Espionnage : « Le nombre de pays africains qui écoutent leurs opposants grâce à la technologie israélienne est impressionnant »

Le gouvernement marocain est accusé d’avoir pratiqué l’espionnage de dizaines de smartphones d’opposants, de journalistes ou de figures politiques grâce au logiciel Pegasus de l’entreprise israélienne NSO Group. C’est ce qu’affirme l’enquête menée par l’ONG Forbidden Stories. Pourquoi les entreprises privées israéliennes de surveillance et d’écoutes numériques sont-elles autant présentes en Afrique ? Entretien avec Antoine Glaser, journaliste et écrivain, co-auteur de « Nos chers espions en Afrique ». Tv5Monde

Tv5monde : Comment interprétez-vous la vente du logiciel d’espionnage Pegasus  au gouvernement marocain, par une entreprise israélienne — NSO Group — sous contrôle du gouvernement israélien ?

Le gouvernement marocain nie toujours avoir acheté le logiciel Pegasus, alors que les enquêtes ont pourtant apporté des preuves de cet achat. Il faut rappeler que compte tenu de l’importance  historique de la communauté israélienne au Maroc, il y a toujours eu des relations extrêmes étroites entre le Maroc et Israël. En matière d’écoutes, de renseignement, de sécurité, le Maroc est un pays-clef pour toute la zone sahélo-saharienne.

Il y aussi beaucoup d’Israéliens d’origine marocaine présents dans les sociétés de sécurité privées ou bien qui ont été au service du Mossad (services de renseignement israéliens, ndlr). On trouve donc beaucoup d’acteurs israéliens d’origine marocaine en Afrique, au delà même de l’affaire NSO Group

 Plusieurs autres entreprises israéliennes de surveillance ou d’influence numérique sont actives sur le continent africain : pourquoi cet intérêt ?

A.G : La présence israélienne en Afrique est très souvent liée aux États-Unis. Israël sert un peu de fer de lance aux Américains. Très souvent c’est une technologie israélienne qui s’appuie sur des capitaux américains. Donc, les Etats-Unis, par un jeu à trois bandes, bénéficient finalement très souvent des informations des Israéliens en Afrique en finançant leur recherche en technologie d’écoutes.

Dans une Afrique mondialisée, on a l’impression que les États-Unis se sont fait un petit peu surprendre par la présence et la montée en puissance de la Chine ainsi que par le retour de la Russie. Et comme c’est la technologie israélienne de renseignement qui domine en Afrique, les Américains sont intéressés. Sachant que la vente de systèmes d’écoutes israéliens est pratiquée aussi dans des pays musulmans, comme le Nigéria ou à une certaine époque, le Soudan.

Il est remarquable de constater qu’au delà même des relations diplomatiques, il y a toujours eu la technologie d’écoutes israélienne. Cette technologie est tellement performante que même des pays qui ont eu des relations tendues avec Israël ou soutenaient les Palestiniens, ont passé des contrats. Mais officiellement c’est de la sécurité privée, en dehors de la diplomatie.

Il faut savoir que malgré tout, cette sécurité privée israélienne passe par les services d’État d’Israël. La grande force d’Israël c’est le renseignement et la sécurité, même quand il n’y a pas d’ambassade, comme c’est le cas avec certains États africains du fait du conflit israélo-palestinien. Le renseignement privé est donc une grande tradition d’Israël.

La révélation de la vente du logiciel Pegasus à des États peu ou pas démocratiques peut-elle poser des problèmes diplomatiques pour Israël ?

A.G : Oui, bien sûr, mais ils vont jouer sur le double jeu du système privé. Ensuite, ce type de logiciel peut être acheté par une entreprise privée française — par exemple — et être installé dans un pays africain. A mon avis, les Israéliens vont jouer sur cette ambiguïté. Ceci dit, cela va dépendre des poursuites judiciaires qui vont être lancées au niveau international, par des associations des droits de l’homme, des opposants africains et même des particuliers qui ont été écoutés à l’aide de ce logiciel. On est au début de ce processus.

Est-ce que NSO Group va être seulement attaqué en justice ou bien aussi les États qui ont utilisé le logiciel Pegasus ? Cela surviendra peut-être au Maroc mais le nombre de pays africains qui écoutent et surveillent leurs opposants avec ce logiciel Pegasus ou d’autres systèmes israéliens est impressionnant.

Quel intérêt ou risques y-a-t-il pour des pays africains à utiliser une technologie provenant d’Israël ?

A.G : On voit à quel point les pouvoirs autocratiques africains en place utilisent les systèmes numériques pour se maintenir en place. En Afrique, les systèmes d’écoutes sont devenus quelque chose de vital pour les autocrates qui veulent se maintenir au pouvoir. Si avant on disait que c’était la présence de bases militaires françaises qui servait de bouée de sauvetage aux pouvoirs autocratiques africains, aujourd’hui on peut dire que c’est la technologie israélienne qui leur permet de survivre pour surveiller et contrôler toute velléité de contre-pouvoir de leurs oppositions.

La démocratie ce n’est pas seulement les élections, c’est avant tout la constitution et l’exercice de contre-pouvoirs. Le problème majeur pour constituer des contre-pouvoirs en Afrique, c’est vraiment les services d’écoutes et le renseignement. Il faut savoir aussi qu’Israël utilise cette capacité à fournir de la technologie d’écoute et de surveillance à des pays africains en négociant des appuis au sein des Nations Unies.

La plupart du temps, les accords passés par Israël avec des pays africains sont : « On vous aide à rester au pouvoir mais vous votez en notre faveur à l’ONU ». C’est particulièrement criant avec le Cameroun où il y a des coopérations avec des entreprises israéliennes mais aussi en matière de défense. Le résultat est que les Camerounais se sont toujours abstenus de voter pour des résolutions à l’encontre d’Israël dans le cadre du conflit palestinien.

Quant aux risques d’utiliser des technologies israéliennes pour les pays d’Afrique, c’est une question d’abandon de souveraineté en faveur d’Israël, même si ce sont des entreprises privées. Parce qu’on sait que ces dernières peuvent donner de l’information à leur gouvernement. Cet abandon de souveraineté peut se retourner contre les pays dans un certain nombre de cas, en particulier dans tous les pays miniers d’Afrique. Le risque d’espionnage industriel est alors très important. Dans la gestion de leur droit minier, par exemple.

S Tv5monde.com

Momar Diack SECK
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