Quand l’IPRES ne respecte pas des normes de Bonne Gouvernance

Depuis un certain nombre de jours, est publié dans les journaux de la place un avis à manifestation d’intérêt pour la présélection d’un Commissaire aux Comptes de l’IPRES. Cet avis porte la signature de Monsieur le Directeur Général de l’IPRES. Il a, selon ses propres termes, « pour objet de choisir un Commissaire aux Comptes pour une mission d’audit portant sur la régularité et la sincérité des états financiers des exercices 2014 à 2016 ».

Le même avis mentionne que « l’PRES se réserve le droit de donner suite à cette manifestation d’intérêt suivant les offres reçues et la décision du Conseil d’Administration » (CA).

Tout ceci laisserait croire, selon le libellé de cet avis, que le processus de sélection du Commissaire aux Comptes serait piloté par le management opérationnel de l’IPRES qui devrait, selon une évaluation « qualité / coût », proposer au Conseil d’Administration le meilleur choix, à charge pour ledit Conseil d’Administration de l’institution de prendre la décision de nommer ou non un Commissaire aux Compte (CAC).

Je n’aurais pas été choqué par un tel avis si, dans le même journal, je n’avais pas lu qu’une association de retraités, dénonçant la modicité de leurs pensions, revendiquait un droit de regard sur la gestion de l’institution en proposant leur participation au Conseil de l’IPRES.

Il y a près de 15 ans alors que j’étais membre du Conseil de l’IPRES, j’avais préféré démissionner pour ne pas cautionner l’incongruité consistant pour un Conseil d’Administration d’une institution, jouant un rôle aussi central, à recruter le Commissaire aux Comptes, à lui assigner la mission de procéder à la vérification de la régularité et de la sincérité d’écritures dont le conseil d’administration, en tant qu’organe de gestion en l’espèce, assume la responsabilité et  à recevoir son rapport aux fins d’approbation des états financiers. Le tout ayant pour finalité que le Conseil d’Administration lui-même se donne quitus de sa propre gestion.

 

De tels errements se produisaient sous le regard indifférent des représentants de tutelles technique et administrative et de chefs d’entreprises. Le plus choquant est que les Commissaires aux Comptes en charge étaient conscients d’être, totalement, en porte-à-faux avec les dispositions légales et réglementaires. Ils avaient comme seule et unique explication que c’est  toujours comme cela que ça se passe à l’IPRES ou à la Caisse de Sécurité Sociale.

 

Faut-il rappeler que le Commissaire aux Comptes exerce une mission légale. Elle a pour objet de certifier que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat, de la situation financière et du patrimoine de l’organisation.

La forme de son rapport est prévue par les normes professionnelles et les informations qui y figurent sont fixées par la loi. Dans son rapport général, il présente à l’Assemblée Générale ses conclusions.

Il a un pouvoir de saisine du Procureur de la République face à certains faits revêtant un caractère délictueux. Il peut lui-même devant le laxisme du Conseil d’Administration, décider de la convocation de l’Assemblée Générale à qui il est tenu de rendre compte à l’exclusion d’un quelconque autre organe. Il s’expose également, à des poursuites judiciaires si, d’aventure, il était avéré qu’en connaissance de cause, il a fermé les yeux sur des falsifications de comptes ou des actes de prévarication.

Toutes ces dispositions sont d’ordre public.

Pourquoi donc un tel laxisme au sein des institutions qui collectent l’épargne des travailleurs pour leur garantir une fin de carrière paisible ou, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle une indemnisation?

Les lois instituant la mission de commissariat aux comptes ne datent pourtant pas d’aujourd’hui. Le code des obligations civiles et commerciales du Sénégal l’avait prévue et aujourd’hui, l’acte unique de l’OHADA (17 octobre 1993) est explicite sur la question.

Au demeurant l’acte unique vient préciser que l’institution du Commissaire aux Comptes représente une norme obligatoire pour toutes les organisations qui font appel public à l’épargne ou qui accumulent des chiffres d’affaires de plus de 250 millions FCFA (art. 376). Les mêmes dispositions (art. 702, art. 728) prévoient non seulement l’existence d’un CAC mais de deux Commissaires aux Comptes dans de telles organisations assurant, comme l’IPRES, pour mission de collecter de l’épargne.

Dans les dispositions de l’Acte Uniforme, c’est uniquement pour les Sociétés À responsabilité Limitée (SARL), que les dirigeants ont la faculté de choisir eux-mêmes un Commissaire aux Comptes.

L’IPRES ou la CSS ne pourraient être assimilées à une SARL.

Donc, qui doit nommer le Commissaire aux Comptes à l’IPRES, notamment?

L’IPRES joue un rôle macroéconomique majeur en participant à la distribution du revenu et de la consommation entre différents ménages. Ceci a un impact sur la structure et le volume de la demande globale et, subséquemment, du Produit Intérieur Brut. Les systèmes de protection sociale qui accumulent des réserves influencent également, l’épargne nationale et le niveau de l’investissement.

Au vu de ces nombreux enjeux, on comprend aisément la place et le rôle d’une institution telle que l’IPRES dans le dispositif économique, social, financier, voire politique de notre pays.

C’est avant tout, une institution de protection sociale. La protection sociale est un droit fondamental de la personne et un élément de son bien-être. La protection sociale constitue un facteur primordial de stabilité politique et sociale.

Toutes ces considérations contribuent à justifier, si tant est que cela soit nécessaire, la place et le rôle de premier plan de l’État dans le dispositif régalien de la politique de protection sociale.

Pour que les bénéfices recherchés puissent effectivement être ressentis équitablement par toutes les composantes de la population, il est absolument indispensable que l’État ait un droit de regard effectif en s’assurant que tout le caractère coercitif inhérent aux mesures tendant à sauvegarder les avoirs, le fonctionnement, les orientations majeures fasse l’objet d’un respect scrupuleux.

C’est dire que la mission du Commissaire aux Comptes consistant à donner l’heure juste aux parties prenantes de l’IPRES est une mesure d’intérêt public.

Pour l’efficience du système de prévoyance ainsi mis en place, la sincérité des écritures mais surtout la réalité économique de l’institution revêtent une importance capitale eu égard aux conséquences dramatiques que des actes de mal gouvernance peuvent avoir sur la stabilité économique et sociale de notre pays.

 

Vue la place de l’IPRES dans le dispositif de sécurité sociale, vue sa mission de collecte de l’épargne des travailleurs, il est évident que le corpus organisationnel auquel elle est soumise est plutôt assimilable à celui régissant les Sociétés Anonymes (SA) ou à celui des organisations qui font appel public à l’épargne.

Dans ce type d’organisations, nul ne peut nier que la désignation des Commissaires aux Comptes relève exclusivement des attributions de l’Assemblée Générale.

Peut-il en être autrement dans le cas de l’IPRES? Assurément, non.

L’article 14 des statuts de l’IPRES a instauré un « collège des représentants investi des pouvoirs de l’Assemblée Générale et en tenant lieu ». C’est le libellé exact de cet article. Il se passe de commentaires.

Les statuts prévoient comme dans les sociétés anonymes une Assemblée Générale extraordinaire, AGE (art.19) et une Assemblée Générale Ordinaire AGO (article 18). Matériellement, leurs attributions sont exactement celles des AGO et AGE des SA.

Tenant donc lieu de l’Assemblée Générale réunissant les parties prenantes, État, Employeurs et Travailleurs, il est inutile de se poser la question de savoir qui, du conseil d’administration ou du Collège des représentants tenant lieu d’Assemblée Générale, doit désigner le ou les Commissaires aux Comptes.

Ayant les pouvoirs de l’Assemblée générale, il ne revient donc pas au Conseil d’administration de recevoir le rapport des Commissaires aux Comptes, de donner quitus aux administrateurs de leur gestion et de certifier les comptes de l’exercice sous revue.

Les membres du Conseil d’administration ne peuvent donc pas être juges et parties : faire des actes de gestion et, eux-mêmes, se réunir pour les déclarer conformes et sincères.

En outre eu égard à sa mission d’intérêt public et de gestion de l’épargne des  travailleurs, l’IPRES  doit avoir non pas seulement un Commissaire aux Comptes mais deux (2) Commissaires aux Comptes. Ceci est une mesure de prudence, voire, de bon sens, pour éviter que l‘indisponibilité du Commissaire aux Comptes ne vienne empêcher l’approbation des états financiers d’un exercice.

L’État est le garant du bon fonctionnement du régime et de la mise en œuvre de toutes les mesures de nature à assurer sa pérennité. Les Textes qui régissent le fonctionnement de l’IPRES ont été conçus afin que cette mission puisse être exécutée avec la plus grande régularité en plaçant l’institution sous la double tutelle technique et financière de deux départements ministériels siégeant au sein de tous les organes de l’institution avec des pouvoirs de contrôle très forts visant à garantir le bon fonctionnement et le respect scrupuleux des normes et règles prudentielles de gestion d’une telle institution, de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes.

Il est donc impératif que les parties prenantes de l’IPRES respectent scrupuleusement les textes régissant cette institution.

Le communiqué visant à sélectionner un Commissaire aux Comptes est donc en porte-à-faux avec la Loi  sous plusieurs rapports :

  • Le Commissaire aux Comptes ne peut être choisi par le management de l’institution c’est-à-dire ni par le conseil d’Administration, ni a fortiori par le Directeur Général à charge pour le Conseil de prendre la décision finale.
  • Les dispositions du traité de l’OHADA (art. 702) imposent la désignation d’au moins 2 Commissaires aux Comptes : un titulaire et un suppléant (art. 728).
  • Mais dans le cas d’une entité telle que l’IPRES dont la mission est fondée sur la collecte de l’épargne, il est plutôt recommandé d’avoir au moins deux Commissaires aux Comptes titulaires et au moins deux Commissaires suppléants en raison de la complexité de leurs écritures.
  • Enfin, lorsque le Commissaire aux Comptes est désigné lors de l’Assemblée Générale ordinaire, c’est-à-dire en l’occurrence, à l’occasion de la tenue de la réunion du Collège des représentants tenant lieu d’Assemblée Générale ordinaire Art. 18 des statuts de l’IPRES, son mandat doit être non pas de deux ans mais de six (6) ans (art. 704 acte unique).

 

Encore faudrait-il que le collège des représentants se réunisse. Pendant plusieurs années il ne s’est réuni que pour désigner les membres du Conseil d’administration.

Aucun des comptes d’exercice de l’IPRES de ces dernières années n’a donné lieu à une vérification diligentée par le collège des représentants, ni a fortiori, à une approbation des états financiers par le collège des représentants, ni à un quitus délivré au Conseil non pas par le Conseil mais par le collège des représentants tenant lieu d’Assemblée Générale.

Les Commissaires aux Comptes qui ont officié le savent très bien. Les représentants des tutelles technique et administrative ne s’en préoccupent pas.

Youssoupha Diop, Juriste

Ancien membre du Conseil d’administration de l’IPRES (CNP)

BP 3914 DAKAR  7 mars 2015

Michel DIEYE

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Michel DIEYE

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