Scandales d’État : comprendre l’Affaire Sweet beauté à la lumière de l’affaire Watergate, perspectives critiques.

Éliminer son potentiel adversaire politique est une réalité permanente dans la stratégie de conquête et de conservation du pouvoir chez les hommes politiques. Toutefois, dans une démocratique libérale normée et digne de son statut, cela doit se faire de manière saine et loyale. Et, la compétition électorale reposant sur un processus transparent, en est la voie royale. La démocratie est une affaire de gentlemen, de grands seigneurs.

Cela dit, tel n’est toujours pas le cas. En 1972, la grande et vieille démocratie américaine dont la splendeur a été très tôt louée par Alexis de Tocqueville fut frappée de plein fouet par un scandale qui éclaboussa la Maison blanche.

L’opinion américaine fut terriblement choquée par ce qui sera retenu sous le vocable de « l’affaire Watergate. De même, la jeune démocratie sénégalaise, en février 2021, s’est réveillée dans la tourmente suite à une plainte déposée par une jeune dame et qui visait le charismatique leader de l’opposition Ousmane Sonko.

Le caractère cavalier de la procédure enclenchée par les autorités politico-judiciaires cachait mal la volonté insidieuse d’éliminer un acteur politique « encombrant ». Ce faisant, les affaires Watergate et Sweet beauté se singularisent par le fait qu’elles portent un coup dur à la démocratie, à la fonction présidentielle et surtout à la noblesse de l’État. Toutefois, les analogies ont des limites.

I : Deux affaires symptomatiques de la crise de la fonction présidentielle et de la noblesse de l’État.

A beau vouloir laver à grande eau le Président de la République Macky Sall dans le déroulement des évènements de février et de mars 2021, cela est difficilement concevable. Qu’il ait été à la base du complot ou pas est une interrogation subsidiaire.

La question fondamentale est de savoir : qu’est-ce qu’il a fait lorsqu’il a été tenu informé ?

Cette question est d’autant plus cruciale que l’État n’est autre qu’une chaine de commandement et il en est le supérieur hiérarchique. Mais encore, il a été interpellé par le vénéré Khalif général des Mourides et certainement par d’illustres personnalités de la Nation.

Qu’a-t-il fait ?

Une chose est sûre, le Président Macky Sall ne s’est pas comporté en bon père de famille. Il a gravement manqué à son obligation de diligence.

En espérait-il un gain politique ?

Tout porte à le croire. C’est là, précisément qu’il se mouille et que l’affaire Sweet beauté présente des similitudes frappantes avec l’affaire Watergate.

Dans ladite affaire, si le peuple américain a été vivement ému c’est parce que l’acte posé faussait le jeu démocratique. Le journaliste Thomas Leroy nous rapporte qu’à l’entrée de l’hôtel, en souvenir à cette sombre page de la politique américaine, ces lettres y sont gravées « Je l’ai volé au Watergate ».

Ayant réagi à chaud, dès les premières instants de l’affaire Sweet beauté, l’écrivain Boubacar Boris DIOP ne cachait pas sa déception en déclarant : « il s’agit ici de la dignité de la démocratie sénégalaise dont les valeurs sont si joyeusement foulées au pied ».

Une position épousée par le professeur de droit international Mactar Kamara qui, avec stupéfaction, déclarait que « Ousmane Sonko a fait le choix d’une opposition politique sans concession ni compromission. Au nom de quoi devrait-on le lui reprocher ?… L’effacer de la scène politique serait injuste… A l’évidence, il s’agirait d’une atteinte importante à la démocratie et d’une attaque en règle contre le pluralisme politique ».

Les affaires Watergate et Sweet beauté sont des scandales d’État. Elles sont caractérisées par la présence dans les coups de hautes personnalités qui gravitent autour du chef de l’État.

Des sources rapportent qu’en 1973, aux États unis d’Amérique, l’enquête a révélé un scandale où de hautes personnalités gouvernementales touchant de près à la Maison blanche sont mis en cause.

De même, au terme d’une analyse profonde de l’affaire Sweet beauté, le professeur Kamara la qualifie d’être « un dossier pénal à forte coloration politique, devenu par la force des choses et à force de maladresse une formidable affaire d’État ».

Dans les deux cas, il s’agissait d’opérations qui consistaient à trouver des éléments compromettants contre des challengers quoique le modus operandi n’ait pas été le même. Pour les lieutenants de Richard Milhous Nixon, il fallait passer par l’espionnage des activités du Parti démocrate américain.

Quant aux acolytes du Président Sall, il fallait recourir aux mœurs. Ce faisant, dans les deux affaires on a des « gens cyniques tapis dans l’ombre » qui ont planifié et mis en exécution les opérations.

Dans l’affaire Watergate, l’historien de l’université de Virginie rapporte « qu’ils étaient en train d’installer du matériel d’écoute dans les locaux. Ils ont photographié des documents confidentiels des démocrates ».

Idem, dans l’affaire Sweet beauté, il est rapporté que certains services de l’État et pas des moindres (les renseignements généraux) ont été mobilisés pour embastiller Ousmane Sonko. Ce qui a fait dire à Boubacar Boris DIOP que dans l’affaire Sweet beauté « l’éthique républicaine est tournée en ridicule ».

C’est pourquoi, grande est notre surprise lorsque les tenants du pouvoir ou ‘‘la grande coalition des neutres’’ insinuent ou soutiennent que le président Ousmane SONKO ne voue pas un culte aux institutions de la République.

Dans cette affaire, ceux qui ont souillé la République sont ceux-là qui ont abusé de l’État pour atteindre un homme politique.

II : Deux affaires révélatrices de l’état de la démocratie et de l’État de droit aux États unis d’Amérique et au Sénégal.

Le sort réservé à ces deux cas d’école révèle que les démocraties libérales se ressemblent mais ne s’assemblent pas. En effet, l’Affaire du Watergate a démontré que les États unis d’Amérique sont une grande démocratie et un État de droit pur. Tout au contraire, l’affaire Sweet beauté renseigne que le Sénégal n’est qu’une démocratie superficielle pour ne pas dire de façade.

Aux États unis, les institutions ont été debout face à cette forfaiture. Quand le scandale a éclaté, le Sénat américain a mis sur pied une commission d’enquête en vue de situer les responsabilités. L’étau s’était resserré autour du président Nixon, lorsque la Cour suprême a exigé que soient rendus publics les enregistrements de ses entretiens. La condamnation de Nixon, à l’origine de l’impeachment qui l’a déchu du pouvoir est lié à sa tentative de faire obstacle à l’éclatement de la vérité.

Quatre de ses collaborateurs impliqués ont été inculpés, jugés et condamnés. Tandis qu’au Sénégal, l’État a été mis à nu face à la toute-puissance d’un exécutif qui a fini de vassaliser les autres pouvoirs posant le débat sur la réalité du principe sacro-saint de l’équilibre des pouvoirs.

De fait, les pouvoirs législatif et judiciaire ont proposé leurs services pour liquider un adversaire du président Sall. On se souvient de la procédure accélérée de levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko.

Plus inquiétant, le nom de l’ancien Procureur de la République est cité au cœur de l’affaire. Ce dernier semblait beaucoup plus préoccupé par la neutralisation de SONKO que par l’éclatement de la vérité. Une situation qui s’explique par ‘‘la banalisation du mandat de dépôt’’ dans notre système judiciaire et qui selon le professeur Kamara traduit «… une volonté sournoise d’humilier et de démoraliser, en poussant vers les abimes de la déchéance des personnalités jusque-là haut perchés sur le piédestal de la gloire ».

Cette fonction implicite de liquidation des adversaires politiques confiée au parquet renseigne sur le malaise de notre architecture institutionnelle. Elle démontre l’urgence de reconsidérer les pouvoirs de nomination entre les mains du président de la République tels que l’expriment les articles 44 et 45 de la Constitution.

Aucune haute personnalité citée dans cette affaire par la défense n’est jusque-là inquiétée. C’est au regard de tous ces faits que nous comprenons aisément que le député maire Ousmane SONKO ait déclaré que dans cette affaire la justice est la principale responsable.

Par ailleurs, l’affaire Sweet beauté est marquée par l’assassinat de quatorze personnes. Ces actes constituent la ligne de démarcation fondamentale par rapport à l’affaire Watergate. Le sens élevé de la responsabilité des institutions américaines a permis de faire éclater la vérité. A rebours, le manque de diligence notoire des institutions sénégalaises a plongé le pays dans le chaos.

C’est dans cette perspective que l’assertion controversée de Barack Obama sur la nécessité d’institutions fortes en lieu et place d’hommes forts trouve tout son sens. Il faut rappeler que jusque-là aucune enquête n’est ouverte au Sénégal pour élucider les actes de barbouzerie enregistrés durant le mois de mars 2021.

Une telle situation ne peut se produire que dans une démocratie mineure dont la vitalité ne se mesure qu’à la lumière de l’organisation à intervalle régulier des compétitions électorales.

Ces deux cas éclairent sur le rôle et l’apport de la presse dans la marche démocratique d’un État. Aux États unis d’Amérique, c’est la presse qui a éventré le ‘‘sale’’ coup des républicains au pouvoir à l’encontre des démocrates. Ce fut, à l’époque jeune journaliste, Bob Woodward du Washington post qui a démontré que les cambrioleurs sont liés à la Maison blanche et que l’un d’eux a travaillé à la CIA.

Au Sénégal, dans l’affaire Sweet beauté, il sied de saluer le travail remarquable d’un poignet de journalistes et de médias. Cependant, les médias les plus puissants ont réservé au dossier un traitement très tendancieux préférant en parler que lorsqu’ils croient détenir des éléments qui compromettent Ousmane SONKO. Et, quand il existe des éléments qui militent en sa faveur, il est noté un silence radio. Pis encore, venant au secours d’un exécutif pris à son propre piège, certaines maisons de presse ont lourdement chargé Sonko.

Que dire des récentes censures en direct des revues de presse sur les radios Zik fm et Rfm ?

Aujourd’hui les démocrates du pays doivent se battre non seulement contre l’instrumentalisation des pouvoirs judiciaire, législatif et de certains services de l’État mais aussi contre l’instrumentalisation de la presse. Cette dernière a intérêt à se réconcilier avec les règles éthiques qui la régissent. A défaut, elle aura à dos le peuple qui, grâce à la magie du Kacc-kacci, trouve un nouvel espace de communication et de partage.

Conclusion

Les affaires Watergate (USA) et Sweet beauté (Sénégal) sont des taches indélébiles dans l’histoire politique desdits États. Elles doivent permettre aux peuples concernés d’effectuer une introspection sur l’état de la morale et de l’éthique dans les mœurs politiques.

Malheureusement, tel n’a pas été le cas aux États unis d’Amérique. André KASPI déplore que le scandale du Watergate soit tombé aux oubliettes dix ans après. De son point de vue, celui-ci « aurait symbolisé la rupture, la fin de l’Amérique d’hier et la naissance d’une nouvelle Amérique ».

Au Sénégal, l’affaire Sweet beauté, à son tour, doit impérativement imprimer ces valeurs dans l’arène politique et amorcer un nouveau départ. Nos politiques doivent choisir minutieusement les moyens de lutte politique. Il est vrai que l’histoire politique du Sénégal n’est pas un long fleuve tranquille.

Toutefois, force est d’admettre qu’avec l’affaire Sweet beauté la pratique politique est tombée bas. En effet, à l’exception du cas Diombasse DIAW (22 novembre 2011), le sexe ne fait pas partie des mœurs politiques sénégalaises. L’histoire retiendra que c’est sous le mandat du Président Macky Sall que le corps sacré de la femme a été utilisé comme arme contre un opposant redouté. Encore que les informations jusque-là détenues démontrent que c’est un fragile tissu de mensonges qui n’a pas su résister à la périlleuse épreuve du temps.

Il est regrettable que la maison qui abritait le salon soit démolie. Elle aurait pu être un site touristique. Eh oui ! A l’hôtel Watergate, 50 ans après le scandale, la chambre 214 utilisée pour piloter l’opération de cambriolage a été élevée en témoin d’un fait hautement marquant de l’histoire politique contemporaine des États unis d’Amérique.

D’ailleurs, pour replonger dans cette histoire, il faut débourser quelques 1600 dollars us la nuit. Aujourd’hui la mythique chambre est dénommée « scandal room ». Ce qui fut naguère la maison et le lieu de travail de N’deye Khady N’DIAYE aurait pu être baptisée « la maison du complot ». Et, les connaissant, je suis sûr que les vaillants patriotes en feraient un lieu de recueillement. Dommage !

Bibliographie :

Diop Boubacar Boris, « Affaire Sweet beauté, une démocratie souillée », seneplus, 11 février 2021

Bibliographie :

Diop Boubacar Boris, « Affaire Sweet beauté, une démocratie souillée », seneplus, 11 février 2021, https://www.seneplus.com/opinions/affairesweetbeautéunedémocratiesouillée,

Kamara Mactar, « L’affaire Sweet beauté entre vie intime et vie publique : leçons d’ailleurs, défense et illustration de la présomption d’innocence », Dakar, 08 mars 2021.

Kaspi André, Du Watergate à la Maison blanche, deux ans de révélations », Le Watergate, 1986, pp. 7-45, cairn.info, https://www.cairn.info/le-Watergate–9782870271087-page-7…,

Leroy, Thomas « 50 ans après la démission de Nixon, l’hôtel du Watergate revendique son passé sulfureux », BFM business, 04-04-2021, https://www.bfmtv.com,

Pierre Henri, « Les quatre principaux coupables de l’affaire Watergate condamnés à des peines de prison », Le Monde 24 février 1975, https://lemonde.fr,

Samory, « Affaire Diombasse Diaw, Khadja M’baye et ses complices prennent 6 mois, Abdou Aziz Diop relaxé », https://www.xalima.com,

  1. D.

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