Entrer en résonance… Par Khady Gadiaga

« Nul ne sait que certains déploient des efforts immenses simplement pour paraître des êtres ordinaires. » Ces mots de Camus ne visaient pas seulement les marginalisés, mais aussi ceux dont la conscience est aiguë et l’esprit en ébullition.

Ces âmes lumineuses doivent fournir un effort extraordinaire pour s’adapter à une réalité qui heurte leurs pensées. Et c’est là que réside la véritable souffrance : tenter de s’accorder avec un monde qui ne résonne pas avec leur profondeur…

Qu’est-ce que donc la résonance? Il s’agit selon la philosophe allemande Hartmut Rosa, d’une manière pleine, intéressante, d’être présent au monde. Avec le sentiment de ressentir, de comprendre ce qui nous entoure et de pouvoir y participer…

Si notre pensée nous vient ou nous traverse par vagues, si elle nous transite, l’acte de penser consiste à surfer ou à nous accorder à ce qui nous fait vibrer.

Notre véritable milieu se définirait donc comme un espace vibratile, ou une longueur d’ondes. J’ai souvent, dans mes cours d’information-communication, expérimenté la formule de l’école de Palo-Alto, « communiquer c’est entrer dans l’orchestre ». Il conviendrait plus précisément de dire : communiquer donc vivre, c’est se mettre au diapason, s’élever au ton dominant (pour entrer en société), mais c’est aussi travailler ou défendre sa modulation personnelle, pour affirmer sa petite différence et trouver son individualité.

En d’autres termes, la résonance peut se définir comme une rencontre entre soi et le « Monde » — et ce dernier peut être autant un paysage, une musique, un plat cuisiné avec attention, un cours ou une discussion au cours de laquelle nous avons pu nous sentir vivants, en relation avec le Monde et même un peu transformé. Ainsi, ce n’est pas par hasard qu’autant de monde se soit mis pendant le confinement suite à la pandémie de la COVID à jardiner ou à expérimenter de nouvelles passions et des activités fortes en potentiel de résonance.

Le désir de conquête de notre monde nous met aujourd’hui face à des bouleversements irréversibles qui portent en des changements sociétaux majeurs, facteurs de crises multidimensionnelles.

Nous avons plus que jamais besoin de nous connecter à l’essentiel pour déterminer ce que nous désirons préserver et ce que nous sommes en train de perdre en raison des crises que nous traversons.

Alors que l’univers numérique étend ses tentacules et nous soumet à son joug, nous ne devons pas perdre de vue la nécessité de préserver notre capacité à rentrer en relation avec le Monde.

Notre capacité à nous émerveiller ou à être transformés par l’Autre en dépend. Et si les différentes formes de médiation que nous entreprenons peuvent changer notre rapport personnel au monde, elles ne sont guère une réponse aux institutions politiques et économiques qui façonnent lourdement ce dernier.

Si nous ne profitons pas des crises conjoncturelles ou structurelles que nous vivons pour les réinventer, nous risquons un jour de ne plus nous choquer de n’être plus que les spectateurs dessaisis de notre propre existence ou que des robots soient employés à titre d’Alter ego dans toutes nos interactions sociales…

En bref et pour conclure sans poser des bornes à un parcours de vie, qu’il s’agisse de la relation amoureuse, de la création poétique comme de l’accordage social et de la formation de groupes politiques, de partis ou de classes par mimétismes et affinités… ces expériences tissés d’échos relèvent assurément de constructions et/ou d’effets de résonance.

Le modèle aragonien par son chant traversé, nous en dit tellement plus ! Il conviendrait d’ailleurs de mieux établir ce paradigme de la résonance en poussant l’enquête du côté de tout ce qui vibre, à commencer par la poésie fondée sur la rime et les rythmes, facteur d’unisson s’il en est, et de réparation de nos corps morcelés…

Jummah Mubarak à toutes et à tous…

K.G 24 janvier 2024

Mamadou Nancy Fall
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