Ce scandale n’est pas le premier à soulever l’indignation générale de notre peuple. En 1986 on a vécu celui de CAIRE 86. Pour accompagner les lions de la téranga en phase finale de la CAN, une collecte nationale avait été organisée. À l’époque, même les vendeuses de cacahuètes dans la rue avaient contribué.
Les fonds avaient été par la suite vilainement dilapidés soulevant une immense vague d’indignation nationale mais il n’y a pas eu de suite. En 2002, en marge de l’exploit des lions du football qui sont allés jusqu’en quart de finale de la coupe du monde, un énorme scandale avait également été révélé par la Cour des Comptes mais, là également, en dépit d’inculpations de quelques responsables, l’affaire n’avait pas été traitée au fond.
Avec la COVID-19, il était question de vies et de morts à l’échelle du monde. L’émotion, la peur et l’angoisse qui s’étaient emparés de toute la planète n’avaient pas épargné le Sénégal où s’était dessiné un vaste front uni pour faire face à la pandémie. Et patatras ! Ce que beaucoup redoutaient sans trop y penser se produisit. L’argent a été pillé.
Mais, par-delà la dilapidation de l’argent public – pratique courante depuis toujours – ce qui fait froid dans le dos c’est l’insouciance avec laquelle les faits ont été commis alors que des gens mourraient faute de masques, de logistique, d’argent, etc. C’est cela qu’il faut analyser pour en dévoiler les profondeurs.
Scandale CAIRE86, scandale Mundial 2002, scandale COVID-19. Nous devons nous poser la grave question de ce qui ne va pas dans notre société. On surprend dans les réseaux sociaux des commentaires du genre : « Que personne ne nous fatigue l’argent a été bouffé, c’est tout ! On passe à autre chose ».
Il importe de comprendre que les malversations au sommet de l’État dans les Administrations antérieures dans un contexte d’impunité ont fini par déteindre dans de vastes pans de la société au point que le crime économique est banalisé par beaucoup de sénégalais. Combien sont-ils à penser ainsi ? Combien, placés dans les mêmes conditions que celles et ceux qui ont massacré l’argent public, auraient agi différemment ?
Donc, il faut dénoncer et s’indigne, il faut condamner et punir avec la sévérité requise, mais il faut aussi aller plus loin dans la cure dont ce pays et cette société ont besoin. Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum disait « na ñu sàngat réew mi ». Il faut un bain rituel au pays. Façon de parler. Il s’agit d’engager un cours nouveau qui nécessitera l’abandon de beaucoup d’anciennes habitudes.
C’est pour toutes ces raisons qu’on doit se féliciter de voir que pour cette fois-ci, contrairement à ce que toute l’histoire post indépendance du pays nous montre, une opération de cette ampleur est déclenchée. D’abord avec une juridiction différente de la CREI (juridiction d’exception clairement à la solde du pouvoir de l’époque) et ensuite avec une volonté politique affichée d’éradiquer à terme ce cancer qui entrave gravement notre marche vers le développement et mine notre équilibre sociétal.
Après s’être félicité de l’initiative, il faut aussi la soutenir fermement et largement. Cette bataille doit être gagnée par les pouvoirs publics qui l’ont engagée. Ils seront attaqués et critiqués mais, pour autant, on ne verra personne se féliciter de la dilapidation des fonds COVID-19 et c’est cela l’essentiel.
Toutes ces dérives nous proviennent d’une société malade depuis trop longtemps et laissée à elle-même sans thérapie.
Mamadou Diop
Decroix