Effondrement des partis traditionnels, transhumance banalisée : Du sang neuf pour déparasiter l’espace politique

La transhumance a fini par devenir l’apanage du sénégalais. L’espace politique dépourvu des partis traditionnels est occupé par des politiciens assoiffés de pouvoir, prêts à retourner leur veste pour plaire au grand patron. Pour mettre un terme à cette politique qui se pratique sans idéologie ni doctrine politique définie, il faut un changement radical, avec un nouveau type d’hommes et de femmes capables de redorer le blason de la politique qui a perdu son lustre d’antan.  Le Mandat

Les partis traditionnels ont pratiquement disparu de la sphère politique sénégalaise. En effet, depuis que les hommes politiques ont banalisé la transhumance, l’espace politique est pollué et la conviction a pris une autre signification. Ces transhumants qui disent migrer au nom de « l’unité nationale » ou de « l’intérêt supérieur de la Nation », le font en réalité pour leur intérêt personnel.

Une fois leur ralliement acté, ils bénéficient des largesses du Président. « Depuis plusieurs années, nous assistons malheureusement à l’effondrement des partis traditionnels, qu’il s’agisse du parti libéral qui est le parti démocratique sénégalais (Pds) ou des partis d’obédience gauchiste. Malheureusement depuis 2012, il n’y a pratiquement plus de partis assez représentatifs.

La gauche avait déjà joué le rôle qu’elle avait toujours joué jusqu’en 2012 », explique l’analyste politique Abdou­laye Mbow. Mais au-delà, on constate qu’en réalité c’est la politique autrement et, cette forme de politique, c’est la transhumance, la politique des prébendes des sinécures

Transhumance par instinct de survie

Les hommes politiques ont toujours quitté un bord politique pour un autre. Mais avec l’avènement du président Macky Sall au pouvoir en 2012, le phénomène de la transhumance a pris de l’ampleur et atteint son paroxysme à la veille de la présidentielle de 2019 où il briguait un deuxième mandat. Plusieurs hommes politiques ont quitté le navire libéral au profit du camp présidentiel.

Et, en marge de la cérémonie d’installation de son directoire de campagne en 2019, Macky Sall a voulu les rassurer dans leur choix. « Il n’y a pas de transhumance qui tienne, ce qu’il y a c’est le choix lucide et raisonné d’un candidat qui soit le mieux placé, l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Que l’on soit de droite, de gaude, du centre, cela importe peu. L’essentiel c’est d’apporter sa pierre à l’édifice et de créer des conditions d’assurer la marche du Sénégal vers le pro­grès », avait‑il dit.

Abdoulaye Makhtar Diop, Aissata Tall Sall du PS, Pape Samba Mboup et Fabouly Gaye du Pds, entre autres faisaient partie de ses nouveaux alliés présents à cette rencontre.

Me Amadou Sall, Oumar Sarr, Ba­bacar Gaye, tous membres du Pds, comme galvanisés par la sortie du chef de l’État, sont ensuite entrés dans la danse.

Et là, les sénégalais ont commencé, réellement, à se poser des questions sur les vraies motivations de ces politiciens. L’analyste se désole de la façon dont les hommes politiques migrent mais aussi de leurs motivations : « il n’y a plus de conviction dans la manière de faire de la politique ».

« Le militantisme s’est effondré depuis fort longtemps. Aujourd’hui, on fait de la politique parce qu’on doit atteindre une certaine station, par rapport à une ascension sociale, on fait la politique parce que c’est devenu un métier mais il sera très difficile de revenir à l’orthodoxie dans la formation des partis », explique Abdoulaye Mbow. Ce dernier trouve que « les partis politiques sont devenus des fonds de commerce, des formes de chantage et par rap­port à des contextes surtout d’approche électorale ».

Un militantisme qui cache mal un soif éternel de pouvoir

Avec cette transhumance à tout va, les politiciens ont foulé du pied les principes qui constituaient le soubassement même de tout parti politique. Il s’agit, ainsi, de la conviction basée sur une idéologie. Ce qui, malheureusement, fait que les écoles des partis où se formaient les militants sont devenues quasi inexistantes.

« Les partis politiques ne forment plus. Il n’y a plus de militantisme de conviction. Il est très rare de voir des personnes s’engager volontairement dans un parti politique parce qu’épousant l’idéologie et les orientations de ce parti. Depuis très longtemps les gens ne vont plus acheter des cartes de membres », fait remarquer Abdoulaye Mbow.

« Les be­soins les plus urgents, on les trouve dans la pyramide de Mas­low c’est l’instinct de survie suivi de l’instinct de réussite. Et aller dans le sens de pouvoir atteindre le sommet de la pyramide en y mettant tout ce qu’il faut sans au­cune conviction et y aller sans une forte dose de militantisme mais plutôt une forte dose d’engagement par rapport à une forte dose d’intérêt crypto personnelle », ajoute‑t‑il.

Aller vers des réformes pour inverser la tendance

Et, au rythme où vont les choses, les sénégalais ont fini par ne plus avoir confiance aux hommes politiques qui passent tout leur temps à se dédire mais aussi prêts à monnayer leur statut d’homme politique. Donc, il urge d’assainir cet espace qui est devenu une jungle.

Et pour y arriver, Abdoulaye Mbow plaide pour la modernisation des partis politiques. « Nous sommes arrivés à un point de non-retour tant que le Sénégal n’aura versé dans les réformes profondes et objectives pour que l’on ait d’autres formes de partis politiques au avec une autre approche.

Si véritablement ce qui est retenu durant le référendum de 2016 était appliqué, avec la modernisation des partis politiques pour une bonne rationalisation, avec un financement de l’argent public par rapport à toute participation de tout parti politique à une élection pour aller dans le sens d’avoir la disparition de partis politiques qui n’aura pas attend la barre des 5% des suffrages valablement exprimés comme cela se passe dans certains pays comme la Mauritanie, tant qu’on n’aura pas de courage politique d’aller dans ce sens, nous ne revivrons plus ces moments forts du militantisme où la politique était une approche professionnelle, une approche adéquate par rapport à l’art de gérer la cité, mais avec des convictions fortes », dit‑il.

Les hommes politiques ont montré leurs limites

En attendant d’aller vers ces réformes, le peuple, mature, conscient et avide de changement commence à être très exigeant par rapport au choix des personnes aptes à diriger ce pays. Ceci est motivé par l’engagement de plus en plus des jeunes qui en­trent dans la scène politique.

Mais, si l’on en croit le raisonnement de M. Mbow, un changement radical va au-delà du militantisme des jeunes puisque, de tous les régimes qui se sont succédé au Sénégal, des jeunes se sont illustrés par leur engagement et leur patriotisme mais, une fois face à la réalité des choses, ils ont fini par se fondre dans la masse. Donc, ces jeunes loups qui prônent le changement ne pourraient pas faire le poids face aux vieux briscards mais aussi face à une réalité où ils ne feront pas exception.

« Depuis plusieurs années, les jeunes adhérent à la politique mais ils n’ont absolument rien changé. Certains y vont avec conviction et d’autres avec un certain caractère mais malheureusement, ils ne sont pas nombreux. Ces jeunes qui s’engagent veulent satisfaire un besoin im­médiat et le besoin immédiat, ce sont les intérêts et cela ne changera pas », raisonne‑t‑il.

A l’en croire, la seule alternative serait que d’autres franges de la société investissent le champ politique pour apporter du sang neuf : « Il est important que d’autres franges de la société qui appartiennent à des structures où la réflexion positive est engagée de changement radical acceptent de s’engager ».

Le Mandat

Mamadou Nancy Fall
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