Non, il n’a pas compris ! (par Demba Ndiaye)

Si le calme revient dans ce pays dans les prochains jours et semaines, ce ne sera pas parce que le président de la République aura «compris» les raisons de la colère de sa jeunesse «terroriste» et apporté des réponses à leurs attentes et angoisses.

Parce que tout de même, le président de la République, pense-t-il vraiment que ces milliers de jeunes qui étaient dans la rue ces derniers jours, se révoltaient contre le couvre-feu de Dakar et de Thiès ? Et ceux de toutes les autres villes du pays qui ne sont pas sous couvre-feu, mais étaient dans la rue avec la même rage et la même envie d’en finir avec les symboles de la mal gouvernance, les services publics (postes de police, palais de justice, mairies…) supposés être justement au service du public, ces jeunes-là donc, en voulaient seulement à un couvre-feu sélectif de 21 h à 6 h ?

Le président de la République pense donc que la dizaine de morts, le sont pour qu’il réduise de 3-4 heures la durée du couvre-feu ? Que les enseignes françaises (même si ce sont des Sénégalais qui sont dans les rayons, aux caisses et aux pompes d’essence de Total) ont été littéralement pillées parce qu’ils voulaient que vous réduisiez le couvre-feu ? D’ailleurs, tant qu’à faire, pourquoi ne pas le lever carrément et «accélérer la cadence» (comme dirait Mimi) de la vaccination ?

Les collégiens, lycéens qui étaient dans les rues voulaient moins de couvre-feu pour mieux réviser leurs leçons ? Les étudiants de toutes les universités du pays qui étaient dans les rues en affrontant les policiers, gendarmes et, sous le regard dissuasif de militaires, tous ces étudiants-là donc, voulaient juste plus de temps à passer avec leurs petites amies ?

Ceux et celles qui vidaient les rayons de Auchan, avec souvent des charrettes, ne pouvaient pas le faire sous couvre-feu mais en plein jour ? Non, décidément, monsieur le président, vous n’avez pas compris votre jeunesse si c’est ce que vous avez compris ! Et les traiter de «terroristes» (par votre ministre de l’Intérieur est carrément une insulte à leurs angoisses, à leurs envies de vivre dignement, leur refus de continuer à mourir dans les entrailles de l’Atlantique.

C’était, monsieur le président, la révolte contre la misère, la faim, la trouille du lendemain, le ras-le-bol d’un présent qu’ils ne peuvent pas, peuvent plus supporter. Chez Sonko cet après-midi du lundi, j’ai entendu des milliers de jeunes, gorges déployées, hurler un refrain que vous auriez dû entendre depuis longtemps : «nous ne sommes pas des voleurs, nous ne sommes pas des bandits, nous ne sommes pas des terroristes». Voilà ce que cette jeunesse, celle de votre pays, n’est pas, et a voulu vous le criez ces cinq jours qui ébranlèrent votre gouvernance exécrable, gaélique. Et avec Sonko, ils pensent à tort ou à raison, qu’ils seront entendus vraiment, qu’ils verront leur droit au travail, aux études vraiment satisfaits. Sonko semble à leurs yeux, être l’homme qui répondra à ces exigences-là, donnera un sens à leur vie et rouvrira enfin les portes de leurs espoirs ensevelis sous le béton de vos «grands projets» de béton et d’acier.

Et, permettez que je le dise crûment : ils se foutent complètement que Sonko aille se faire masser à deux ou quatre mains (et pourquoi pas six, huit, voire dix mains d’ailleurs), c’était vraiment le dernier de leur soucis comme l’ironisent certains confrères ! Qui semble du reste jouir par procuration, en se disant sans doute, qu’ils auraient bien aimé eux aussi être masser par toutes ces mains. Mais bon…

Ils n’ont pas aimé, alors pas du tout, que vous vouliez embastiller celui qui représente à leurs yeux, l’espoir d’une autre vie. Parce qu’il ne croit plus que notre Justice soit juste. Sa boite à plusieurs vitesses qu’elle enclenche selon la tête, la «station» du passager. Alors non, ils ne veulent pas que cette justice fasse une fois de plus son «Sall travail». Que vous le vouliez ou non, après savoir fait passer à la moulinette Karim Wade et Khalifa Sall, souffrez qu’ils doutent plus que jamais, de la neutralité, de l’équité de cette Justice. Voyant et subissant les excès récurrents de nos policiers sur le théâtre des opérations, ils sont convaincus que cette institution souffre de graves déficits républicains…

Au moment (11 h ce mardi matin) où ces lignes sont en train d’être écrites, Sud Fm donne le bilan du nombre des blessés durant les trois jours d’émeutes dans le pays, selon La Croix rouge : 590. Test de «républicanisme», monsieur le président : la police cherchera-t-elle, trouvera-t-elle, interpellera-t-elle les auteurs de ces actes et les tueurs des manifestants identifiés (qui qu’ils soient) ? Notre Justice jugera-t-elle le cas échéant les auteurs de ces actes barbares ? Qu’elle «fasse donc son travail». Oui, que la paix revienne dans le pays après ces cinq jours d’émeutes ; que la vie reprenne, non son cours habituel, mais un autre cours plus prometteur, avec des réponses aux questions posées, soulevées, brandies avec rage par ces milliers de jeunes durant ces cinq jours qui ébranlèrent la gouvernance de votre régime.

Et s’il a vraiment entendu et surtout compris les inquiétudes de cette jeunesse, alors, il ne pourra plus continuer son «ni ni» (ni oui ni non) concernant l’importante question du troisième mandat. Il ne doit plus continuer à protéger des prédateurs qui sont dans sa galaxie, sinon dans son précaire immédiat, en posant le coude sur leurs prévarications. Il doit faire subir à son gouvernement une véritable cure d’amaigrissement et non continuer la bombance de sa cour. Qu’il donne un coup de balai vigoureux (il en a la force au propre comme au figuré) dans la fourmilière des «ministres conseillers» qui ne doivent pas beaucoup le conseiller d’ailleurs, puisqu’ils ne lui ont pas dit qu’il n’avait pas en face de lui des «terroristes» mais des jeunes en souffrance qui expulsaient leur colère.

J’ignore où vous étiez ni ce que vous faisiez en 1988, mais je suis sûr que vous n’aviez pas aimé la sortie haineuse du président de l’époque, Abdou Diouf, à l’endroit des jeunes qui l’avaient rudement accueilli à Thiès. Avec des jets de pierres : «jeunesse malsaine», avait-il jeté la bave à la bouche. Si vous n’y étiez pas, (vous deviez pourtant être dans la rue en tant que jeune du PDS, c’était votre sport préféré à l’époque), vous avez pourtant aujourd’hui dans votre entourage et/ou alliés, des «jeunes mal sains» de l’époque qui sont aujourd’hui … presque bien sous toute couture.

Mais on le sait depuis longtemps : dans une situation de crise, les propos des gouvernants en disent long sur la maturité ou le degré de dégénérescence, de déconfiture, de leur régime. Nous n’en sommes pas encore loin. Mais nous n’en sommes pas loin. Faites tout pour qu’on n’en arrive pas là ! C’est le signal qui vous a été donné par votre jeunesse. Cette fois-ci, entendez-les vraiment. Vraiment.

Demba Ndiaye, dndiaye@seneplus.com

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