Projet de loi sur la sécurité intérieure : Vers l’abrogation de l’arrêté du 20 juillet 2011 dit arrêté « Ousmane NGOM »

« Ceux qui abandonnent une liberté essentielle pour acheter un peu de sécurité temporaire ne méritent ni liberté, ni sécurité. » Benjamin Franklin.

Le Sénégal, comme beaucoup de pays en Afrique n’est pas à l’abri du terrorisme, la situation dans le Sahel étant plus que préoccupante. ASUTIC reconnaît aussi qu’il est du devoir des pouvoirs publics de protéger la population et d’apporter des réponses concrètes et efficaces pour assurer sa sécurité.

Communiqué : Le Président du Sénégal, dans son discours lors de la rentrée des Cours et Tribunaux du 09 janvier 2020, après avoir fait le constat suivant: «­La présence du terrorisme dans notre voisinage immédiat est une réalité. Il est un fléau universel qui peut frapper en tout temps et en tout lieu. Nous devons nous préparer à faire face au pire par des mesures de traitements des risques­», a annoncé la soumission à l’Assemblée Nationale d’un projet de loi portant sur la sécurité intérieure.

Selon lui, «­il s’agit de donner à l’autorité publique des moyens adaptés aux risques encourus contre des attentats terroristes ou menaces avérées d’actions terroristes, tout en se conformant à nos engagements internationaux­».

La conclusion qu’on peut tirer de ces déclarations est qu’on est dans une logique de mise en place d’un dispositif légal de prévention des risques d’attentats terroristes à savoir une conception prédictive de la lutte antiterroriste.

Autrement dit, des citoyens pourraient être arrêtés non parce qu’ils prépareraient des attentats terroristes, mais bien parce qu’ils seraient susceptibles d’en commettre. Des personnes seraient ainsi mises en cause à partir de simples soupçons liés à des comportements, et non à des faits. Une logique de suspicion qui ouvre la voie à une forme de police de la pensée.

Même si ASUTIC partage la volonté du Gouvernement de protéger la population contre le terrorisme, il n’en demeure pas moins que ce basculement de logique de lutte antiterrorisme serait si dangereux pour l’Etat de droit et la démocratie au Sénégal qu’il ne saurait être tempéré par aucun amendement.

Le Sénégal dispose déjà d’un arsenal juridique antiterroriste, donnant la possibilité aux autorités d’enquêter, de placer en détention et de poursuivre en justice des personnes suspectées. Dans ce sens, la procédure pénale a été spécifiquement adaptée à la répression d’actes préparatoires au terrorisme (les perquisitions, les saisies, la surveillance informatique et autres techniques sont élargies).

Aussi, vouloir soumettre à l’Assemblée Nationale le vote d’un nouveau dispositif légal antiterrorisme signifierait que le droit pénal en cours avec ses puissants moyens d’investigation ne permet pas de lutter efficacement contre le terrorisme. D’ailleurs, les arguments du Gouvernement du Sénégal (chiffres ou exemples véritablement détaillés) révélant les lacunes structurelles du droit pénal existant, sont attendus.

Au vu de tous ces éléments, le projet de loi sur la sécurité intérieure pourrait se traduire par un renforcement considérable des pouvoirs attentatoires aux droits et libertés fondamentales attribués aux autorités administratives, en particulier au ministère de l’intérieur, en se fondant sur une conception extensive de la menace terroriste.

En conséquence, nous estimons que le projet de loi portant sur la sécurité intérieure pourrait aller dans le sens d’introduire dans le dispositif légal de lutte antiterrorisme de nouvelles normes, inspirées pour la plupart de la loi n°1969/29 du 29 avril 1969 relatif à ­l’état d’urgence et à l’état de siège au Sénégal.

Cette loi de 1969, qui ne cadre plus avec les normes régissant les libertés fondamentales au plan international, diminue les libertés publiques et accentue les pouvoirs de l’autorité administrative.

Au nom de la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement du Sénégal serait tenté à travers la loi portant sur la sécurité intérieure de s’arroger des mesures prévues dans le cadre du régime dérogatoire de circonstances exceptionnelles, conçu comme une suspension temporaire des droits et libertés garantis par la Constitution. Elles seraient ainsi inscrites dans le droit commun, pérennisées et permanentes.

Ce projet de loi pourrait ainsi permettre au pouvoir exécutif d’écarter le droit pénal, avec ses garanties associées au pouvoir judiciaire, au profit d’un droit administratif étendu qui déliera ses mains des attaches qui le retenaient de l’arbitraire. Ce serait, un transfert­ des pouvoirs­ du­ judiciaire vers l’exécutif, sans garantie d’indépendance

En somme, un affaiblissement du pouvoir judiciaire au profit du pouvoir exécutif mais pire encore une atteinte grave au régime Sénégalais des droits humains et libertés fondamentales.

Ce basculement historique aura un double avantage. D’abord, abroger l’arrêté n°7580 du 20 juillet 2011 dit arrêté « Ousmane NGOM » qui terni l’image du Gouvernement et ensuite l’inscrire dans la loi pour limiter voire éliminer les contestations et recours légaux contre les décisions des autorités administratives devant le juge administratif.

Les troubles sociaux et politiques pourraient aller crescendo avec le débat sur le 3éme mandat, le pouvoir en place se prépare à y faire face par l’élaboration d’un arsenal juridique qui lui donne les moyens légaux d’interdire et réprimer sévèrement toute manifestation politique ou sociale.

Déjà, nous voyons une des utilisations qui pourrait être fait de ces pouvoirs exceptionnels accordés aux autorités administratives, le ministère de l’intérieur en particulier. Celle qui consistera à étouffer les dynamiques de contestation politique, sociale et syndicale impliquant des rassemblements sur la voie publique.

En effet, le pouvoir d’instituer des zones de sécurité permettra aux Préfets d’interdire toutes les manifestations politiques, sociales et syndicales à la Place de l’Indépendance ou ailleurs dans le pays, sans qu’elles ne puissent être contestées légalement.

Donner à des autorités non judiciaires, en particulier les préfets et les policiers, un pouvoir discrétionnaire étendu, qui d’exceptionnels deviennent permanents et élargir la portée des procédures et pratiques de contrôle, présente le risque sérieux de conséquences invasives néfastes sur les droits humains et libertés fondamentales.

Ces pouvoirs permettraient ainsi au Gouvernement du Sénégal, sous couvert de lutte contre le terrorisme, de mettre en place un contrôle de l’expression sociale, syndicale et politique. Un danger pour la démocratie et l’Etat de droit.

Le projet de loi pourrait encadrer ces pouvoirs en apportant un certain nombre d’aménagements pour masquer l’arbitraire, les abus et dérives en attribuant aux citoyens le droit de recours pour excès de pouvoir pour défendre leur liberté. Mais dans les faits, les décisions du juge interviennent bien après les violations des droits et libertés. L’Etat de droit, garant du respect des droits fondamentaux, dans tous les cas, serait mis à mal.

Le champ d’application étendu des nouveaux pouvoirs exceptionnels qui pourraient être dévolus à l’exécutif est un motif de préoccupation pour l’ASUTIC car ce projet de loi pourrait permettre au régime en place de s’attribuer de façon permanente des pouvoirs autoritaires.

«­Il n’y a pas pire dictature que celle qui se déroule à l’ombre des lois avec les couleurs de la justice sous le parapluie de la démocratie­»

Aujourd’hui plus que jamais, ASUTIC est déterminé à exercer sa mission d’alerte, pour que le débat démocratique, étayé et réfléchi, l’emporte sur les fausses évidences des slogans sécuritaires à des fins politiques.

Afin d’éviter la confusion des pouvoirs, source d’arbitraire et d’inefficacité dans la conduite de l’action publique, le droit sénégalais doit continuer de distinguer l’intervention de la police administrative, dont la portée doit être par définition limitée faute de preuve, et l’action judiciaire répressive menée contre les personnes à l’égard desquelles il existe suffisamment d’éléments tangibles rendant plausible la commission d’un délit, d’un crime ou d’un acte terroriste.

En conséquence, l’Association des Utilisateurs des TIC (ASUTIC)­:

  • Demande,solennellement au Gouvernement du Sénégal, de ne pas s’inspirer des dispositions de la loi n°1969/29 du 29 avril 1969 relatif à ­l’état d’urgence et à l’état de siège­;
  • Rappelle,au Gouvernement du Sénégal que les mécanismes régionaux et internationaux des droits de l’homme affirment que les moyens légaux dont disposent les Etats pour lutter contre le terrorisme sont limités (Klass et autres c. Allemagne, 1978, paragraphe 49)­;
  • Souligne, que l’état d’exception doit demeurer provisoire et ne doit pas contaminer de manière permanente le droit commun­;
  • Appelleà la vigilance les organisations de la société civile, les défenseurs des droits humains en particulier, afin que l’Etat de droit soit préservé.

Fait à Dakar, le 19/ 01 / 2020
Le Président Ndiaga Gueye

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