Finances publiques : L’étrange jeu de « yo-yo » des chiffres des recettes douanières

Si l’on a bien compris, il y a 200 milliards de francs qui se baladent  quelque part. En effet, avec un empressement suspect, la Douane a fait savoir — dès le 02 janvier ! — qu’elle a pulvérisé tous ses records de recettes depuis 1960 en ayant fait rentrer dans les caisses de l’Etat la fabuleuse somme de 758 milliards de francs.

Bravo, applaudissez la performance !

Le problème c’est que, dès le lendemain de cette annonce euphorique, une source autorisée du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan — la tutelle de la Douane, donc — douchait cet enthousiasme des hommes de l’inspecteur général d’Etat Pape Ousmane Guèye tout en leur rabattant le caquet.

A en croire cette source, en effet, les recettes douanières n’auraient été « que » de 587 milliards. Ce chiffre est en effet plus conforme à la réalité puisque, de sources sûres, on apprend qu’à la date du 31 décembre, le Percepteur de Dakar-Port a recouvré effectivement une somme de 587 milliards de francs sur un objectif de 597 milliards de francs pour l’année 2016 fixé par la Loi de finances rectificative. Ce qui fait que la Douane aurait manqué son objectif de très peu — 10 milliards — là où elle se targue d’avoir fait un bond de 103 milliards de francs par rapport aux liquidations de l’année 2015.

En fait, tout est dans les mots.

Les performances de l’Administration douanière sont évaluées à partir des réalisations — c’est-à-dire des recettes effectivement recouvrées par le Trésor public — et non sur la base des liquidations. Certes, en parlant de liquidation, la DGID est dans son rôle puisque sa mission est effectivement de liquider les taxes et droits. Sauf que, ce qui intéresse l’Etat, c’est ce qui rentre effectivement dans ses caisses et non ce que les gabelous ont pu liquider. Explication : lorsque la Douane fait les liquidations, la DGPCT (Direction générale de la Comptabilité publique et du Trésor) procède au recouvrement.

Or, ce dernier comptabilise uniquement les recettes engrangées effectivement par l’Etat alors que les liquidations, elles, prennent en compte en outre des prélèvements dits communautaires pour le compte de l’Uemoa et de la Cedeao ainsi qu’une taxe destinée au Cosec.

Des prélèvements qui n’entrent pas en compte dans les objectifs de recettes fixés par l’Etat à la Direction générale des Douanes. A quoi bon, en effet, parler de 758 milliards alors que l’Etat, lui, ne voit et ne peut utiliser que 587 milliards ? Surtout qu’il en attendait 10 de plus !

 

Importez et passez à la caisse !

Un Etat décidément gourmand qui vise un objectif de recettes douanières de… 1000 milliards de francs au cours des prochaines années. Un objectif jugé « réaliste » par de nombreux spécialistes même si son atteinte ne sera pas forcément un signe de bonne santé de notre économie. En effet, c’est un secret de Polichinelle que notre balance des paiements est structurellement déficitaire, le Sénégal important beaucoup plus que ses exportations.

En fait, notre pays est devenu un gigantesque souk où se vend à ciel ouvert toute la pacotille du monde, en particulier tout le clinquant et brillant venu de Chine. Ce sont des milliers de conteneurs qui déversent chaque année toutes sortes de marchandises en provenance, outre l’Empire du Milieu, de Dubaï et de Turquie principalement. Ces importations massives font bien évidemment l’affaire de la Douane qui voit ses recettes augmenter d’année en année mais traduisent les symptômes cliniques d’une économie atteinte de maladie chronique.

En effet, face à cette invasion de produits bon marché provenant d’un dumping asiatique, la plupart de nos industries ont mis la clef sous le paillasson. Conséquence : le Sénégal est devenu progressivement un désert industriel. Or, comme n’ont cessé de le déclarer d’éminents économistes comme l’Egyptien Samir Amin ou le Bissau-Guinéen Carlos Lopes, directeur démissionnaire de la CEA (Commission économique pour l’Afrique), aucun développement n’est possible sans industrialisation. De ce point de vue, le schéma idéal ce serait, bien sûr, que la plus grande partie de nos recettes douanières provienne de… taxes à l’exportation plutôt que de droits de porte à l’entrée.

Et puis, à trop pressuriser les importateurs — notamment maliens — et les transitaires, au point de tuer la poule aux œufs d’or ne court-on pas le risque de les faire fuir vers d’autres ports concurrents de la sous-région ?

 

Christian CISS

 

Quand les gabelous ont mal… à la tête !

 

Au-delà de ces performances en demi-teinte de l’Administration douanière en termes de recettes, nombreux sont les agents et cadres de ce corps à se plaindre d’un management sclérosé qui se traduit par une démoralisation du personnel. Il y a quelques mois, nous avions évoqué dans ces mêmes colonnes l’affaire de ces inspecteurs et agents qui avaient refusé catégoriquement de rejoindre leurs postes d’affectation. Ce malgré les nombreuses interventions de leurs collègues et les menaces de la hiérarchie. Ces cadres mutés voulaient créer un syndicat au sein de la Douane, ce dont le gouvernement ne veut pas entendre parler.

Jusqu’aux dernières nouvelles, ils n’avaient toujours pas rejoint leurs nouveaux postes et le DG n’a pas pu leur imposer son autorité.

Lorsque les affectations-sanctions étaient tombées, une lettre incendiaire avait circulé dans les couloirs  de l’administration douanière. Elle soutenait que l’affectation d’un des syndicalistes résultait de son refus de laisser passer un convoi de marchandises remplies de marchandises frauduleuses.

Ce malgré l’intervention d’une autorité douanière haut placée ! D’une manière générale, au port de Dakar, par où transitent plus de 90 %  des recettes de la Douane, de nombreux agents se plaignent de la multiplication des centres de décision qui font que cette Administration serait devenue une sorte d’armée mexicaine.

Ils donnent les exemples des multiples interventions du DOD (Directeur des Opérations Douanières) et du DDRP (Directeur régional de Dakar Port) dans le dédouanement des marchandises pour illustrer leurs propos. Ces autorités en viendraient jusqu’à décider des valeurs à appliquer aux marchandises importées ou des conteneurs à visiter etc.

Quant au chef de subdivision de Dakar-Port, il serait à ce point puissant que le Directeur général n’oserait pas lui donner des ordres, ce dernier en étant réduit parfois à lui demander des services. Qui plus est, le fait que le DG accepte qu’un chef de subdivision fasse le travail d’un chef de brigade entraîne bien évidemment une lourdeur des procédures ainsi qu’un ralentissement des opérations de dédouanement…

Comme cela ne suffisait, les Sénégalais, ahuris, ont entendu le directeur général des Douanes soutenir il y a deux jours qu’il ne voyait rien d’anormal à ce qu’un officier des douanes garde chez lui une somme de 150 millions de francs. Une manière de dire : « agents, enrichissez-vous illicitement ! »

Au moment où l’administration rivale des Impôts et Domaines gagne en efficacité et bat tous les records de recettes, la Douane, elle, est ankylosée dans ses nombreuses et trop lourdes procédures. Bref, le malaise est grand au sein du corps jadis performant des soldats de l’économie

C.C.

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