La CEDEAO, d’après le communiqué de son dernier sommet extraordinaire à Accra, au Ghana, le 4 juin 2022, sur la situation politique dans trois États membres sous régime militaire, semble être à court d’idées sur la manière de rétablir l’ordre constitutionnel dans le pays touchés – Mali, Guinée et Burkina Faso.
Le schéma est devenu prévisible. Les soldats renversent le gouvernement de civils élus, suivi de condamnations véhémentes et de la suspension du pays touché de l’adhésion à la CEDEAO. La junte annoncerait une longue période de transition, que la CEDEAO rejettera promptement ; puis s’engager dans certaines interventions, y compris la nomination d’un médiateur ; imposer des sanctions dites ciblées ; et les mouvements de montagnes russes commencent par une série de sommets extraordinaires et un gaspillage de ressources rares avec peu ou pas de progrès.
Les derniers scénarios ont commencé avec deux coups d’État militaires au Mali en un an à partir d’août 2020, suivis par la Guinée et le Burkina Faso en succession rapide. Malheureusement, le communiqué de six pages du sommet extraordinaire d’Accra n’inspire pas beaucoup d’espoir pour des mesures stratégiques vers une résolution rapide des crises politiques dans les trois pays troublés.
La présidence de l’Autorité de la CEDEAO par le président ghanéen Nana Akufo-Addo et le mandat de quatre ans de la direction sortante de la Commission de la CEDEAO sous la direction du président Jean-Claude Kassi Brou pourraient se terminer avec un héritage défini par une régression évitable de la démocratie dans la région.
La direction actuelle de la CEDEAO n’a peut-être pas été l’architecte des crises politiques. Certains ont été hérités de la direction précédente. Mais si le leadership consiste à prendre ses responsabilités, y compris dans la gestion et la résolution des conflits, les responsables de l’organisation régionale de 47 ans au cours de la dernière décennie ne se sont pas couverts de gloire, en raison de leur léthargie caractéristique et de leurs stratégies de réponse inefficaces ; manque de vision et de proactivité.
Les causes profondes des crises/conflits sont évidentes, allant de la cupidité à la corruption endémique des dirigeants nationaux, en passant par les abus et le mépris de la constitution, de l’État de droit et des lois électorales ; des élections entachées d’irrégularités, des violations des droits de l’homme et le syndrome du troisième mandat ou de l’allongement des mandats.
L’échec du leadership est une manifestation de la mauvaise gouvernance, qui favorise la pauvreté, la faim, le chômage de masse, des infrastructures sociales délabrées ou inexistantes, un système éducatif sous-financé et l’insécurité des vies et des biens. D’autres sont l’affichage impitoyable de la richesse et de l’opulence de l’élite politique, qui vit largement du Commonwealth, y compris en faisant du tourisme médical à l’étranger, tandis que les systèmes de santé nationaux sont abandonnés.
Le manque de leadership se situe également aux niveaux régional et continental, et il est devenu à la mode pour la CEDEAO et l’Union africaine d’intervenir après l’escalade des crises/conflits, au lieu de les étouffer dans l’œuf.
Ceci en dépit du fait que les organisations disposent de systèmes d’alerte précoce, d’instruments juridiques et d’outils pour une prévention, une gestion et une résolution efficaces des conflits. Le problème est que ces outils sont soit complètement ignorés soit négligés, lorsqu’ils ne sont pas sapés par le manque de volonté et de capacité politiques, l’incompétence, la négligence ou une combinaison de ces facteurs, de sorte que les interventions sont inefficaces ou trop peu trop tardives.
Prenons l’exemple de la Guinée. Lorsque le président Alpha Condé, aujourd’hui déchu, a lancé son plan controversé d’allongement du mandat par un référendum national et un amendement constitutionnel, suivant un schéma similaire en Côte d’Ivoire, très peu de choses ont été entendues de la CEDEAO, du moins publiquement, même lorsque de violentes manifestations de rue ont suivi. .
C’est le mécontentement à l’égard des systèmes de gouvernance qui a également entraîné des manifestations de rue et le renversement éventuel des gouvernements au Mali et au Burkina Faso, les putschistes invoquant la corruption et l’incapacité des gouvernements à lutter contre l’insécurité, entre autres raisons.
N’ayant pas réussi à faire des progrès significatifs, les dirigeants de la CEDEAO ont commodément remis l’intervention régionale indispensable pour la résolution des crises dans les trois pays à la prochaine direction de la Commission de la CEDEAO, qui devrait prendre ses fonctions début juillet 2022.
Incidemment, un nouveau président de la CEDEAO devrait également émerger lors du sommet ordinaire du 3 juillet 2022, qui sera la dernière affectation officielle de Brou en tant que président de la Commission de la CEDEAO. Il passe à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, BCEAO, en tant que gouverneur le 4 juillet 2022. Les membres de la BCEAO francophone à huit nations, qui utilisent le franc CFA comme monnaie commune, appartiennent également à la CEDEAO à 15 nations.
Depuis Dakar, le siège sénégalais de la BCEAO, l’économiste ivoirien imaginerait ce qu’aurait pu être la Commission de la CEDEAO, où lui et son équipe de direction ont régné pendant quatre ans. Sur une note positive, l’équipe serait fière de lancer la mise en œuvre de la réduction attendue depuis longtemps de la gestion de la Commission d’une structure inutile de 15 à sept commissaires.
La pandémie mondiale de Covid-19 a peut-être affecté les progrès, mais en général, le tableau de bord des performances de la CEDEAO n’est pas impressionnant, en particulier sur la consolidation démocratique au cours de la dernière décennie.
Selon le communiqué du sommet d’Accra, l’Autorité de la CEDEAO s’est dite « préoccupée par la durée de la période de transition de 36 mois annoncée par les autorités de transition » en Guinée. Elle « exige la finalisation d’un calendrier de transition acceptable ; demande instamment au gouvernement d’établir un cadre approprié de dialogue avec les acteurs politiques et de la société civile afin d’apaiser les tensions sociopolitiques et d’assurer une transition pacifique », indique le communiqué, sans aucune référence au calendrier de transition de « six mois », qui La CEDEAO avait exigé de la junte.
L’Autorité a également réitéré la « désignation du Dr Mohamed IbnChambas comme médiateur de la CEDEAO en Guinée, la situation politique devant être examinée lors du prochain sommet ordinaire de l’organisation le 3 juillet 2022 ». La junte dirigée par le colonel MamadyDoumbouya avait, en novembre 2021, rejeté l’idée d’un médiateur régional lorsque la CEDEAO a annoncé pour la première fois la nomination de Chambas, ancien secrétaire exécutif/président de la Commission de la CEDEAO et ancien représentant spécial du secrétaire général et chef du bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel.
Mais si la junte a maintenant changé d’avis, pourquoi la CEDEAO a-t-elle annoncé la nomination en premier lieu sans les bases nécessaires ?
La « Conférence décide (également) de nommer Mahamadou Issoufou, ancien Président de la République du Niger, comme Médiateur de la CEDEAO pour le Burkina Faso, afin de faciliter le dialogue entre toutes les parties prenantes… (et) réitère sa préoccupation quant à la durée de la période de transition fixée à 36 ans. mois par les autorités burkinabés », indique le communiqué. Il exige la « finalisation d’un calendrier de transition acceptable ».
S’agissant du Mali, la Conférence « salue les efforts déployés par le Médiateur de la CEDEAO (l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan), en vue de parvenir à un calendrier acceptable pour assurer un retour rapide à l’ordre constitutionnel, conformément aux protocoles de la CEDEAO et de l’Union africaine ». et décisions ».
Le communiqué ne fait aucune référence au programme de transition de 24 mois annoncé par la junte dirigée par le colonel Assimi Goita, au mépris d’un délai plus court exigé par la CEDEAO après que les soldats ont renié un précédent calendrier de 18 mois. Le communiqué ne dit rien sur la récente décision controversée de la junte malienne de nommer le président togolais Faure Gnassigbe comme médiateur sur la crise malienne, apparemment sans consultation préalable avec le médiateur en chef Jonathan.
S’il n’est pas rare que deux dirigeants servent de médiateurs sur le même conflit, comme cela s’est produit avec le Dr Jonathan, alors président en exercice et président du Burkina Faso aujourd’hui déchu Blaise Compaoré sur la crise malienne (2012-2014), c’est la CEDEAO qui a officiellement nommé les deux hommes.
Le communiqué du sommet d’Accra a également confirmé les sanctions controversées imposées par la CEDEAO en janvier 2022 au Mali, notamment la compression financière, le blocus des frontières et les interdictions de voyager pour les familles des responsables de la junte. Il a été convenu que la CEDEAO « poursuive le dialogue en vue de parvenir à un accord pour assurer une levée progressive des sanctions au fur et à mesure que les critères de la transition seront atteints ». Le même communiqué a appelé « les partenaires à accroître leur soutien humanitaire au Mali ».
En effet, le retour à l’ordre constitutionnel s’éternise dans les trois pays suspendus de la CEDEAO. Avec le Niger signalant une tentative de coup d’État en mars 2021 et la Guinée-Bissau en février 2022, et des élections majeures prévues en 2023, la nouvelle direction de la Commission de la CEDEAO a déjà plus qu’assez dans son assiette.
Ce régime militaire est une aberration qui ne se répète pas. Mais il est également incontestable que la prévention de l’incursion militaire dans la politique en Afrique nécessite une consolidation et une durabilité conscientes et délibérées de la démocratie et de la bonne gouvernance, fondées sur le respect des droits de l’homme, des constitutions nationales et des lois électorales.
L’élection est devenue une source de conflits politiques en Afrique, en grande partie parce qu’il s’agit d’une affaire à faire ou à mourir. Cela doit changer et avec une tolérance zéro pour la cupidité, la corruption, le copinage, l’impunité et le trucage des élections, parmi les nombreux comportements antidémocratiques qui sévissent sur le continent. Le mécanisme d’examen par les pairs et les méthodes traditionnelles de résolution des conflits en Afrique devraient également être activés.
Le leadership est une opportunité de servir les autres pour ne pas être servi.
La CEDEAO, l’Union africaine et les partenaires au développement, y compris l’ONU, devraient recalibrer et faire passer leurs mécanismes de prévention, de gestion et de résolution des conflits d’un mode réactif à un mode proactif.
L’Afrique de l’Ouest et la région du Sahel sont devenues l’épicentre de l’insécurité, du terrorisme, des insurrections djihadistes et séparatistes. La nouvelle direction de la Commission de la CEDEAO devrait redoubler d’efforts et travailler avec toutes les parties prenantes concernées pour prévenir, endiguer ou gérer efficacement les crises/différends dans la région politiquement agitée.
*Paul Ejime est analyste des affaires mondiales, ancien correspondant de guerre et consultant indépendant en communication stratégique d’entreprise, médias, paix et sécurité et élections