Eradication des bidonvilles flottants de la capitale : retour sur le déguerpissement douloureux de La cité Ancienne piste de Mermoz

Reportage du quotidien « L’Obs »– Après la cité «Imbécile», située à Hann et la cité«Karting», sis à laZonede captage, ce fut le tour du site interlope de «l’ancienne piste» de Mermoz de subir le «diktat» des bulldozers réquisitionnés par le Préfet de Dakar, Mor Talla Tine. Il s’est voulu intraitable.

«Cette opération de démantèlement du site de l’ancienne piste, est la suite logique d’une politique d’éradication des cités flottantes et interlopes de Dakar. L’objectif est de démanteler intégralement ce site, d’améliorer le cadre de vie. L’opération ira à son terme. Quand l’État entreprend un processus similaire, il y met les moyens et prend les dispositions pour que force reste à la loi», a prévenu le préfet de Dakar.

Joignant la parole à l’acte, le Préfet de Dakar a ratissé large en réquisitionnant pour les besoins de cette action, les éléments de la légion de gendarmerie de Dakar, le commissariat central de Dieuppeul et le Gmi. Les sapeurs-pompiers, la Senelec, la Sen’eau, ainsi que la direction du cadre de vie

Initialement prévue vers 2 heures du matin, l’opération de déguerpissement va finalement prendre forme aux environs de 4 heures du matin. Visiblement, cette intervention censée être déroulée spontanément, a fini par fuiter. En atteste la foule de personnes (femmes, enfants, jeunes…) qui, dès 23 heures, s’est massée aux abords des giratoires des deux ronds-points qui ceinturent le pont de la Vdn qui enjambe le boulevard qui mène vers «l’université du Sahel».

Un sauve-qui-peut qui a fait l’affaire des conducteurs de motos «Tiak tiak», des tricycles et des véhicules de déménagement qui se sont postés à la périphérie du site de l’Ancienne piste. Dans le noir et par groupuscules, des habitants de ce quartier flottant avertis, vont affréter ces moyens de transport pour vider les lieux et sauver ce qui peut l’être.

«Cela fait environ 7 ans, que mon mari nous a logés dans un taudis, ici dans ce site de l’ancienne piste. Mes deux enfants sont nés ici. Des voisins nous ont avisés que les forces de l’ordre allaient démolir la cité, c’est pourquoi, nous partons. J’ignore notre prochaine destination, mais j’ai entendu mon mari parler d’un hébergement provisoire chez un de ses amis qui habite Route de Boun (en banlieue)», a confié une dame, la trentaine, drapée d’une burqa, originaire d’un pays limitrophe.

A l’opposé du rond-point jouxtant le quartier Sacré-Cœur, 4 jeunes filles originaires de la région du Sine, se prélassent sur un matelas de fortune, posé au milieu d’ustensiles de cuisine et autres sacs, meubles de maison, emballés dans des sacs en cisailles. Elles attendent le retour du mari de leur sœur parti avec leur frère pour affréter un véhicule de convoyage de bagages. «Nous allons à Yarakh, c’est tout ce que nous savons», lance l’une d’elle qui ne semble pas préoccupée par la situation du moment.

Dans la foule, sa sœur aînée lui emboîte le pas, «C’est parce que nous sommes démunis qu’on nous traite de la sorte. Nous sommes des gens honnêtes et dignes, c’est notre seul tort. Ma grand’mère qui est malade est restée dans notre baraque à l’intérieur du site, en compagnie de notre oncle qui l’assiste»,martèle cette jeune dame, les yeux angoissés et ensommeillés.

Plus loin, sur le boulevard qui dessert l’Université du Sahel, une trentaine de personnes, visiblement moins nanties, ont choisi de dissimuler leurs bagages au milieu des fleurs qui bordent le boulevard et une rue adjacente. A quelques mètres de là, dans l’enceinte de la station d’essence «Star», 4 fourgonnettes de la gendarmerie se signalent avec des gyrophares allumés.

Plus de 750 gendarmes issus de 10 escadrons mobiles réquisitionnés…

Il est environ 2 heures du matin, du côté de Sacré-Coeur, le dispositif de la police, déjà en place, se veut plus discret. Sous la supervision du commissaire Sow de Dieuppeul, sept camions de transport de troupes convoyant des éléments du Groupement mobile d’intervention, (Gmi) sont immobilisés sur le bas-côté.

Pendant ce temps, des véhicules de patrouille de la brigade de lutte contre la criminalité, (Blc) et leurs collègues de Dieuppeul font des navettes entre la Vdn, le rond-point de la boulangerie jaune, la cité Keur Gorgui, jusqu’à la lisière de Grand Dakar.

A 4h25mn, les choses sérieuses commencent avec l’arrivée spectaculaire du dispositif impressionnant de la gendarmerie compétente dans la zone du site de l’ancienne piste. Un débarquement dissuasif qui a vu la foule d’individus qui occupaient encore les environs disparaître au bout d’une dizaine de minutes.

Les pleurs de mamans d’enfants disparus dans le noir

Une panique qui s’explique par les moyens colossaux mis en branle par le haut commandement de la gendarmerie, sous la houlette du colonel Abdou Mbengue, patron de la légion de gendarmerie de Dakar.

«Ce sont au total 10 escadrons mobiles, de 75 éléments chacun, soit environs, 750 gendarmes et plus de 70 véhicules de transports de troupes et d’intervention. Ce dispositif est renforcé par des unités spécialisées à l’image du Gign, du Cyno groupe, du groupe de gendarmerie mobile (Ggm)…», révèle le commandant Ndiaye, patron de la communication des pandores.

Aussitôt arrivés, les éléments du dispositif, divisés en peloton (30 éléments) sont postés à l’entrée principale du site, jouxtant la station «Star», les deux sens du boulevard menant vers Mermoz, le long de la Vdn sur le tronçon allant du siège de la Sonatel à Sacré-Coeur jusqu’au mur de l’aéroport.

Pendant ce temps, le colonel Abdou Mbengue et le préfet de Dakar, Mor Talla Tine lâchent le gros de la troupe qui investit les dédales de ce site interlope. Les occupants récalcitrants et ceux-là qui étaient déjà dans les bras de Morphée sont délogés. Les gendarmes toquent devant les portes et invitent les occupants des baraques à sortir. Des taudis, des ateliers de mécaniciens pour la plupart, des boulangeries et autres commerces, suspectés sont perquisitionnés avec le soutien des chiens renifleurs.

L’intervention est à la fois dissuasive et terrifiante. En atteste les mines défaites, les regards hagards, les pleurs et les inquiétudes de certaines mamans qui ne retrouvent plus leurs enfants disparus dans le noir. En intelligence avec le préfet Tine, le commandant de la légion, A. Mbengue se charge de rassurer tout le monde. Le site est quadrillé et toutes les issues de secours de fortune occupées par des binômes, dont certains sont postés sur les murs. La surveillance sera accentuée par un drone de surveillance qui survole le site à basse altitude. vieille dame âgée de 80 ans, handicapée, évacuée sur un «poussepousse » et les crises d’angoisse

Dans le même temps, le commissaire central de Dakar, El H. Dramé et le colonel Mbengue de la gendarmerie dressent une nouvelle cartographie de la gestion de l’espace. C’est en cela que la police qui est venue en appoint, accepte de se positionner au rond-point de la boulangerie jaune afin de contenir les «fugitifs » de l’ancienne piste, tout en menant des patrouilles dans leur secteur de compétence.

A la station d’essence «Star», deux véhicules de secours des sapeurs-pompiers sont immobilisés pour prendre en charge des déguerpis ne se sentant pas bien. C’est le cas d’une vieille maman, âgée de 80 ans. Handicapée, elle a été trimballée jusqu’aux soldats du feu, à bord d’un chariot communément appelé «pousse-pousse». Vu son état pas très rassurant, le préfet de Dakar ordonne sa prise en charge en vue de son transfert vers un hôpital de la place.

eux hommes (déficients mentales), dont l’un agité et violent, sont également  présentée devant l’un des 20 bus de la société Dakar-Dem-Dikk, affrétés pour convoyer les déguerpis sur le site de recasement des mécaniciens, sis à Sébikotane.

Puis, par groupes de centaines de personnes (femmes, enfants, jeunes hommes, vieux), les déguerpis sont regroupés sur des espaces de ladite station d’essence, puis embarqués dans ces bus en partance pour le centre de recasement.

Si la scène se passe sans incident, elle est, par moments, émaillée par des crises d’angoisse de dame qui se lamentent, rendant l’atmosphère plus pesante. Plus loin sur le tracé du «Brt», la police tente de convaincre des colonnes de déguerpis d’embarquer à bord de deux bus. En vain.

«Nous refusons de monter dans ces bus, parce que nous ignorons où ils vont et s’ils nous conduisaient hors de Dakar», s’interroge un cinquantenaire qui tient un garçon d’une main, traînant une valise de l’autre. Dans cette même colonne, une sexagénaire livre ses inquiétudes.

«Moi je ne refuse pas de monter dans ces bus. Seulement, je ne retrouve pas mes enfants, alors je préfère marcher avec ces voisins espérant retrouver les miens. S’il le faut, je vais marcher jusqu’à Grand-Yoff», assure-t-elle. Leur volonté est acceptée par les policiers qui les escortent pour éviter qu’ils ne se fassent agresser.

5h30m, les deux premiers bus immobilisés à la station d’essence font le plein de passagers majoritairement composés de femmes et d’enfants de divers ethnies et nationalités, s’ébranle. Direction Sébikotane. 24 minutes après, à 5h54mn, deux autres bus partent des lieux sous surveillance d’un drone. Ils seront imités à 6h05mn par deux autres bus. Les rotations vont se poursuivre jusqu’à l’aube.

Aux environs de 7 heures, le préfet informé de la fin de l’opération de déguerpissement, lance la phase de débranchement des connexions de la Senelec et de la Sen’eau. Une action menée en intelligence avec les volontaires du cadre de vie. Alors que ces équipes procédaient à l’isolement du site et au débranchement des compteurs, les bulldozers remorqués par des camions.

A 8 heures du matin, le préfet accompagné du commissaire central de Dakar, du commissaire de police de Dieuppeul et d’officiers de la gendarmerie, procède à une inspection du niveau des travaux sur le site où ne vivent plus que des chèvres, moutons, chevaux. «Les propriétaires seront identifiés et leurs biens restitués», lance Mor T. Tine.

Au terme de cette excursion, la phase démolition est lancée par les bulldozers. Au regard de l’ampleur de la tâche, certains estiment la fin de l’opération dans au moins une semaine. A terme, révèle le préfet Tine, «Nous allons poursuivre avec d’autres sites flottants à l’image de celui longeant le mur de l’aéroport à Ouest Foire, Yoff. Nous allons utiliser le même procédé. Ici à l’ancienne piste, j’ai personnellement tenu au préalable 3 réunions avec les mécaniciens qui occupaient les lieux. Nous avons par la suite servi des sommations et avons fait des communiqués avec une large diffusion pour informer de la tenue de l’opération.»

Mamadou Nancy Fall
Up Next

Related Posts