Le Sommet UE-UA a-t-il répondu aux besoins du continent ?

Le sommet des dirigeants européens et africains de Bruxelles les 17 et 18 février 2022, a débouché sur l’annonce d’un plan d’investissements de 150 milliards d’euros pour l’Afrique. Pour autant, a-t-il atteint son objectif de refondre complètement la relation entre les deux continents ?

Le rendez-vous de Bruxelles des 17 et 18 février 2022 a débouché sur des avancées, mais du chemin reste à parcourir. Le sixième sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) et de l’Union africaine (UA) s’est conclu par la publication d’une « Vision commune pour 2030 » qui vise à consolider « un partenariat renouvelé » entre les deux continents.

Certes, le document promet un ensemble d’investissements de 150 milliards d’euros pour l’Afrique au cours des sept prochaines années, ainsi qu’un soutien à la livraison et à la production de vaccins contre la Covid-19.

Pour autant, il ne répond pas aux demandes africaines concernant le gaz et les combustibles fossiles, la renonciation à la propriété intellectuelle sur les vaccins, la réallocation des DTS (Droits de tirage spéciaux) du FMI et les problèmes migratoires.

Dans son discours prononcé le premier jour du Sommet, le président Macky Sall du Sénégal, s’exprimant en sa qualité de président de l’UA, a souligné l’engagement des pays africains envers l’accord de Paris sur le climat, mais a souligné la nécessité pour l’Afrique de continuer à développer le gaz en tant que source d’énergie.

« Dans un continent où plus de 600 millions de personnes vivent dans l’obscurité, notre priorité en tant qu’Africains est clairement l’accès universel à l’électricité et à l’industrialisation. Sur ce point, nous attendons beaucoup de ce sommet. » Et Macky Sall de poursuivre : « Le continent a besoin de valoriser ses ressources naturelles et attend de l’Europe une solidarité bien précise. C’est pourquoi nous sommes pour le maintien du financement de l’industrie du gaz et des hydrocarbures pour une transition énergétique juste et équitable qui tienne compte des besoins du continent. »

Cependant, bien que la déclaration conjointe reconnaisse l’« importance pour l’Afrique d’utiliser les ressources naturelles disponibles dans le cadre de ce processus de transition énergétique » et contienne des promesses d’investissement dans la transition de l’Afrique vers les énergies renouvelables, elle ne tient pas compte de la demande spécifique du président de l’UA.

« Apartheid vaccinal »

Concernant la pandémie, l’UE réaffirme son engagement de fournir au moins 450 millions de doses de vaccin à l’Afrique d’ici la mi-2022. L’Europe mobilisera 425 millions d’euros pour accélérer le rythme de la vaccination, et pour soutenir la distribution efficace des doses et la formation des équipes médicales et la capacité d’analyse et de séquençage.

L’UE reconnaît également la nécessité de soutenir une souveraineté sanitaire à part entière pour l’Afrique afin de répondre aux futures crises. Cependant, sa détermination « à s’engager de manière constructive en faveur d’un accord sur une réponse globale de l’OMC à la pandémie » reste en deçà des demandes africaines à une renonciation aux droits de propriété intellectuelle pour rendre la production en Afrique plus abordable.

Le président Cyril Ramaphosa d’Afrique du Sud, qui a été plus direct, condamnant l’« apartheid vaccinal » qui a vu les pays riches accumuler des vaccins ; il a néanmoins reconnu que des progrès avaient été réalisés vers une renonciation aux brevets lors du sommet, malgré l’opposition de l’Europe.

En août dernier, le FMI a émis 650 milliards de dollars en DTS pour aider les pays à affronter la crise sanitaire. Cependant, comme les DTS sont alloués en fonction de la taille de l’économie, les pays qui en ont le plus besoin sont pénalisés, l’Afrique ne recevant que 33 milliards $. L’Afrique, juge Macky Sall, a besoin d’un financement supplémentaire de 250 milliards $ d’ici à 2025 pour amortir le choc. Et pour aider à la reprise, le président du Sénégal souhaite obtenir une réallocation des pays riches de 100 milliards $ de DTS.

De son côté, l’UE se félicite des 55 milliards $ déjà promis par les pays riches. Elle reconnaît que plusieurs États membres ont jusqu’à présent promis 13 milliards $, et elle encourage davantage de pays à contribuer à cet effort mondial. Là encore, cette promesse, qui n’est nullement un engagement ferme de l’UE, est en deçà des attentes de l’Afrique.

Des dotations substantielles, mais insuffisantes

« Disons les choses franchement : nous avons besoin d’argent », a martelé le président Sall durant le Sommet. « Nous avons besoin de ressources pour financer la transition énergétique, pour financer la construction d’installations et d’infrastructures, pour retenir la jeunesse africaine, pour offrir le droit formation, la bonne éducation. »

La « Vision commune » annonce un plan d’investissements Afrique-Europe d’au moins 150 milliards d’euros au cours des sept prochaines années. Les investissements pour la santé et d’éducation seront fournis par le biais du programme européen Global Gateway.

Dans les infrastructures, la priorité absolue sera l’énergie, avec un accent sur la transition vers les énergies renouvelables et l’apport d’électricité aux 600 millions d’Africains qui n’y ont pas accès. La connectivité physique et numérique sera également un domaine important, avec davantage de routes, de voies ferrées et de voies navigables pour aider la Zone de libre-échange continentale africaine à réaliser son potentiel, et des connexions à l’Internet pour aider les jeunes entrepreneurs africains à prospérer.

En matière d’investissement dans la santé, outre la fourniture et le déploiement des vaccins Covid, l’UE adoptera une perspective stratégique qui va au-delà de la pandémie, aidant l’Afrique à produire ses propres vaccins. Il y aura également des investissements dans « une éducation inclusive et équitable de qualité » et dans l’enseignement technique et la formation professionnelle « axés sur les opportunités d’emplois ».

Un tel investissement peut aider les jeunes Africains à saisir davantage d’opportunités. Cependant, la déclaration de la Vision commune selon laquelle « les voies d’accès aux opportunités de migration légale seront davantage développées entre les deux continents et au sein de l’Afrique » ne répond pas aux exigences africaines concernant des propositions solides d’immigration légale en Europe.

Et bien que 150 milliards d’euros représentent un montant impressionnant, certains commentateurs s’interrogent : « Ce chiffre est une projection basée sur une combinaison de subventions, de prêts et de garanties budgétaires conçues pour stimuler davantage d’investissements privés et tirées en grande partie du budget 2021-2027 existant », calcule Vince Chadwick, le correspondant de Devex.

Un partenariat d’égalité ?

La « Vision commune » décrit un partenariat basé sur l’égalité et la « prospérité pour nos citoyens », mais pour Hannah Ryder, directrice de l’ONG africaine Development Reimagined, basée en Chine, les pays européens semblaient plus intéressés par la concurrence avec la Chine que par la prise en compte des besoins et du développement réel des pays africains. « Le récit du New deal offre une gamme très limitée de réflexion sur l’engagement européen avec les pays africains. »

Inge Kaul, chercheuse à la Hertie School de Berlin, rejoint les critiques émises avant même le Sommet. Elle observe que le document de discussion pré-sommet de l’UE révélait une ignorance des « demandes de longue date et souvent répétées d’une voix plus efficace d’un partenariat d’égalité », de la part des acteurs publics et privés en Afrique.

De son côté, la commentatrice bruxelloise des affaires européennes Shadia Islam critique l’attitude durablement « paternaliste » de l’Europe envers l’Afrique, bien qu’elle ait également soutenu que « les élites africaines… devront assumer la responsabilité de leur propre rôle dans la création de dépendances à l’égard de l’aide ».

Cependant, pour Inge Kaul, on n’a vu lors du sommet que des pas hésitants vers une meilleure compréhension de l’Afrique des dirigeants européens, tandis que les dirigeants africains sont restés professionnels dans leur approche. « Si une réinitialisation s’est produite, c’est l’Afrique qui a appuyé sur le bouton, pas l’UE », commente-t-elle à African Business.

magazinedelafrique.com

Pape Ismaïla CAMARA
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