Drames en série : Corps Médical Sénégalais Boucs émissaires ou véritables coupables?

Agents d’un système de santé malade, le personnel médical est aujourd’hui l’objet de toutes les critiques. Indexées dans les drames à répétition dans les hôpitaux sénégalais, les blouses blanches se défendent.

En prononçant le serment d’Hippocrate, ils ont promis et juré «d’être fidèles aux lois de l’honneur et de la probité dans l’exercice de la Médecine». Un engagement que les médecins s’efforcent de respecter tous les jours dans la pratique de leur métier. Leur sacerdoce : dispenser des soins et sauver des vies.

Des personnes qui devraient donc bénéficier du plus grand respect de la plus haute considération. Mais au Sénégal, le corps médical est depuis quelque temps sous les feux de la rampe.

La succession de drames dans les hôpitaux du pays les a placés sur le banc des accusés. Négligence, manque d’empathie, irresponsabilité, incompétence… les qualificatifs désobligeants à leur égard fusent de partout. Mais le Secrétaire général du Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames)tient d’emblée à faire la part des choses.

«Dans aucun cas, les médecins n’ont été indexés, d’ailleurs aucun médecin n’a été poursuivi, précise-t-il. Le fait est que tout agent d’une structure de santé est assimilé à un médecin, du moment qu’il a la blouse blanche. Je ne vois pas en quoi un médecin peut être indexé dans des court-circuit ou des explosions de bonbonnes de gaz. La responsabilité des structures de santé relève du ministère et du directeur, qui peut ne pas être un médecin.»

Dr Amadou Yéri Camara déplore vivement cette chasse aux sorcières dontles blouses blanches sont victimes, alors qu’elles se décarcassent pour effectuer leur travail correctement, parfois dans des conditions pas très évidentes.

«La plupart des commentaires sont faits sans raison sous le coup de l’émotion, et les personnes indexées ne sont souvent pas des agents de santé. Et en voyant n’importe qui nous traiter de n’importe quoi, les médecins ne vont plus prendre de risques pour opérer sous des bougies, ou faire de la débrouille pour travailler en milieu rural. Et bientôt, nous allons faire signer des engagements avant toute prise en charge. Parmi ces médecins, il est rare de les voir prendre des congés, alors que même le Gouvernement le fait. Mais quand vous êtes le seul gynécologue d’une région, vous y réfléchissez à deux reprises avant de partir en vacances.»

Secrétaire général national du Syndicat autonome des techniciens supérieurs de santé (Satsus), Farba ditIbrahima Ndiaye embouche la même trompette. «Ce qui s’est passé à Tivaouane est similaire à ce qui s’est passé à Linguère, le drame a eu lieu dans des services de néonatologie où on utilise des couveuses. Il y a un problème d’électricité et ce n’est pas uniquement dans les hôpitaux qu’on assiste à des incendies causés par des court-circuit. Alors quelle est la responsabilité de l’agent de santé dans de tels cas ? S’ils avaient laissé une bonbonne de gaz ou un réchaud sur les lieux, qui aurait explosé, ou alors si les décès étaient dus à des manquements dans la qualité de la prise en charge, on aurait pu les pointer du doigt. Mais tel n’est pas le cas.»

«Ça suffit, on a assez servi de boucs émissaires ! »

Pour M. Ndiaye, on devrait chercher à connaître les véritables causes de l’incident au lieu de chercher des coupables.

«Quand il y a un problème de ce genre, il faut creuser pour savoir les véritables causes, et ne pas avoir des réactions épidermiques pour satisfaire une opinion, et attaquer les agents de santé ou les administrateurs des structures. On en a assez, ça suffit, on a assez servi de bouc émissaire pour des situations que nous n’avons pas créées», martèle le Sg du Satsus. On accepterait que l’on tire l’alarme, si réellement il y avait des manquements au niveau de la qualité des soins que nous dispensons, mais il n’en est rien.» Selon lui, il faudrait surtout, et avant tout, résoudre le problème de la défectuosité des installations, surtout sur le plan électrique. «Parce qu’il y a trop d’accidents, trop d’incendies, et souvent l’homme n’est même pas sur place.»

Dr Amadou Yéri Camara indique toutefois que ces accidents sont inacceptables. «Nous devons être mis dans de bonnes conditions de travail. Dans la plupart des structures de santé, les fils électriques pendouillent partout et on ne peut pas compter le nombre de départs d’incendies maîtrisés. Une expertise sérieuse doit être convoquée pour mener cette enquête et trouver le problème, aussi bien au niveau des installations, des couveuses, que de l’organisation du service.»

Coordonnateur de la Fédération des syndicats de la santé (F2S), Dr Cheikh Seck estime que les gens font malheureusement dans la précipitation. «C’est très facile de désigner un coupable et d’accuser des gens alors que leur responsabilité n’est pas engagée. Et c’est à cause de la clameur populaire, en plus du fait que nous sommes dans un contexte pré-électoral. Le personnel médical est pris pour bouc émissaire et ce n’est pas normal, c’est injuste. D’ailleurs, comment expliquer un court-circuit dans un bâtiment qui a été réfectionné il y a juste un an ? Et comment peut-on incriminer les agents de santé ? Les enfants sont morts par asphyxie, et ce ne sont pas les agents de santé qui ont mis le feu.» Et d’après lui, les agents de santé sont aujourd’hui très démotivés.

«J’ai entendu beaucoup de médecins dire que ça ne vaut plus la peine de se sacrifier pour ce travail. Parce qu’ils sont dans des conditions extrêmement difficiles pour des salaires de misère, et ils sont les premiers accusés en cas d’accidents.»

Egalement secrétaire général du Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et du secteur social(Sdt-3S), Dr Cheikh Seck reconnaîttoutefois qu’il y a des brebis galeuses. «Je ne dis pas que nous sommes blancs comme neige, parfois il arrive que certains ne fassent pas leur travail comme il faut. Et s’il est établi que ces personnes sont fautives, il faut sévir et prendre les mesures idoines.»

Le Sg du Sames, Dr Amadou Yéri Camara, rappelle que les médecins sont souvent au front, en première ligne, quand la situation est loin d’être évidente.

«Quand il s’agit de la responsabilité du médecin en cas d’épidémie par exemple, on voit les vrais spécialistes et les médecins faire ce qu’il doivent faire avec beaucoup de professionnalisme. Nous avons vécu le Choléra, Ebola, Covid-19, certaines personnes ont même fui les structures de santé. Les premiers prélèvements de Covid ont été fait par les médecins. Donc quand c’est sérieux, quand il y a un véritable risque de se faire contaminer, on nous donne notre place et on nous respecte.»

Quoi qu’il en soit, l’hôpital sénégalais ressemble aujourd’hui davantage à un mouroir, un grand corps malade qui tangue dangereusement sous le poids de pathologies diverses. Au grand dam des patients

L’Obs

Oumou Khaïry NDIAYE
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