Samedi 25 Janvier 2009- Samedi 25 Janvier 2020 : XIème anniversaire du Rappel à Dieu du Président Mamadou DIA

Ce XIème Anniversaire du Rappel à Dieu du Président Mamadou DIA coïncide avec la mutation annoncée du Franc Cfa en « Eco- Cfa (ou Eco-Uemoa) appelée plus tard à muter en « Eco-Cedeao ». La déclaration du Président Alassane Ouattara le 21 décembre 2019 à Abidjan continue de faire débat et c’est  tant mieux.

J’ai pensé partager avec vous  l’analyse que fit le Président DIA des rapports  entre la France et la Fédération du Mali (Soudan et Sénégal) à l’aune des conventions économiques et financières en vigueur en 1960∙

Une sorte de d’éclairage d’outre-tombe des enjeux de l’heure. Un feu d’artifice d’érudition et de probité.

Le Pr François Perroux du Collège de France le définit comme « un homme exceptionnel de rang, de qualité et d’énergie∙. Un spécialiste des affaires économiques, peut-être la seule personne dans un Etat africain, à s’être intéressée à un tel degré à ces problèmes∙∙∙ c’est une personne de calme et de pureté »

A Diarama Ngari Mawndi

Docteur Ibrahima Deme

DriDEMEgf@

 

Les Nouveaux Rapports Franco-Maliennes : Une Breve Analyse Des Conventions Economiques Et Finanacieres*

Par Mamadou DIA, Président du Conseil des Ministres de la République du Sénégal et Vice-président de la Fédération du Mali

En accédant à l’indépendance, le Mali a tenu à faire de cette indépendance un outil efficace de développement. De là le souci qu’il a manifesté de donner à ses nouveaux rapports avec la France, une définition originale qui lui permet de concilier indépendance et interdépendance, ce dernier impératif s’appliquant, non seulement à ses relations avec l’ancienne métropole, mais aussi et surtout avec les nations oust-africaines en voie de se faire.

Nation souveraine, le Mali sera, dans ses nouveaux rapports avec la République française, maitre de son commerce extérieur, dans la mesure où cette souveraineté a une signification pour toutes les nations, petites ou grandes, dans ce monde interdépendant. Il dispose de la faculté d’avoir sa monnaie, son institut d’émission, comme tout pays souverain, du pouvoir de se rattacher à telle zone de solidarité qui lui plait ou de créer sa propre zone monétaire si tel est son intérêt ou son désir. Il choisit pour ses échanges les partenaires qu’il veut. Il est maitre de son régime fiscal, contrôle le crédit, les mouvements de capitaux. Il fixe le statut des investisseurs, établit son plan et en arrête les détails d’exécution, en discute les moyens de financements, compte tenu des objectifs nationaux.

Mais, le Mali, étant une « nation-solidarité », poursuit son développement au sein d’une zone de solidarité dont le cadre technique a pour nom « zone franc » et le cadre institutionnel, Communauté.

Ayant accepté le dialogue, non seulement avec la France mais avec les Etats Frères de la Communauté, en raison de son option en faveur de l’Unité africaine, il ne peut user de son droit de définir sa politique économique et financière, et surtout de la mettre en œuvre, sans se préoccuper des répercussions qu’elle peut avoir sur celles de ses partenaires. Il doit donc consentir aux consultations, aux confrontations qui seules assureront une harmonisation des attitudes diverses. Ce dialogue élevé la hauteur d’une institution se déroulera au sommet, au sein de conférences périodiques de chefs d’Etats et de gouvernements, et, à un niveau plus bas, au sein d’organismes techniques spécialisés.

Ayant choisi librement d’assumer son développement dans le cadre d’une zone définie de solidarité, celui de la zone franc, le Mali renonce volontiers à avoir, pour le moment, sa monnaie propre, sa banque propre d’émission. Il refuse de céder à la tentation facile de se parer de signes trompeurs pour le plaisir d’affirmer une souveraineté de façade.

Il sait que la possession d’une monnaie n’est pas une garantie d’indépendance, qu’il y a des monnaies dominantes et des monnaies dominées  et que la lutte des deux blocs repose, au fond, sur l’hégémonie de deux monnaies, le dollar et le rouble dont toutes les autres monnaies nationales, y compris la récalcitrante livre sterling, ne sont que des satellites économiques. Il sait qu’en dehors des questions techniques que soulève la mise en circulation d’une monnaie nationale, il y a pour un jeune Etat qui s’engage dans cette voie, la tentation redoutable de glisser très vite dans la facilité et d’exposer l’économie à des mesures monétaires dont les conséquences peuvent être désastreuses sur le plan intérieur et sur le plan extérieur.

C’est qu’effectivement, pour le Mali, il s’agit de faire prévaloir une conception de la zone monétaire plus conforme à l’évolution : celle de la zone franc, non plus spécifiquement zone monétariste, mais plus exactement « zone de croissance et développement». Ce ne sera pas un des moindres mérites de la délégation malienne que d’avoir fait triompher ce point de vue, qui sauve la cohésion de la Communauté.

Il est clair que c’est faute de ne l’avoir pas accepté que les accords franco-marocains, franco-tunisiens et franco-guinéens ont abouti rapidement aux échecs que l’on sait. Plus déterminant, en effet, que les contextes politiques qui, çà et là, n’étaient pas de nature à faciliter les relations entre la France et ses partenaires successifs, a été le triomphe de la thèse monétariste lors de la conclusion des accords sur l’évolution des rapports avec ces derniers.

Une « zone monétaire-carcan» est, par définition, un cadre impropre à permettre le jeu d’un mécanisme de coopération. Parfaitement concevable dans une Communauté de dépendance ou subsiste des rapports de puissance et de sattellisme économique, elle est inacceptable dans une Communauté fondée sur le mécanisme du Développement Réciproque, c’est-à-dire une solidarité réelle qui exclut la subordination des uns, fussent-ils les plus faibles, aux intérêts des autres. Pour avoir tourné le dos à cette perspective, la zone franc était vouée aux fissures que l’on a eu à déplorer sur ses flancs, et l’expérience franco- malienne ne connaitrait pas un sort meilleur si elle voulait ignorer cette leçon d’une histoire récente. Dans la Communauté contractuelle, la zone franc étant fondamentalement zone de croissance et de développement, le Mali dispose, en contre partie des limitations de souveraineté qu’entraine l’appartenance à une même zone de solidarité, d’un certain nombre de facilités nécessaires à son libre épanouissement. Il jouit, conformément aux accords, d’un contrôle réel sur les organes centraux de la zone qui ne peuvent plus imposer unilatéralement des décisions graves, ou mettre les autres partenaires devant le fait accompli, notamment en matière monétaire.

On se reportera, à cet égard, aux dispositions du Titre IV de la Convention sur la coordination des politiques monétaires, notamment l’article 25 qui stipule que «  toute modification apportée à la parité entre l’unité monétaire utilisée au Mali et le franc français, ne s’effectuera qu’après accord  entre les deux parties » et, qu’au surplus, « le gouvernement de la République française consultera le gouvernement de la Fédération du Mali dans le cadre des études pouvant être effectuées préalablement à toutes négociations éventuelles de rapport entre le franc et les monnaies étrangères et négociera avec lui les mesures propres à sauvegarder les intérêts légitimes de la Fédération du Mali ».

Si celle-ci accepte de faire sien l’Institut d’Emission français, elle s’en assure un contrôle effectif en participant à la nomination des directeurs des agences, en exerçant un droit de regard sur la gestion de la banque par l’intermédiaire du Comité monétaire dont elle désigne les membres.

En fait, le Mali s’adjuge la direction de la politique de crédit, du contrôle des changes, et des mouvements de capitaux, autant d’atouts d’importance capitale que d’autres Etats indépendants n’ont pu obtenir qu’à la suite de violentes ruptures.

Le Conseil malien de Crédit oriente la politique du crédit au Mali, formule des recommandations, prend des décisions, informe le gouvernement grâce aux communications qui lui sont adressées par la Banque centrale sur l’évolution des dépôts bancaires, des emplois bancaires, des concours de réescompte, des risques bancaires par catégories d’activités, des mouvements de transferts avec l’extérieur (art. 28). Il peut, indépendamment des attributions qui lui sont dévolues, exercer sur le territoire de la Fédération les compétences que lui déléguerait le Conseil supérieur du Crédit.

S’il le veut, le gouvernement de la Fédération sera représenté, non seulement au Comité monétaire  de la zone franc, mais à d’autres organismes communs dont le Comité des Investissements étrangers, le Comité des Affaires économiques et financières, la Commissions des Accords commerciaux et « toutes formations multilatérales à compétence économiques ou financière » (art. 34).

L’article 24 prévoit expressément que les deux parties ont la faculté, à tout moment, de mettre fin au régime monétaire établi « si ce régime paraissait, à l’une ou à l’autre, devenir contraire à la sauvegarde de ses intérêts légitimes ».

Et dans ce cas, il fixe, pour éviter les décisions brutales et unilatérales auxquelles exposent les accès d’humeurs qui doivent être bannis des rapports économiques, une procédure de révision comportant un délai préparatoire pour l’étude de la réforme et les modalités d’application. Il ne suffit pas, pour affirmer la solidarité de la zone, de réaliser la coordination monétaire, il faut aussi assurer la coordination des politiques commerciales et financières extérieures. C’est à ce souci que répondent les dispositions du Titre III.

Il est apparu nécessaire au Mali, pour rester fidèle à sa mission unificateur, de rappeler, de nouveau, dans les accords avec la République française, son attachement à l’Union monétaire douanière des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Le Mali est, en effet, convaincu qu’il ne peut y avoir de développement économique, et en particulier de développement industriel, si un protectionnisme anachronique et aberrant se dressait entre les pays de l’Ouest africain, dont l’intérêt est de constituer sans tarder un Marché commun, des barrières douanières.

Concernant ses relations avec la République française, il y aura un régime de préférence réciproque et l’acceptation d’une procédure de consultation, s’agissant des plans d’importation et des accords internationaux à conclure avec des pays tiers. La réglementation des changes de la zone franc s’appliquera sur l’ensemble du territoire de la Fédération du Mali mais c’est à celle-ci que revient le contrôle, par délégation des autorités centrales monétaires aux autorités fédérales qui nomment les directeurs des offices.

Le Mali dispose pour ses transactions avec les tiers d’un compte en dollars, monnaie de compte, « crédit de la contre-valeur des recettes en devises et des dons et prêts en devises » qu’il obtiendrait d’organismes internationaux ou de tiers. Il peut recevoir une allocation supplémentaire « de droits de tirage » sur les réserves de la zone, calculée globalement pour chaque catégorie de devises, compte tenu des besoins de l’ensemble des membres de la zone et du Plan de développement de chacun. Les accords créent, en outre, et fort judicieusement, une Commission franco-malienne, paritaire, appelée à assurer un dialogue permanent, puisque habilitée à connaitre de tous les problèmes concernant la coopération franco-malienne dans le domaine relatif à la coordination des politiques commerciales et financières, d’une part, et d’autre part, dans le domaine de la coordination des politiques monétaires.

Ainsi, c’est elle qui fixe, de façon concertée, les dérogations au régime préférentiel que peuvent motiver les nécessités de développement du Mali ; c’est elle rend les arbitrages en cas de désaccord au sein de l’office des changes entre directeur et conseiller technique ; c’est elle qui détermine les opérations qui pourraient être imputées comme supplément sur les comptes devises du Mali ainsi que le montant de l’allocation supplémentaire. C’est elle qui est saisie en cas de réforme du régime monétaire, et, d’une façon générale, chaque fois qu’il s’agit des modalités de l’accord. La convention pose, enfin,  sans entrer dans les détails, le principe de l’aide de France au Mali. L’article 10 du Titre II dispose que «  l’aide de la République française à la Fédération du Mali se manifestera notamment par la réalisation d’étude, la fourniture d’équipements, l’envoi d’experts et de techniciens, l’octroi de concours financiers ». L’article 11 suivant renvoie les modalités et les montants à des conventions à négocier ultérieurement.

Il convient de s’expliquer ici clairement.

Le Mali, qui a la doctrine que l’on sait dans le domaine de la politique monétaire, professe la même doctrine sur le plan de l’aide extérieure. Pour lui, celle-ci doit cesser d’être une aumône que l’on offre pour calmer une conscience de riche, ou un cadeau destiné à s’assurer une prépondérance de fait, politique ou économique, c’est-à-dire un nouvel instrument d’asservissement.

Elle doit être, au contraire, un des éléments moteurs du Développement réciproque mis au service de l’économie à développer, sans arrière-pensée, sans réticence, sans faux calculs et sans marchandages. Pour être réellement un moyen de développement efficace, l’aide ne peut être octroyée suivant la vieille routine de l’économie dominante, dans l’optique de l’assistance technique d’ancienne manière, au compte-gouttes, par nature d’opérations retenues arbitrairement sur un catalogue d’emploi dressé empiriquement.

Elle est nécessairement globale, pour permettre non plus l’exclusion de projets  isolés ou détachés au gré du donateur, suivant les impératifs de sa propre politique, mais la réalisation d’un Plan au sens dynamique du mot, établi dans une perspective de développement qui n’a rien à voir ni avec les hommes en place, ni avec les régimes. Pour les mêmes raisons d’ailleurs la formule de l’aide globale devra être la règle non seulement dans les rapports avec la France, mais aussi avec les pays tiers d’Est ou d’Ouest qui, on le sait, par le biais de l’assistance économique et financière, veulent développer une stratégie de domination. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point. S’agissant pour le moment de l’aide éventuelle de la République française au Mali, nous devons préciser que si la conception et la forme de celle-ci sont soumises à une adaptation nécessaire à l’optique de développement, cela n’en exige pas moins de la part du bénéficiaire un certain nombre d’obligations : au premier plan, celle d’accepter un dialogue franc et loyal qui permet l’harmonisation des politiques, celle de respecter les engagements contractés librement sans esprit de tricherie, celle enfin de soumettre la négociation bilatérale la procédure d’utilisation des crédits, dont il est important de s’assurer qu’ils ne seront pas détournés de leur destination qui demeure le financement exclusif du Plan de développement.

Il faudra admettre, en particulier, dans l’intérêt même du pays bénéficiaire, et pour donner un apaisement légitime au donateur, la possibilité d’un blocage des crédits d’aide pour empêcher que les dépenses somptuaires improductives ou les déséquilibres budgétaires puissent être couverts grâce à un recours à ces ressources. De telles pratiques de détournements doivent être considérées par tous comme relevant de la plus totale immortalité sur le plan de la solidarité internationale.

Cette analyse, même rapide, des accords économiques et financiers donnera l’occasion aux uns de parler d’excessive générosité, et aux autres de compromis, voire de compromission avec l’impérialisme. C’est un fait qu’aucune solution ne peut concilier à la fois les extrêmes. En adoptant la solution de la coopération par le Développement réciproque, nous sommes sûrs, au Mali d’avoir choisi pour notre peuple, et pour les peuples africains qui ne resteront pas insensibles à notre exemple, la voie la meilleure, parce que débouchant sur une double intégration de l’économie, au plan continental d’abord, et ensuite au plan mondial.

 

*Mamadou DIA : Nations Africaines et Solidarité mondiale, Paris, Presses Universitaires de France, 1960, pp117- 124

 

 

 

 

 

 

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