Cesti, ce qu’il n’a pas fait depuis des années avec nos aînés. Un professeur qui rend visite à ses étudiants au campus social autour du thé. De tout mon parcours, je ne l’ai jamais vu. Et Amat a partagé un bon et long moment avec les camarades de la presse écrite », renchérit Boubacar Faye.

Ces mots, on les retrouve aussi dans la bouche de ses étudiants de la 53e promotion du Cesti. Ceux qui côtoient Mamadou Amat savent combien il a le goût de la transmission, cette envie sincère de partager ce qu’il sait sans jamais se poser en détenteur de vérité. Toujours disponible pour orienter, conseiller ou simplement échanger, il offre son expérience avec modestie, convaincu que la connaissance n’a de valeur que lorsqu’elle circule.

Cette expérience, il la partage aussi avec la Commission électorale nationale autonome (Cena), où il travaille depuis quelques années en qualité de conseiller en communication. Voilà Amat, toujours prêt à dégainer une vanne plus vite qu’un titre, à corriger une copie tout en lançant une pique bien sentie, à défendre la rigueur du journalisme sans jamais perdre le sourire. Un mélange rare de sérieux et de légèreté, de lucidité et de malice, bref, un journaliste qu’on écoute, qu’on lit et qu’on finit toujours par citer.

Source quotidien Le Soleil

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