Fonds force COVID-19, le scandale de trop – Par Mangue Sène, Pastef Rome/Lazio

Le rapport de la Cour des comptes sur les fonds du Covid-19 a suscité une grande indignation. La clameur était d’autant plus vive que cet énième scandale, survenu en pleine période de pandémie de Covid-19, impacte plusieurs secteurs d’activités et des catégories socioprofessionnelles variées.

Les différents régimes qui se sont succédé au Sénégal ont été éclaboussés, à des degrés divers, par un certain nombre de scandales et de malversations. Mais ce qui se passe dans notre pays depuis une décennie est d’une tout autre ampleur. Des affaires politico-financières ont largement discrédité certaines de nos prestigieuses institutions et ceux qui les dirigent.

De l’affaire Petro-Tim en passant par Arcelor Mittal, le building administratif refectionné pour 40 milliards au lieu des 17 milliards annoncés, les passeports biométriques qui ont coûté au contribuable 12 milliards en guise de “dédommagement” à Adama Bictogo, un homme d’affaires ivoirien, ou plus récemment un contrat d’armement de 45 milliards signé entre le ministère de l’environnement et un sinistre vendeur d’armes nigérien, les scandales financiers sont légion.

Ce ne sont pourtant pas les organes de contrôle qui manquent dans le cadre juridique et institutionnel de notre pays. Cour des comptes, ARMP, IGE, IGF, CENTIF, OFNAC, sont autant de corps de contrôle avec un personnel compétent et méticuleux. Malgré la présence de cet arsenal juridique manifestement dissuasif, la corruption est de plus en plus galopante et ne cesse de gangréner la sphère politique, économique et sociale du pays. PetroTim, Itoc, Sar, Sococim, fer de la Faleme/Tosyali, Dubaï Port World, Arcelor Mittal, Ter, Prodac, Arène nationale, Building administratif, Teranga Gold, accords de pêche, appels entrants, dossier 94 milliards, Coud, Trésor, Poste; les scandales de toutes sortes, touchant plusieurs secteurs d’activités, se sont multipliés ces dernières années. Sans compter les innombrables contentieux fonciers à l’échelle nationale impliquant des élus locaux.

Les corps de contrôle, notamment la Cour des comptes, l’OFNAC et l’ARMP, transmettent chaque année leurs rapports d’activités au chef de l’État. Ces rapports, précisons-le, sont le résultat d’enquêtes fouillées et impartiales de la part de juges financiers. Et régulièrement plusieurs personnalités (ministres, DG ou hauts cadres de l’administration) sont épinglées pour des “fautes de gestion” portant sur des sommes exorbitantes.

Nonobstant ces rapports accablants, la gabegie, les prévarications et la mal gouvernance persistent et se banalisent. Un constat amer qui s’explique par un regrettable état de fait: l’impunité. Du moins à l’égard de nombreux dignitaires du régime. Le 31 décembre 2020, le président de la République, dans un entretien avec la presse, déclarait avoir “mis le coude” sur certains dossiers. Une décision motivée par le fait, soutenait-il, que l’arrestation de certaines personnes risquait de “faire sombrer le pays”. Un aveu de taille qui traduit une nette immixtion de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire. Une situation déjà dénoncée par l’UMS lors d’un colloque tenu le 23 février 2016. À l’occasion de cette rencontre, les magistrats, par un communiqué, déploraient “la non-application des décisions rendues par les cours et tribunaux”.

Les organes de contrôle sont des outils de promotion de la bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Ils remplissent leur mission de vérification et de veille de nos ressources publiques en produisant régulièrement des rapports financiers sans complaisance. Cependant ils ne peuvent pas décider de l’opportunité des poursuites, cette prérogative étant attribuée au procureur de la république. Ce dernier est sous l’autorité du ministre de la justice, qui lui-même est nommé par le chef de l’État.

Par conséquent, la suite réservée aux différents rapports dépend de l’appartenance politique du client, et l’application qui en est faite se révèle souvent tendancieuse. En effet, ils constituent un outil de coercition et de règlements de comptes politiques car, jamais, à notre connaissance, aucun membre de la coalition au pouvoir n’a été poursuivi, quelle que soit la gravité des accusations de malversations.

Des personnalités proches du pouvoir citées dans de gros scandales financiers ou soupçonnées de prévarications n’ont jamais été inquiétées, ni même entendues par la justice. Elles ont été au contraire promues et protégées. En revanche, quand c’est un opposant qui est incriminé par un rapport d’audit, ce qui arrive rarement, le sabre de l’autorité judiciaire s’abat immédiatement sur lui.

Le rapport de la Cour des comptes sur les fonds du Covid pointe du doigt de graves manquements et irrégularités qui sont à l’origine de ce “carnage financier”. Dans ce document de 180 pages, la Cour des comptes révèle des “surfacturations de 2,7 milliards sur le riz”, des “paiements en espèces” à des fournisseurs pour un montant de 2,5 milliards, ou encore des dépenses “sans lien avec le Covid” portant sur 20 milliards. Dans le même rapport l’institution demande l’ouverture d’une information judiciaire contre une dizaine de personnes impliquées dans la gestion des fonds force Covid. Des membres de la mouvance présidentielle (ministres, DG…) ont tenté de minimiser le scandale en soutenant que les irrégularités concernaient 1% des fonds, soit environ 6 milliards. Ce qui contraste naturellement avec le rapport définitif de la Cour des comptes qui pointe des “fautes de gestion” à hauteur de plusieurs milliards.

Cette rhétorique dilatoire, cependant, a été contre-productive, car, en réalité, elle n’a fait que raviver la polémique et l’indignation. L’onde de choc qu’a suscité le scandale a été, entre autres, à l’origine de la mise sur pied du collectif “Sunu’y milliards du rees”, qui a déposé plus de 110 plaintes au tribunal de Dakar. Le collectif, composé de plusieurs organisations de la société civile, demande, à l’instar de la Cour des comptes, l’ouverture d’une information judiciaire contre les douze personnes incriminées par le rapport de la Cour des comptes. Des mesures administratives sont également exigées à l’endroit de tous ceux qui sont cités dans le rapport. Tout ministre, DAGE, DG ou agent épinglé doit démissionner ou être suspendu de ses fonctions.

La persévérance du collectif a fini par payer, car le procureur de la république a demandé à la DIC d’ouvrir des enquêtes préliminaires contre les personnes incriminées. La partie, toutefois, est loin d’être gagnée, car si le menu fretin peut être entendu par un tribunal “ordinaire”, il en va autrement pour les ministres impliqués dans ce scandale. Ces derniers bénéficient d’un privilège de juridiction et ne peuvent, à ce titre, être jugés que par la Haute Cour de justice. À cet effet, 29 députés de l’opposition, dont l’infatigable G. M. Sagna, ont déposé sur la table du président de l’Assemblée nationale une “proposition de résolution de mise en accusation de dix ministres” devant la Haute Cour de justice.

« …Jamais, dans ce pays, la mal gouvernance n’a atteint des proportions aussi graves. Ce n’est pas parce que ces organes n’ont pas fait leur travail sur la base des textes en vigueur. Celui-ci est perfectible certes, mais chaque jour des ministres, directeurs généraux, directeurs et autres responsables publics sont épinglés par des rapports rondement menés pour des faits gravissimes ayant compromis l’intérêt général à coup d’enjeux financiers colossaux. Mais jamais, sauf si l’autorité incriminée est un opposant, des suites ne sont données à ces conclusions”. O. Sonko “Solutions” p. 109

Pour une fois, nous pouvons espérer que la classe politique, la société civile et la justice iront jusqu’au bout pour que ce scandale financier inqualifiable, qui éclabouse en grande partie des dignitaires de ce régime, soit élucidé. En espérant surtout qu’aucun “coude” ne sera mis sur un rapport aussi infamant qu’accablant.

Mangue Sène,

Pastef Rome/Lazio

Mamadou Nancy Fall
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