Non révision annuelle des listes électorales au Sénégal: une violation de la loi par le Ministère en charge des élections (Président Ndiaga Gueye)

La clé de voûte, en termes plus clairs, l’élément fondamental, de tout processus électoral d’une démocratie repose sur l’existence d’un support matériel et immatériel d’une collection organisée d’informations sur les électeurs : le fichier électoral.

Le fichier électoral est une base de données permanente à une date donnée, à partir de laquelle sont produites les listes électorales d’un scrutin. Il contient des informations qui permettent d’identifier et de localiser les électeurs­: le corps électoral avec ses caractéristiques démographiques (âge, sexe).

Un fichier électoral s’apprécie en fonction des indicateurs de transparence, de couverture et d’actualité afin de pouvoir le qualifier de fiable et sincère, ainsi, il permet d’assurer le principe fondamental d’un processus électoral intègre­: « un électeur, un vote ».

Un fichier électoral est qualifié de fiable lorsqu’il garantit l’unicité de l’électeur et que les opérations de modification et de radiation d’inscriptions sont effectuées. Il est qualifié de sincère lorsqu’un sous-groupe n’est pas sous-représenté ou surreprésenté en fonction de sa région, de son domicile, de son âge, de son sexe, de sa profession, de son ethnie, de sa religion ou de sa langue.

Un fichier électoral non fiable ou non sincère donc de mauvaise qualité, en plus de priver des électeurs de leurs droits démocratiques, a un impact direct sur le résultat d’un scrutin. Par conséquent, la conception, la mise en œuvre et la révision d’un fichier électoral afin qu’il soit fiable et sincère, est un enjeu capital pour l’organisation d’élections libres, honnêtes et démocratiques.

A cet effet, des mises à jour (inscription, modification, changement de statut et radiation) par des révisions annuelles et exceptionnelles des listes électorales sont prévues par les articles L39 et R28 du code électoral édition 2018 du Sénégal. Leur lecture combinée dispose qu’une révision ordinaire des listes électorales aurait du être organisée du 1er février au 31 juillet 2020.

Cependant, le constat est qu’aucune révision annuelle des listes électorales n’a été organisée durant l’année 2020 alors qu’elle n’était pas une année électorale. Ce qui constitue une violation de la loi électorale par le Ministère en charge des élections du Sénégal.

La non organisation de la révision annuelle des listes électorales en 2020 par le Ministère en charge des élections en violation de la loi électorale, a pour conséquence de ne pas rapprocher le plus possible le fichier électoral de l’électorat potentiel au Sénégal.

En outre, il est à rappeler que cette administration nommée par le Président de la République du Sénégal arrivée au pouvoir en 2012, n’a organisée qu’une seule révision ordinaire des listes électorales en 2015. D’ailleurs, les cartes d’électeur de cette révision ordinaire n’étaient disponibles que partiellement dans les commissions administratives lors du référendum constitutionnel de 2016 (Voir rapport CENA page 21).

A ces constats, il y a lieu d’ajouter que depuis la refonte partielle du fichier électoral de 2016, sur la base de motifs non fondés en falsifiant les conclusions du rapport de la mission d’audit du fichier électoral de 201(pages 7, 8, 9), la tendance est à l’organisation de révisions exceptionnelles des listes électorales dont la durée est de plus en plus courte. Ainsi, celle organisée en perspective de l’élection présidentielle de 2019 a durée 2 mois (du 1er mars au 30 avril 2018), tandis celle des élections territoriales prévue en janvier 2022, a durée 45 jours (31 juillet au 14 septembre 2021).

Pour rappel en 2014, deux révisions exceptionnelles ont eu lieu dans le cadre de la tenue des élections locales, d’abord, une de 3 mois, ensuite une autre de 6 mois, soit au total 9 mois (Voir rapport CENA page 14).

Ainsi, il apparaît qu’il n’y a plus au Sénégal depuis 2016, des périodes de mise à jour des listes électorales qui puissent permettre de refléter la réalité démographique en les rendant les plus proches possibles de l’électorat potentiel.

En effet, lors de l’élection présidentielle de 2019, le nombre d’électeurs inscrits au fichier électoral était de 6 683 043 (Voir rapport CENA page 26), alors que la population électorale du Sénégal est de 8 413 851 en 2019 (Voir rapport de février 2020 sur la population du Sénégal en 2019 de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie).

Ainsi, de potentiels électeurs au nombre de 1 730 808 ont été privés de vote parce que n’étant pas inscrits sur le fichier électoral. Parmi eux, 1 104 157 jeunes âgés de 18-25 ans (Voir Rapport 2021 Mission d’audit du fichier électoral du Sénégal, page 111).

A la lumière de ce qui précède, le Ministère en charge des élections, en n’organisant pas la révision ordinaire des listes électorales en 2020, n’a pas donné la possibilité d’inscription aux potentiels électeurs sur une longue période de 6 mois. Aucun argument juridique fondé ou technique objectif ne peut être invoqué pour justifier un tel manquement.

D’ailleurs, parmi les réponses au COVID-19, le Ministère en charge des élections aurait pu tirer profit des opportunités du numérique et mettre en place un formulaire de demande en ligne d’inscription, de modification et de radiation au profit de la population, les jeunes en particulier, dont la vie se numérique de plus en plus.

Une telle initiative aurait probablement favorisé une inscription massive sur une période de 6 mois et aurait pour effet une modification substantielle du fichier électoral qui a permis au Président de la coalition au pouvoir de gagner l’élection présidentielle de 2019.

Cependant, aller aux élections territoriales avec quasiment le fichier électoral de 2019, était l’objectif de la non organisation de la révision ordinaire des listes électorales en 2020. D’ailleurs, la période de très courte révision exceptionnelle (45 jours) des listes électorales en perspective des élections territoriales de 2022, décidée par le Président de la République du Sénégal, par ailleurs, Président de la coalition au pouvoir, confirme ce constat. Ainsi, le 1er jalon de la défaite en programmation de l’opposition à ce scrutin est acté.

A la lumière de ce qui précède, le fichier électoral du Sénégal ne se pose plus en termes de fiabilité mais de sincérité car des sous-groupes de potentiels électeurs au nombre de 1 730 808 ne sont pas encore inscrits soit par la non organisation de révision ordinaire ou l’organisation de révision exceptionnelle très courtes des listes électorales.

Une situation qui fausse le résultat de tout scrutin au Sénégal dans le cadre d’une compétition pluri partisane. C’était déjà, le cas lors de l’élection présidentielle de 2019 et ce sera aussi le cas lors des élections territoriales et législatives de 2022.

Conscient de l’illégalité de la non organisation de la révision ordinaire des listes électorales en 2020, le Gouvernement du Sénégal, par un projet de loi voté par l’Assemblée Nationale en juillet 2021, a réécrit l’article 39 qui est devenu l’article 37 : «­Les listes électorales sont permanentes. Elles font l’objet d’une révision annuelle initiée par l’administration. Sauf cas de force majeure, cette révision dite ordinaire se déroule dans les délais fixés par le présent code. »

Aucune définition de cas de force majeure dans le code électoral, aussi toute situation, pourrait être invoquée, pour justifier la non organisation de la révision ordinaire des listes électorales, surtout, en perspective de l’élection présidentielle de 2024. Ainsi, un argument juridique est donné à l’administration pour justifier une éventuelle non organisation d’une révision ordinaire des listes électorales.

Dans ces conditions, il n’y aura que des révisions exceptionnelles des listes électorales dont la durée et le moment est sous le contrôle exclusif du Président de la République du Sénégal, par ailleurs Président de la coalition au pouvoir, qui en matière de gouvernance démocratique ne pose que des actes partisans.

Enfin, il est à faire remarquer qu’aucun électeur au Sénégal ne dispose de la certitude de pouvoir voter lors de prochains scrutins car il n’y a aucun moyen de vérifier la conformité des informations entre la carte d’électeur et celles sur le fichier électoral. Certes, il y a un lien en ligne pour la consultation du fichier électoral mais il n’est pas fonctionnel.

En vertu des articles 62, 68, et 69 de la loi sur la protection des données personnelles, le Ministère en charge des élections doit faciliter l’exercice des droits électeurs­ sur le fichier électoral: Droit d’accès, droit d’opposition, droits de rectification et de suppression.

Il faut rappeler que le fichier électoral est modifiable à tout instant par ses administrateurs et toute modification à l’insu de l’électeur lui fera perdre son droit de vote. Ce manquement permet de faire toutes sortes de manipulation sur le fichier électoral pour pouvoir gagner une élection au Sénégal.

Désormais, la coalition au pouvoir a crée les conditions qui lui permette d’avoir un contrôle total sur le fichier électoral en décidant du nombre d’électeurs qui doivent s’inscrire, qui doit s’inscrire, du moment et de la durée, pouvant ainsi exclure des milliers d’électeurs des prochains scrutins. Elle se donne ainsi un moyen capital de s’assurer d’une victoire à l’avance lors de prochains scrutins.

Au regard de tout ce qui précède, le droit de vote n’est plus garanti au Sénégal car le fichier électoral n’est pas sincère.

Cette confiscation de ce droit par lequel les populations expriment leur souveraineté ne peut être accepté dans un pays de démocratie électorale. Aussi, une mobilisation citoyenne et politique est nécessaire afin que tous les potentiels électeurs puissent s’inscrire et ainsi avoir l’opportunité d’exprimer leur volonté par un processus électoral libre, honnête et démocratique. Enfin, il est fondamental pour la transparence du fichier électoral qu’il soit public. A cet effet, l’article 37 doit être modifié ainsi qu’il suit­: «­Les listes électorales sont permanentes et publiques­» obligeant ainsi l’administration à donner la possibilité à tout citoyen de vérifier ses informations électorales à tout moment.

A défaut, de la prise en charge de ces leviers de manipulation du processus électoral, il n’y aura que des élections de faire valoir démocratique au Sénégal.

Fait à Dakar, le 28/ 11/ 2021
Le Président Ndiaga Gueye

Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication
Chercheur en communication politique à l’ère numérique
Laboratoire: LARSIC, École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal
Email infos@asutic.org

Mamadou Nancy Fall
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