Introduction- En réagissant à l’annonce par l’honorable député Amadou Ba, député de la majorité, de son intention de déposer dans les jours à venir, sur le bureau de l’assemblée, une proposition de loi proposant une suspension temporaire de toutes les opérations foncières par les collectivités territoriales (CT) jusqu’après les élections territoriales qui devraient intervenir, sauf extraordinaire, en février 2027.
A défaut d’aller vers des territoriales anticipées, des députés de la majorité ne rejettent plus l’idée d’une mise sous délégations spéciales de toutes les collectivités territoriales dans lesquelles les maires sont confondues de mauvaises gestion foncières.
Ce qui nous rappelle le fameux mandement Moussa Sy intervenu en novembre 2001 suite au report des élections locales prévue la même année. A défaut de les mettre sous délégation spéciale, il faut désarmer les élus de leur principale source de revenu : le foncier. Trève de conjecture, en attendant lecture du texte de la proposition de Loi.
Cela dit, l’intention de l’honorable député d’endiguer la prédation et la dilapidation des ressources foncières par les CT est louable et est un bel exemple de la posture d’un élu du peuple dans la défense de l’intérêt général. Toutefois, les termes de la présentation de l’initiative, en plus de suspendre les opérations foncières, préconisent le retrait des compétences en matière foncière des CT au profit de l’État central. Mieux, l’idée de doter ces compétences à l’ANAT est une autre annonce dont la matérialisation remet en cause toute l’architecture administrative et institutionnelle en matière foncière, d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de décentralisation.
À plusieurs égards, les explications relatives au projet de proposition de loi (en attendant d’en lire les termes) ne se limitent pas uniquement à geler l’action des collectivités territoriales en matière foncière, elles remettent en cause les progrès de la décentralisation acquis de haute lutte et qui semblent, depuis quelques années, marquer le pas (nous y reviendrons) et révèlent une confusion dans les rôles des différentes administrations en charge de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Pour prévenir certaines incohérences politiques qui naîtraient inéluctablement d’une réforme précipitée et en rebondissant sur les brillantes contributions de nos collègues sur le (CRU), nous ferons quelques rappels sur les prérogatives dévolues et encadrées des administrations en charge de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.
Les analyses sur la gestion foncière au Sénégal mettent en lumière l’enjeu stratégique que constituent l’aménagement du territoire et l’urbanisme. Un enjeu stratégique bien compris par les nouvelles autorités politiques issues de l’alternance férivier 2024 en posant deux actes majeurs : 1) la réunification au sein d’un même département ministériel de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire et des collectivités territoriales, 2) en érigeant l’aménagement des territoires et le développement durable en axe stratégique du développement national. Ces deux actions sont la preuve de la clairvoyance des autorités au sommet, mais pour plus de cohérence dans les interventions au niveau des structures opérationnelles et eu égard des positions exprimées par certains acteurs, il semble crucial, pour ne pas rajouter des incohérences supplémentaires (il y en a eu tant par le passé), de distinguer les domaines d’intervention de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, afin de mieux comprendre les implications de la proposition de l’ honorable député Amadou Ba.
Domaines d’intervention de l’aménagement du territoire
L’aménagement du territoire, dans sa définition la plus simple, concerne la structuration et l’organisation de l’espace national en fonction des dynamiques économiques, sociales et environnementales. Il vise à assurer un développement harmonieux du pays en réduisant les déséquilibres territoriaux et en optimisant l’utilisation des ressources. Son échelle d’intervention est nationale, régionale et intercommunale.
Il a pour objectif de : – réduire les disparités entre les régions (désenclavement, équité territoriale) ; – orienter les investissements publics en infrastructures (routes, ports, aéroports, énergies, TIC) ; – préserver et valoriser les ressources naturelles et foncières ; – définir les pôles de développement (villes intermédiaires, hubs économiques, corridors logistiques) ; – adapter le territoire aux enjeux climatiques et environnementaux.
En 2009, l’État du Sénégal crée l’Agence nationale de l’Aménagement du territoire (ANAT), investie d’une mission de service public visant à assurer une planification et une gestion efficaces du territoire national. Ses objectifs principaux incluent, entre autres :
- la structuration de l’espace et la valorisation des ressources : assurer une bonne structuration de l’espace et une valorisation durable des ressources et potentialités des territoires ;
- la gestion du référentiel géodésique national : assurer le développement et la gestion du référentiel géodésique national dans ses dimensions horizontale et verticale;
- la collecte et la maîtrise de l’information territoriale : assurer la collecte, la maîtrise de l’information territoriale ainsi que la conservation de la documentation territoriale ;
- la cartographie thématique : réaliser la cartographie thématique du Sénégal, la cartographie numérisée des territoires et élaborer un atlas du Sénégal.
Ces missions permettent à l’ANAT de jouer un rôle central dans la planification stratégique et la coordination des politiques publiques en matière d’aménagement du territoire.
Domaines d’intervention de l’urbanisme
L’urbanisme concerne l’organisation, la gestion et la réglementation de l’espace urbain et rural à l’échelle locale. Il traduit les orientations d’aménagement en règles d’utilisation du sol et en projets concrets pour structurer les villes et villages. L’urbanisme intervient à l’échelle communale et intercommunale.
Son objectif est de : – planifier la croissance urbaine (délimitation et extension des villes) ; – organiser l’habitat, les équipements et les infrastructures locales ; – réglementer l’occupation et l’utilisation du sol (zonage, densification, mixité fonctionnelle) ; – préserver les espaces verts et les réserves foncières ; et assurer l’intégration sociale et la cohérence architecturale des villes.
L’urbanisme se concentre sur l’organisation et la gestion des espaces urbains et ruraux à une échelle locale. Il englobe :
- la planification de l’utilisation des sols définit les zones résidentielles, commerciales, industrielles et récréatives pour assurer une utilisation cohérente et efficace du territoire ;
- la conception des infrastructures, planifier les réseaux de transport, les systèmes d’approvisionnement en eau, les installations sanitaires et autres infrastructures essentielles au bon fonctionnement des zones urbaines ;
- la réglementation et le contrôle ; établit des normes et des règlements pour guider le développement urbain, préserver le patrimoine architectural et assurer la sécurité des constructions.
L’urbanisme vise ainsi à créer des environnements de vie fonctionnels, durables et esthétiquement agréables pour les communautés locales.
- Oui pour une gouvernance foncière transparente avec et par les communautés. La proposition du député Amadou Ba de suspendre la gestion foncière par les collectivités territoriales jusqu’aux prochaines élections locales concerne principalement la gouvernance et l’administration des terres à l’échelle locale. Cette proposition vise à recentraliser temporairement la gestion foncière pour, potentiellement, améliorer la transparence et l’efficacité de cette gestion.
Cependant, cette initiative ne semble pas directement liée aux missions de l’ANAT, qui se concentrent sur la planification stratégique à l’échelle nationale, ni à celles de l’urbanisme, qui s’occupent de l’organisation spatiale à l’échelle locale. La gestion foncière par les collectivités territoriales est une composante opérationnelle de l’administration locale, tandis que l’ANAT et les services d’urbanisme jouent des rôles plus axés sur la planification et la coordination.
Suspendre cette compétence pourrait avoir des implications sur la gouvernance locale et la participation des communautés au développement de leur territoire. Il serait donc pertinent d’évaluer les impacts potentiels d’une telle mesure sur l’efficacité de la gestion foncière et le développement local, tout en tenant compte des rôles respectifs de l’ANAT et des instances d’urbanisme.
En définitive, le Sénégal doit adopter un système national de Planification Spatiale Intégrée (SNPSI) qui coordonne efficacement l’aménagement du territoire et l’urbanisme, en clarifiant leurs champs d’intervention respectifs tout en assurant leur complémentarité. Ce système doit permettre une gestion cohérente du territoire, en anticipant les dynamiques de croissance et en intégrant les enjeux socio-économiques, environnementaux et infrastructurels. C’est sans doute l’un des principaux chantiers du New Deal Tecnologique qui vient d’être lancé.
Conclusion Il est essentiel de distinguer les rôles respectifs de l’aménagement du territoire, des services d’urbanisme et des collectivités territoriales dans la gestion et la planification du territoire. La proposition du député Amadou Ba touche à la gouvernance foncière locale, mais n’affecte pas directement les missions de l’aménagement du territoire ni les pratiques d’urbanisme.
Une clarification des compétences et une meilleure coordination entre ces différentes entités pourraient toutefois renforcer l’efficacité globale de la gestion territoriale au Sénégal. Le Sénégal doit adopter une planification spatiale intégrée, combinant vision stratégique et mise en oeuvre territorialisée. L’aménagement du territoire fixe les grandes orientations (ce qui est déjà fait avec l’adoption du PNADT et la Loi d’orientation sur l’Aménagement du territoire), tandis que l’urbanisme les traduit localement. Ce système permettra un développement équilibré et durable du pays, en évitant les disparités et en renforçant la résilience urbaine et rurale.
Souleymane Diallo
Expert-urbaniste/écrivain
Conseiller municipal
Auteur : La Ville aux Fromagers : par loyauté et par devoir, Harmattan 2024
E-mail : dialojules@gmail.com