Amadou, Macky II ou Ba I ? Par Sidi Diop

Deux mois ! Le Président Macky Sall ne nous avait pas habitués à autant de lenteurs dans la prise de décision. C’est dire que le choix n’a pas été facile. Il fallait non seulement choisir le porte-étendard de BBY à la prochaine présidentielle mais aussi, et surtout, limiter les risques de déperdition électorale causée par la frustration des candidats écartés. Il fallait donc faire preuve de beaucoup de tact pour limiter les dégâts. Choisir, c’est éliminer et le Président Sall s’est sûrement employé durant ces deux mois à contenir cette frustration.

L’ennui, avec les « monarques républicains », est que leur succession conduit automatiquement à la division, souvent même à l’émiettement de leur héritage politique. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, avant Macky Sall, ont dû constater, à leur corps défendant, que le prestige, l’autorité et le charisme ne se transmettent pas comme les biens matériels. Le culte de « l’homme fort », si ardent soit-il, ne rejaillit pas forcément sur les dauphins.

Parfois même, il les accable par différence. Amadou Ba, l’actuel Premier ministre, choisi par Macky Sall pour conduire Bennoo Bokk Yakaar (BBY) à la présidentielle du 24 février 2024, pourrait être son successeur à la tête de l’Etat, mais il ne sera pas son héritier politique. Abdou Diouf a été un héritier de Senghor qui l’avait choisi très tôt au détriment des historiques de l’UPS-PS et lui avait transmis le culte de l’Etat.

Idrissa Seck aurait pu être un héritier de Wade avec qui il a partagé la même vision d’un Sénégal libéral et solidaire et contribué de façon décisive à son élection.

L’actuel Premier ministre et candidat de BBY devra se légitimer en s’accrochant à d’autres ressorts, la poursuite du PSE, par exemple. Tous ont, sans doute, remarqué que la transmission du pouvoir au sein de BBY n’a pas été riche en élans affectifs. Macky portait le masque. Au propre comme au figuré.

 

Amadou Ba, il faut en convenir, n’est pas le Premier ministre le plus expansif qu’on ait connu depuis des lustres. Pas le plus expressif non plus. Il l’a joué si effacé qu’on s’est demandé si le président Macky Sall ne s’était pas entendu avec lui pour juste combler un vide juridique. Un vide qui s’ajoute à du vide.

Le Président avait promis de restaurer le poste de Premier ministre et a choisi un homme si transparent qu’il ressemble à un fantôme. On sait que le président Sall ne s’accommode que très peu des caractères trempés. Il ne goute guère à un « je » autre que le sien.

Abdoul Mbaye et Mimi Touré ont fait les frais de leur trop forte propension à incarner la posture honnie du « premier après le premier ». Même le très placide Mouhammad Boun Abdallah Dione n’a pas survécu au bonheur d’avoir fait réélire son mentor.

Amadou Ba a, sans doute, tiré les leçons du passé. « Je m’efface, donc je suis ». Il n’a jamais été un homme à la parole abondante. Ses sorties dans la presse se comptent sur les doigts d’une seule main et c’est toujours pour clamer sa volonté d’accompagner Macky jusqu’en… 2035. Il a su que sa posture actuelle est pleine de faiblesses et n’a pas voulu brusquer la rupture en attirant la lumière sur lui. Le meilleur moyen de provoquer un seum présidentiel.

Pour durer dans l’estime de celui qui l’a nommé, il faut faire montre d’atonie, de mollesse. C’est la clé de la compétitivité dans la proximité de Macky. Il suffit de constater de ce qu’est devenue la flamboyante éloquence d’Idrissa Seck au contact du boss de l’Apr et de l’Etat du Sénégal pour s’obliger à se passer des fastes du pouvoir et des superlatifs. Au finish, cet effacement tactique a été payant.

Le professeur El Hadj Mbodj avertit pourtant dans sa thèse pour le doctorat d’Etat présenté en 1991 (La succession du chef d’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse juridique et impact politique) : « Une simple transmission du pouvoir ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’un transfert de légitimité au profit de la personne choisie pour incarner la continuité du pouvoir. Or la légitimité est une condition de stabilisation du pouvoir politique ».

Amadou Ba devra donc se légitimer deux fois, au sein de sa formation politique et chez les électeurs. Tout un chantier.

La grande affaire pour lui sera donc de se hisser à la hauteur de sa mission et de chercher à éteindre le début d’incendie qui risque de devenir un immense brasier fatal à BBY. Il lui faudra déployer des trésors de charme pour convaincre les contestataires du choix de Macky à taire leurs états d’âme au nom de l’enjeu de conservation du pouvoir.

S’il y parvient, il aura donné les preuves de la pertinence de son leadership. A défaut, la majorité actuelle risque de connaître le même sort que le PS en 2000 avec les défections de Niasse et de Djibo ou du PDS en 2012 avec les départs de Idrissa Seck et de… Macky Sall.

L’onction du président sortant qui s’est d’ailleurs engagé à s’employer pour le faire élire lui donne une légitimité a minima qui pourrait lui permettre de fédérer de larges parties de BBY autour de sa candidature. Sa connaissance de l’Etat et son réseau relationnel assez dense lui seront aussi d’un grand secours pour porter cette candidature. Il a, en revanche, de vraies faiblesses.

La première, c’est qu’il ne connaît pas l’Apr dans les grandes largeurs. Il n’a pas souvent été au contact des militants parce son profil est plus technocratique que politique. C’est d’ailleurs l’une raisons qui explique son absence d’ancrage au plan local. Il a souvent été battu aux Parcelles assainies. Il faut ensuite se demander si l’incandescence du parapluie de Macky Sall ne risque pas de faire fondre ses chances de poursuivre la vision du PSE comme il le clame. Il est évident que les évènements récents témoignent d’un reflux affectif du président sortant et cela risque de déteindre sur son candidat.

L’alignement systématique saura-t-il prospérer dans un pays où la mode est à la rupture avec les pratiques politiques anciennes ?

 

Sidy. Diop

Dieyna SENE
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