Plus de 20 000 morts en Turquie et en Syrie : pourquoi le bilan est-il aussi lourd ?

La puissance des tremblements de terre qui ont touché les deux pays ainsi que la fragilité des infrastructures et la densité de population peuvent expliquer l’ampleur des pertes humaines. nouvelobs.com

Moins de quatre jours après les violents séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, le bilan s’élève déjà à plus de 20 000 morts, selon les dernières données fournies par des responsables officiels ce jeudi 9 février. Le chiffre, qui s’alourdit jour après jour, risque encore d’augmenter. Derrière la force des tremblements de terre, l’ampleur de ces pertes humaines s’explique aussi par les infrastructures fragiles qui ont piégé les habitants et les difficultés auxquelles font face les premiers secours.

La Terre a tremblé pour la première fois lundi matin à 4h17, emprisonnant sous les décombres les nombreuses personnes qui dormaient chez elles. La secousse s’est démarquée par sa force, avec un séisme de magnitude 7,8. Elle a duré très longtemps, « une centaine de secondes », soulignait mardi auprès de « l’Obs » Françoise Courboulex, sismologue et directrice de recherche au CNRS. « Il a eu lieu à faible profondeur et a engendré des vibrations extrêmement fortes en surface, auxquelles la plupart des bâtiments ne peuvent pas résister », notait-elle.

 

Des infrastructures inadaptées

Les infrastructures de ces bâtiments n’étaient, pour beaucoup, pas adaptées à des zones où l’aléa sismique est important, comme c’est le cas en Turquie. « Si l’aléa sismique mesure seulement la probabilité naturelle de fortes vibrations, le risque sismique prend aussi en compte les densités de population, les infrastructures, expliquait encore Françoise Courboulex. Et, en Turquie, malgré la modernité du pays, de nombreux bâtiments ne sont pas construits pour résister à des vibrations sismiques aussi fortes. Les normes parasismiques sont récentes, et elles ne sont pas appliquées systématiquement. » En Syrie, le séisme a frappé un habitat déjà fragilisé par douze années de guerre civile.

Après un premier séisme déjà violent dans la nuit, la région a été touchée par une réplique d’une force presque équivalente, de magnitude 7,5. Un phénomène inhabituel qui a sans doute surpris victimes et secouristes sur place et n’a pas manqué d’aggraver la situation.

L’ampleur des secousses, les infrastructures inadaptées, couplées à la densité de population sur place – le premier tremblement de terre s’est déclenché près de la ville de Gaziantep et ses 2 millions d’habitants –, ont donc participé à ce bilan qui ne cesse de grimper.

Mais les pertes pourraient encore s’alourdir face aux difficultés auxquelles les secours sont confrontés sur place, explique à « l’Obs » Jean-François Corty, médecin, chercheur associé à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris) et membre du conseil d’administration de Médecins du monde :

« Les difficultés d’accès aux petites villes et villages touchés ou encore le froid et les conditions climatiques qui entravent le travail des secours représentent une vraie perte de chance pour ceux qui sont encore sous les décombres. »

Les opérations de secours sont aussi compliquées par les répliques, parfois intenses, qui continuent d’affecter sporadiquement la région et peuvent encore aggraver la situation en fragilisant toujours plus les infrastructures, souligne aussi le médecin.

Pour l’heure, il est difficile de déterminer le nombre de personnes qui restent à secourir, « mais on sait que cela concerne plus de 6 000 bâtiments, ce qui laisse imaginer le nombre de victimes, et comment il va continuer à grimper », note Jean-François Corty.

Des secours morcelés

En Turquie, les acteurs locaux sont en première ligne sur les premiers secours. « Ils ont l’expertise pour le faire, notamment grâce aux structures comme le Croissant-Rouge qui sont entraînées et vont pouvoir prendre en charge les victimes dès qu’elles y auront accès », précise le médecin. Vu l’étendue du désastre, l’aide internationale devrait être la bienvenue, ajoute-t-il, notamment pour l’envoi de matériel ou la prise en charge de victimes dans des hôpitaux proches du pays.

Jean-François Corty souligne également les difficultés accrues en ce qui concerne le secours aux victimes en Syrie, où le territoire est morcelé entre zones rebelles et zones sous le contrôle du régime de Bachar al-Assad – qui fait l’objet de sanctions internationales. « Le système de veille sanitaire est très sinistré après des années de guerre, on a des informations par bribes de la part d’acteurs qui ne communiquent pas entre eux. Tout dépend de la façon dont les différentes autorités accepteront les aides extérieures. »

Quatre jours après la première secousse, le temps presse : « Les 72 premières heures sont déterminantes pour les personnes en urgence vitale, coincées sous des murs ou nécessitant de la chirurgie, rappelle le médecin. Mais on peut continuer à trouver d’autres personnes même après des jours, voire des semaines, et on continuera de voir des images de ces survivants sortis des ruines. »

Si dans les jours à venir, les secours locaux et internationaux vont tenter encore de sauver les victimes de la catastrophe, la crise est très loin d’être terminé, prévient Jean-François Corty. Tentes, nourriture, éclairage… Après l’urgence, l’assistance va s’inscrire dans le temps.

S nouvelobs.com

Momar Diack SECK
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