Au lendemain des heurts lors de la manifestation interdite du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) dans la capitale, Conakry, le fondateur du think tank Wathi, Dr Gilles Yabi, décrypte pour APA l’impasse dans laquelle se trouve la transition guinéenne. Source APA
Dix mois après la chute d’Alpha Condé, les putschistes au pouvoir en Guinée semblent s’éterniser. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Tous ceux qui suivent les coups d’État dans la région ne s’étonneraient pas qu’il n’y ait pas de transfert du pouvoir aux civils à travers l’organisation d’élections libres et transparentes dix mois après le renversement d’Alpha Condé.
Nous nous attendions à ce que la transition dure un certain temps d’autant plus qu’il y avait a priori des réformes politiques et institutionnelles à effectuer. D’ailleurs, l’une des raisons avancées pour le coup d’État est le troisième mandat d’Alpha Condé et le vote d’une nouvelle Constitution à cette fin.
Nous imaginions donc que le calendrier de la transition devait inclure le réexamen des institutions et éventuellement une nouvelle Constitution ou une révision de l’actuelle. Mais tout cela prend du temps. Le plus inquiétant est que nous ayons le sentiment d’une absence de dialogue politique et social permettant de mettre en œuvre les réformes et d’avoir un agenda assez clair pour le reste de la transition.
Il ne faut pas aussi oublier le profil de l’auteur du coup d’État, en l’occurrence le colonel Mamady Doumbouya, qui était du cercle proche d’Alpha Condé. Dès le début, nous pouvions nous interroger sur ses réelles intentions et motivations.
Une fois qu’il arrive au pouvoir, il n’est malheureusement pas étonnant qu’il y ait la tentation pour lui ou certains de ses proches conseillers, membres de la junte, de rester le plus longtemps au pouvoir pour profiter de ses avantages. Dans l’histoire politique de la Guinée, il est arrivé qu’il y ait beaucoup d’espoir et que finalement ceux qui arrivent au pouvoir reproduisent strictement les pratiques politiques qu’ils dénonçaient.
Le coup d’État du colonel Mamady Doumbouya a largement été bien accueilli par l’opinion guinéenne. Une part importante de celle-ci commence à prendre ses distances avec la junte et parle de risque de confiscation du pouvoir par les militaires. A-t-elle raison ?
Il y a un risque de confiscation du pouvoir par les militaires pour une longue durée. Il n’y a pas de doute là-dessus. Je rappelle tout de même que les premières indications portaient sur trois ans de transition. Ce qui est quand même beaucoup même avec des réformes à mener.
Ce qui est encore plus préoccupant, c’est le sentiment d’une orientation de la transition essentiellement guidée par les militaires et suivie par des civils. Nous avons aussi l’impression d’une volonté de la junte d’écarter des acteurs importants de la politique guinéenne dans les discussions sur le contenu de la transition.
Il y a également des doutes sur les choix des hommes, notamment au Conseil National de Transition (CNT). De nombreuses personnes doutent de la crédibilité de certains responsables de cet organe de législation et donc de ses capacités de conduire les réformes politiques et institutionnelles attendues par les populations qui espèrent une véritable amélioration de la gouvernance, des changements dans les pratiques politiques et économiques qui ont maintenu jusque-là le pays dans la pauvreté.
Contrairement aux militaires maliens, la junte guinéenne a jusqu’ici évité d’être soumise à des sanctions et à l’isolement de la part de la communauté internationale. À quoi cela est-il dû ?
Par rapport aux sanctions, il faut d’abord souligner le fait que la Guinée a bénéficié des situations de transition déjà compliquées dans la région. Les sanctions très fortes, que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) a prises contre le Mali, ont mis en difficulté l’organisation sous-régionale sur le terrain d’une sortie de crise politique.
La perception très négative de son rôle dans ces transitions au niveau de l’opinion publique ouest-africaine et même au-delà s’est aussi accentuée. Il devenait donc difficile pour la Cédéao, avec les autres coups d’État en Guinée et au Burkina, de prendre les mêmes sanctions et de se retrouver à gérer des tensions dans trois pays au même moment.
Le deuxième élément important à souligner est que la Guinée est un pays un peu à part au sein de la Cédéao et surtout parmi les pays francophones. La Guinée a sa propre monnaie. Elle n’est pas membre de la zone franc de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Une partie des sanctions très importantes prises contre le Mali, les transactions financières dont celles qui passent par la Banque centrale, ne pouvait s’appliquer à la Guinée qui a une souveraineté sur le plan monétaire. De fait, cela a réduit la marge de manœuvre de la Cédéao.
Le troisième élément porte sur la structure même de l’économie guinéenne qui dépend beaucoup des ressources minières. D’une certaine manière, il est plus compliqué de sanctionner la Guinée pour avoir un impact très fort sur son économie et sur les ressources de l’État dans la mesure où elle peut toujours prélever directement des ressources auprès du secteur minier.
Tous ces éléments expliquent sans doute la perception assez rapide de la part des acteurs régionaux et internationaux de la nécessité d’avoir une approche un peu différente concernant la Guinée en termes de pertinence des sanctions. Cela dit, les discussions se poursuivent. La Cédéao, privilégiant la voie diplomatique, a désigné un médiateur.
Du côté des autorités de transition au Mali, la question de la souveraineté est fréquemment brandie. Par contre, la Guinée a une forme de culture de souveraineté bien plus ancienne. Cet héritage est toujours très présent.
C’est un pays beaucoup plus difficile à sanctionner et à isoler parce qu’au fond il peut s’adapter facilement. Un dernier élément qui distingue la Guinée du Mali ou du Burkina est son ouverture sur l’océan Atlantique.
La Guinée a un accès à la mer qui rend inefficace les sanctions commerciales. Avec le Port de Conakry, la Guinée est moins vulnérable à ce type de sanctions. Toutefois, il y a des sanctions traditionnelles déjà prises comme la suspension du pays des organes de la Cédéao.
APA