Pape Alé Niang, itinéraire d’un journaliste sénégalais indocile –Jeune Afrique

Après une longue grève de la faim, Pape Alé Niang a été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Retour sur le parcours d’un trublion invétéré.

 

Le 10 janvier au soir, c’est un Pape Alé Niang très affaibli par une longue grève de la faim qui a pu quitter la maison d’arrêt de Sébikotane, dans la périphérie de Dakar, où il avait été placé en détention provisoire le 6 novembre 2022.

Sa première libération, le 14 décembre dernier, n’avait été qu’éphémère, la justice sénégalaise ayant peu apprécié que l’intéressé se soit épanché au micro d’un activiste sénégalais résidant au Canada à propos du dossier qui lui vaut d’être inculpé pour « divulgation d’informations de nature à nuire à la Défense nationale », « recel de documents administratifs et militaires » et « diffusion de fausses nouvelles »

La CAP [Coordination des associations de presse] adresse ses vifs remerciements à tous les journalistes, techniciens et acteurs des médias sénégalais, jeunes et anciens, qui n’ont ménagé aucun effort. Malgré un contexte très difficile, ils se sont mobilisés, se sont fortement engagés dans l’affaire Pape Alé Niang pour la défense et le respect des nobles principes de la liberté de la presse et d’expression, socles de notre métier », a déclaré, dans un communiqué, la CAP, qui s’est mobilisée dès la première heure pour obtenir sa libération.

Pétitions

Au cours des derniers jours, plusieurs appels partageant ce mot d’ordre avaient réuni, dans deux pétitions distinctes, plus de 80 journalistes et responsables associatifs africains d’un côté, et de nombreux acteurs politiques de l’autre, bien au-delà des frontières sénégalaises, à l’initiative, notamment, de Reporters sans frontières (RSF) et de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA).

Pape Alé Niang symbolise, par son parcours, une forme de journalisme qui, en Afrique comme sous d’autres cieux, a le don d’indisposer les pouvoirs. Sous deux présidents successifs, Abdoulaye Wade puis Macky Sall, ce quadragénaire,

à qui sa fine moustache et ses lunettes donnent un air de professeur, s’est fait une spécialité des révélations en tout genre.

« Lorsque j’étais présentateur du journal à Sud FM, à Dakar, lui-même y dressait la revue de presse, relate Ben Makhtar Diop, l’un de ses anciens mentors. Mais, dès cette époque, il avait un goût prononcé pour les grands reportages et les scoops. Il est plus têtu qu’une mule :quand il s’engage dans une enquête, il ne recule plus. »

Naufrage

Son premier fait d’armes notable, au début des années Wade, portait sur Le Joola, qui assurait la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor, en Casamance. Quelques jours avant le naufrage de ce bateau, le 26 septembre 2002, qui allait faire près de 2 000 victimes, Pape Alé Niangétait allé couvrir sa mise en service officielle. « Il avait alors diffusé un reportage à la fois critique et prémonitoire, se souvient Ben Makhtar Diop, dans lequel il soulignait qu’un seul des moteurs fonctionnait et que cela pourrait avoir des conséquences tragiques. »

Deux ans et demi après l’accession au pouvoir d’Abdoulaye Wade, cette catastrophe – dont les blessures ne sont toujours pas cautérisées–,somme de négligences coupables pourtant demeurées impunies, avait entaché le premier mandat du chef de l’État. Ce dernier en gardera longtemps rancune à Pape Alé Niang, l’oiseau de mauvais augure. « Un an plus tard, quand le président Wade est venu inaugurer le mémorial dédié aux victimes, à Ziguinchor, il l’a fusillé du regard », ajoute Ben Makhtar Diop.

Touche-à-tout

Ndeye Fatou Sy, elle aussi, l’a bien connu à ses débuts à Sud FM, où elle a officié de 1997 à 2008, comme journaliste puis comme rédactrice en chef. « Pape Alé Niang a débuté à Sud Banlieue, une antenne locale qui couvrait Pikine et d’autres communes de la banlieue de Dakar, précise-t-elle à JA. Il avait obtenu une licence de sociologie et touchait à tous les sujets. Mais c’est quand il a rejoint la rédaction de Sud FM àDakar qu’il a véritablement commencé à animer des émissions et à réaliser des interviews plus orientées vers la politique. »

Comme ses autres anciens collègues que nous avons interrogés, Ndeye Fatou Sy se souvient d’un journaliste « consciencieux et travailleur, quallait toujours au bout de ses sujets ». Autre souvenir unanime : « Il était toujours à l’affût d’informations de première main. » Si possible dérangeantes pour le pouvoir, quel qu’il soit.

D’autres révélations suivront. Car, très vite, le jeune journaliste délaissera la revue de presse de Sud FM pour le reportage et l’enquête. Parmiles dossiers sulfureux qu’il aura eu à traiter au cours des années Wade, celui, ô combien sensible, de l’assassinat de Babacar Sèye, l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel.

« Ses informations seront notamment utilisées par le journaliste Abdou Latif Coulibaly, son ancien professeur à l’Issic [Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication], dans le livre qu’il a consacré à l’affaire », ajoute Ben Makhtar Diop.

Au crépuscule du règne d’Abdoulaye Wade, Pape Alé Niang a suivi de près l’ascension de Macky Sall, cet opposant qui allait devenir président en 2012. Mais, rapidement, la nature reprend le dessus. Et l’électron libre s’intéresse aux turpitudes du nouveau régime.

Pointu et engagé

Après avoir fait les beaux jours du groupe Sud Communication, Pape Alé Niang fera le bonheur de plusieurs rédactions réputées : 2STV, WalfTV puis Sen TV. À 2STV, Mody Gaye l’a eu pour supérieur hiérarchique alors que lui-même n’était qu’un jeune stagiaire, avant de signer unCDI. « En tant que rédacteur en chef de l’information, il se montrait très pointu et engagé, présent au bureau le matin dès 6h30. Il nous incitait quotidiennement à faire des reportages et à délaisser les conférences de presse. Il ne voulait pas d’un journalisme passif et, sur les plateaux, lors des débats, il faisait en sorte qu’il y ait toujours des contradicteurs face aux invités. »

 

Puis Pape Alé Niang s’en va voler de ses propres ailes. Et choisit pour cela internet, où fleurissent les sites d’information – dont la plupart se livrent à de pâles copier-coller. Lui lance Dakar Matin, dont il parviendra, tant bien que mal, à assurer le financement, quitte à piocher parfois dans ses deniers personnels pour rémunérer la petite équipe qu’il a réunie. À l’origine, le site avait été fondé par Ousmane Sonko, qui le lui a cédé.

Ces empêcheurs de tourner en rond qui font la vitalité démocratique du Sénégal

« Pape Alé Niang nous a dit qu’on devrait se débrouiller avec les moyens du bord, relate Pierre Aloba Diemé, qui a rejoint Dakar Matin en décembre 2015. Notre axe éditorial : “Tout ce que les médias ne disent pas, nous le dirons.” À condition toutefois de disposer de documents pour étayer les accusations formulées, ajoutait Pape Alé Niang.

Du dossier Locafrique au blanchiment d’argent opéré par certains membres éminents de la communauté libanaise au Sénégal, Pape Alé Niang est donc entré en dissidence. Sans parler du dossier judiciaire, éminemment sensible, concernant l’opposant Ousmane Sonko. Là encore, Pape Alé Niang jette plusieurs pavés dans la mare en accréditant la thèse de conciliabules en coulisses susceptibles de démontrer la thèse d’un complot politique sous couvert d’une affaire de mœurs.

Le 2 novembre 2022, selon son collaborateur Pierre Aloba Diemé, le journaliste est revenu au bureau de Dakar Matin après une longue absence. D’avril à juillet, il était en effet parti aux États-Unis reprendre ses études, puis il avait télétravaillé à son domicile tout en rédigeant un mémoire universitaire.

« Il nous a dit : “Le gars va m’attraper !” » Le gars en question n’était autre que Macky Sall, précise Pierre Aloba Diemé. Chaque jour ou presque, Pape Alé Niang demande donc à ses collaborateurs si une convocation le concernant lui a été adressée. Il sait manifestement que lecouperet va bientôt tomber. Un dimanche de novembre, c’est chose faite. On vient l’arrêter pour le déférer devant la justice, qui décidera son placement en détention.

Popularité

Selon son associé, « à travers ses interventions en vidéo, Pape Alé Niang a rendu accessibles, en wolof, toutes sortes de révélations sur les dossiers brûlants et autres rapports du moment ». C’est ce qui expliquerait la popularité dont il a bénéficié au cours des dernières années et, possiblement, ses ennuis judiciaires – qui n’ont pas encore donné lieu à un procès.

Avant de bénéficier d’une première libération, le trublion du journalisme sénégalais avait dû rédiger de sa main, le 26 décembre dernier, sur la suggestion d’un intermédiaire influent lié à la présidence, un texte aux allures de pacte de non-agression : « À la suite de la demande de mes parents, de ma famille et de mes avocats, je m’engage à ne plus parler du dossier et de son environnement. Je ne me prononcerai plus, également, sur les forces de défense et de sécurité et sur les autorités qui les incarnent jusqu’au règlement définitif du dossier me concernant. »

Désormais en liberté, l’incontrôlable Pape Alé Niang parviendra-t-il à respecter cette

promesse ?

jeuneafriquecom

Oumou Khaïry NDIAYE
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