« Si chacun de nous est une certaine manière d’être en phase avec le mouvement du monde, pour moi c’est la Casamance où j’ai passé ma première enfance qui a construit mon être-au-monde sur le mode bougarabou, du nom de ce tambour que l’on peut considérer comme un symbole des musiques et des danses de la région ». Ces paroles de Souleymane Bachir Diagne, tirées de son ouvrage Le fagot de ma mémoire (Paris, Philippe Rey, 2021), qui résument son amour filial pour cette extraordinaire région du Sénégal, sonnent aujourd’hui comme refrain pour nous rappeler la situation qui prévoit dans cette partie du pays depuis la mise en place de mesures restrictives de circulation.
Le grand philosophe sénégalais traduit ici son attachement et son appartenance ad vitam aeternam à cette région qui traduit à elle seule le vivre-ensemble sénégalais forgé dans l’hybride par le panachage subtil et millénaire de traditions multiples et variées. Casamançais ou plus prosaïquement Casaçais, chacun d’entre nous pourrait le revendiquer autant que lui.
Tout Sénégalais pourrait déclamer aussi gravement, par sa trajectoire, par ses rencontres, ses itinéraires de vie, ses émotions, qu’il est un digne fils de cette terre bien sénégalaise, de ses terroirs enrichissants et vivifiants pour le pays de la Téranga.
Cette belle terre du Sénégal, qu’est-ce qu’elle ne nous aura-t-elle pas donné ? De la richesse, à coup sûr ! Sa rayonnante culture, sûrement ! Ses rythmes envoutants ; qui ne se souvient pas de Touré Kunda, d’Ucas Jazz bande de Sédhiou !
Ses produits vivriers ; ses succulentes mangues nous manquent gravement ! Ses femmes et hommes de valeurs ; d’Aline Sitoe Diatta à mes amis et collègues valeureux qui font la fierté de ce pays ! Son souffle vital ; qui attire des milliers de touristes chaque année ! Casamance ! Casa di mansa ! Terre sénégalaise pétrie d’énergies positives et de symboles éternels, nous vous devons respect et considération. Pas une seule parcelle de ce terroir sacré ne devrait faire l’objet d’une quelconque entrave.
Restreindre la Casamance, c’est restreindre tout le Sénégal. Chaque Sénégalais devrait s’ériger en bouclier pour te défendre à chaque fois que ton intégrité est touchée si infime soit-il. Chacun d’entre nous devrait se lever pour dire du fond de ses tripes qu’il est Casamançais. Le Diola devrait pouvoir fièrement déclamer sous tous les toits : « Inje aniil ati Casamance » ; le Socé : « Nte mu Kaa samancekoo ti » ; le Peul : «Komi bi Casamance » ; le Wolof : « Maï doomu Casamance bi » ; le Mandiak : « Man tchi a book Casamance ». Oui, chacun devrait dire : « je suis Casamançais » sans arrière-pensée, sans sourcilier.
Devant l’injustice des mesures restrictives de circulation qui frappent une partie de cette terre bien sénégalaise, qu’aucun cadre juridique et administratif ne vient parafer, tous les Sénégalais devraient faire comme Kennedy sur le blocus de Berlin, le 26 juin 1963, lorsqu’il a lancé son mot d’ordre historique : « Ich bin ein Berliner ».
Aujourd’hui, sans vouloir répéter comme des perroquets, nous sommes dans l’obligation d’agir comme cet illustre Président américain contre cet isolement qui ne dit pas son nom de cette partie intégrante et intégrale du Sénégal : la verte Casamance. Inadmissible est la situation que vivent nos concitoyens du Fogny, du Cassa, du Boulouf, du Calounaye, du Djiragone, du Packao, du Balantacounda, du Fouladou, j’en passe.
Il est vrai que depuis quelques années, profitant d’un contexte sociopolitique chaotique, des acteurs politiques, des journalistes, des religieux de pseudo défenseurs des droits humains, que j’appelle les « gens des Mille Collines », voulant atteindre un leader politique, ou régler de façon obtuse des comptes politiques, ont indexé toute une région. Certes, très vite, la conscience populaire et la sagesse ancestrale les ont vite rappelés à l’ordre.
Mais aujourd’hui avec les récits de certains de nos compatriotes, dont de très proches (des parents, des amis, des collègues, des collaborateurs de travail), qui ont vécu l’amère expérience de se déplacer du côté de Ziguinchor, ont fini de nous dessiller sur ces pratiques de ghettoïsation de cette partie du Sénégal. Les uns parlent de Bantoustan, les autres de Gaza pour décrire le sentiment qui les traversent. Et tout cela sous le silence et le mépris des grandes voix de ce pays pourtant très prompts à dénoncer les trains qui n’arrivent point à l’heure. Au nom de quelle logique sécuritaire devrait-on étouffer cette partie du pays qui a vécu un passé irrédentiste traumatisant pour tout le peuple sénégalais.
La Casamance, comme d’ailleurs aucun coin du Sénégal, ne devrait être l’otage des tiraillements politiciens. Cette terre a déjà beaucoup souffert et elle est trop précieuse pour qu’on en fasse un terrain d’affrontement pour les acteurs politiques. Les dignes fils de la Casamance ont droit à la quiétude et à la liberté d’exercer leurs droits citoyens : de vivre dignement sans entrave aucune, de participer considérablement à la bonne marche de ce pays, d’aspirer légitimement aux plus hautes fonctions de cette nation et d’avoir des ambitions nobles pour le Sénégal.
Ce pays, pour reprendre le refrain du professeur Diagne, où chacun a toujours épousé le mouvement du monde sans renier son héritage culturel. N’est-ce pas, l’un des pères fondateurs de cette jeune et belle nation sénégalaise, Léopold Sédar Senghor, qui parlait d’enracinement et d’ouverture ? Ouvrons la Casamance ! Ouvrons le pays ! Ouvrons nos cœurs et le Sénégal continuera de jouer son rôle de vitrine et de pionnier du progrès humain pour l’Afrique et le monde.
Prof. Malick Diagne
Chef du Département de Philosophie/UCAD/Sénégal