Assistants parlementaires : une réforme indispensable pour moderniser notre Assemblée Par Oumar Ba

Dans plusieurs pays, chaque parlementaire est assisté par un personnel dédié : les assistants parlementaires. Au Sénégal, ce soutien quasi inexistant, combiné au déficit d’appui technique et logistique, entravent le travail des députés. Cette situation entraîne l’inefficacité du Parlement qui demeure un pilier fondamental de toute démocratie. Dans un contexte où les enjeux économiques, sociaux, environnementaux et géopolitiques se complexifient, il est impératif de doter l’assemblée nationale d’un personnel qualifié et compétent.

En effet, légiférer (proposer ou voter des lois), contrôler et évaluer l’action du gouvernement requiert une certaine expertise. C’est pourquoi la création d’un corps d’assistants parlementaires professionnels s’impose comme une réforme majeure et urgente.

 

  1. Enjeux et intérêts de la mise en place d’assistants parlementaires

 

Les enjeux d’une telle réforme sont nombreux. Sans être exhaustif, il peut s’agir de :

  1. Renforcer la qualité de la production législative

L’élaboration des lois nécessite une certaine compétence juridique, fiscale, économique, sociale et technique. Il en est de même pour l’examen des lois des finances ou de règlements. Plus généralement, la légistique (ensemble des méthodes et conventions de rédaction des textes normatifs, lois, décrets, etc.) est une discipline qui requiert une connaissance approfondie des normes et impacts juridiques et de la précision rédactionnelle. C’est une science, un art et un vrai savoir-faire. D’ailleurs, nous avons constaté que de simples conjonctions de coordination (et/ou dans le règlement de l’Assemblée), un simple pronom (NUL, même répété trois fois) ou un simple adjectif (“consécutifs”) peuvent engendrer des controverses susceptibles de secouer la République. Voici autant de raisons qui militent pour la création de postes d’assistants parlementaires. Ces derniers accompagneront les députés, souvent surchargés et peu outillés, dans leurs missions de préparation, mise en œuvre et suivi des travaux parlementaires.

  1. Améliorer l’efficacité du travail parlementaire

L’un des rôles du Parlement est de contrôler l’action gouvernementale. Pour faciliter cette mission, les députés peuvent s’appuyer sur des assistants (bien formés) chargés de fournir des notes, des synthèses et des analyses d’impact. Aussi, dans le but d’améliorer la production législative, il est nécessaire d’avoir un meilleur accès aux textes de loi et décisions gouvernementales ainsi qu’aux directives, traités et engagements supra-nationaux. Toutes ces tâches de documentation, analyse, proposition, rédaction,  médiation, organisation et suivi feront partie de la job description des futurs assistants.

Enfin, ces derniers peuvent aussi jouer un rôle de conseiller technique. Ils interviennent dans la gestion des relations avec les électeurs, la communication institutionnelle et la remontée des préoccupations locales. Ainsi, ils permettent aux élus de mieux se rapprocher des citoyens. Car un député bien accompagné est plus réactif face aux doléances locales, plus compétent lors des débats nationaux et plus transparent dans sa reddition de comptes.

  1. Critères de sélection et profil des assistants parlementaires

À cause de la complexité et la diversité de ses missions, l’assistant parlementaire doit satisfaire à des critères exigeants de sélection. Parmi ces critères, un niveau d’études relativement élevé (Bac + 4) devrait être requis. Par contre, les domaines seront aussi divers que le droit, l’économie, l’administration publique, les sciences politiques, la communication ou la gestion, etc.

Une sélection rigoureuse devrait aussi permettre d’évaluer d’autres compétences transversales comme la capacité d’analyse, la maîtrise du fonctionnement des institutions, un esprit de synthèse et des qualités rédactionnelles éminentes. Évidemment, toutes ces aptitudes seront développées et enrichies au cours des séances de formation initiale et continue et bonifiées avec l’expérience acquise grâce à la pratique. Ces formations devront insister sur la déontologie car le risque est toujours grand que le poste soit instrumentalisé ou détourné.

Enfin, la méritocratie, la diversité des profils et l’équilibre des genres devront être promues grâce à un concours public ou un appel à candidatures sélectifs et ouverts à tous les jeunes talents du Sénégal.

 III. Difficultés et conditions de mise en œuvre

Malgré la pertinence de sa création, une telle mesure ne va pas sans rencontrer quelques obstacles ou défis. L’un des premiers est le risque clientéliste. C’est pourquoi, il faudra encadrer rigoureusement le recrutement pour éviter que les assistants ne soient choisis sur des bases exclusivement partisanes ou familiales.

À cet effet, un organe indépendant (comité de sélection composé de juristes, universitaires, représentants de la société civile, etc.) pourrait être mis en place pour seconder l’Assemblée. Aussi, la question du statut sera posée avec sérieux. Il devra être clair (contractuels ou fonctionnaires parlementaires), avec des obligations, une éthique professionnelle et un encadrement bien définis.

Mieux encore, les assistants devront être intégrés dans l’organigramme de l’institution parlementaire. Ils seront “affectés” aux députés selon des critères transparents et équitables. Enfin, dans le but de garantir l’efficacité et la pérennité d’une telle réforme, il conviendra de créer, plus tard, un Institut de formation parlementaire pour favoriser la montée en compétences et l’expertise des assistants. Ce futur institut pourrait bénéficier de l’assistance technique et pédagogique de l’ENA.

Toutefois, le mandat n’est pas impératif et la fonction parlementaire reste fondamentalement politique. Alors, il pourrait être envisagé de ne pas recourir au concours et de laisser aux parlementaires la possibilité de choisir eux-mêmes leurs assistants. Dans ce cas (solution que nous ne privilégions pas), les critères de choix devraient être aussi très rigoureux et encadrés afin de prévenir ou éviter des dérives similaires à ce qu’on a pu constater dans des pays comme la France (emplois fictifs, népotisme, etc.).

  1. Financement et pérennité du dispositif

La démocratie a un coût, a-t-on l’habitude de dire. Mais ce coût peut être maîtrisé ; il sera raisonnable relativement aux gains de performance attendus. Pour soulager le budget national et celui du Parlement en particulier, plusieurs modes de financements complémentaires sont envisageables. Ils passeront par les partenariats avec des institutions internationales (PNUD, Union européenne, OIF, Banque mondiale, etc.) ou fondations démocratiques (Konrad Adenauer, NDI, ACDI, etc.).

En outre, l’Assemblée nationale pourrait nouer une coopération parlementaire bilatérale avec d’autres institutions soeurs comme l’assemblée nationale française, la Bundestag ou le Parlement canadien afin de bénéficier de leur appui technique et institutionnel. Enfin, en inscrivant ce dispositif dans la Loi organique et le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, on peut espérer garantir la durabilité de cette avancée parlementaire.

  1. Exemples de bonnes pratiques internationales

Pour faciliter la mise en œuvre d’une telle réforme, le Sénégal pourrait mettre en place une commission préparatoire et chargée de faire du benchmarking. L’objectif est de s’inspirer des meilleures pratiques dans le monde. Par exemple, en France, chaque député dispose de plusieurs assistants parlementaires rémunérés par une enveloppe budgétaire mise à sa disposition mais contrôlée.

Les assistants peuvent être affectés à Paris ou en circonscription. Au niveau de l’Union européenne, les eurodéputés bénéficient d’assistants accrédités (APA) soumis à des règles strictes de recrutement, avec des profils souvent spécialisés. Aux États-Unis, chaque sénateur ou représentant dispose d’une équipe d’assistants experts (en droit, communication, économie, relations publiques, etc.) ; ce qui rend leur action plus structurée et réactive. Enfin, au Rwanda, depuis la réforme parlementaire, le pays a intégré un mécanisme d’assistance technique avec des jeunes diplômés formés au sein de l’Institut rwandais de gouvernance. Enfin, le Maroc ou le Canada constituent aussi d’autres terrains d’études et sources d’inspiration.

 Conclusion provisoire

Les impératifs du développement socio-économique et la volonté affichée du nouveau gouvernement de promouvoir une meilleure gouvernance plaident pour le renforcement de l’Assemblée nationale. Ainsi, il appert que la création d’un corps d’assistants parlementaires s’impose comme une nécessité pour une démocratie qui se veut moderne et performante. Ce n’est pas un luxe.

Professionnaliser le travail des députés permettra de mieux répondre aux immenses défis législatifs. C’est-à-dire renforcer la bonne gouvernance, mieux légiférer et évaluer efficacement l’action gouvernementale. À l’heure où les attentes citoyennes envers leurs élus sont de plus en plus fortes et pressantes, il convient d’outiller le Parlement avec des ressources humaines adéquates et de qualité. Ce projet, s’il est bien conçu, financé et encadré, pourrait devenir un levier majeur de réforme institutionnelle, de valorisation de la jeunesse qualifiée et de consolidation de la démocratie sénégalaise.

Messieurs les députés, la balle est dans votre camp, portez cette réforme ! Certes, il y a de nombreuses autres à mener (ce sera l’objet d’une prochaine contribution). En attendant, ce projet peut marquer une rupture historique pour le Parlement sénégalais et inscrire cette législature dans l’histoire de notre démocratie et du développement du Sénégal.

Oumar Ba

Urbaniste / Citoyen sénégalais

umaralfaaruuq@outlook.com

Dieyna SENE
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