Impact de la tension sociopolitique au Sénégal : Les risques réels d’une révolte généralisée :

Le cocktail est explosif. Transport perturbé, inflation sur les prix des denrées, commerces fermés, éducation menacée… d’autres éléments de révolte sont en gestation après les violentes manifestations de jeudi vendredi et samedi derniers.

Des commerces, des banques et des stations-services fermés, le transport perturbé, le secteur informel presque à l’arrêt, l’école menacée, l’université fermée, l’inflation sur les prix des denrées…Les violentes manifestations de ces derniers jours après la condamnation du leader de Pastef/les patriotes à deux ans ferme pour corruption de la jeunesse plongent peu à peu le pays dans une sorte de léthargie économique et sociale. Hier lundi, le pays tentait de repartir du bon pied au lendemain d’une situation catastrophique, dans un contexte socio-économique chaotique, mais ses cicatrices horribles étaient encore très visibles.

Une situation ô combien tendue et qui rassemble déjà tous les ingrédients d’une bombe sociale, économique et sociétale qui pourrait exploser à tout moment. Une détonation qui pourrait faire éclater une autre forme de révolte. Un mouvement d’humeur plus ample. Une révolte généralisée. Elle serait lourde de conséquences pour tout un pays. Babacar Dione, journaliste, analyste politique est convaincu que le pire est à craindre si cette situation de tension persiste.

Il dit:«C’est très rare de voir les Sénégalais sortir pour protester contre une hausse des prix des denrées ou du loyer. Mais, nous sommes dans un cadre assez particulier avec ces manifestations qui si elles devraient s’intensifier, ça peut être un prétexte pour tous ces jeunes qui ont envie d’en découdre avec les autorités. Ça peut jeter de l’huile sur le feu. Les gens sont sur le qui-vive et on sent qu’ils n’en ont pas encore assez.»

«C’est une ceinture de feu et l’Etat n’a pas intérêt à laisser la situation pourrir»

Pour le journaliste, le contexte actuel n’augure rien de bon. «Le contexte est assez lourd. C’est une ceinture de feu et l’Etat n’a pas intérêt à laisser la situation pourrir. La menace de révolte générale est réelle. Les gens vivraient mal une pénurie. On peut comprendre que les denrées se fassent rare et que les Sénégalais payent un peu plus. C’est déjà arrivé.

Si on en arrive à une pénurie de carburant, de légumes, les choses risquent de s’envenimer.»Surtout qu’aucun secteur n’est épargné. Le secteur informel qui concentre plusieurs emplois-jeunes est fortement éprouvé. Un sentiment d’injustice peut facilement laisser couler de la frustration.

Babacar Dione :«Par rapport au secteur informel, le problème est énorme. S’ils ne parviennent pas à trouver des marchandises et surtout à pouvoir les écouler, ce sera terrible. Les transporteurs se plaignent du fait que les gens ne sortent plus, donc il n’y a plus de clients. Les gens ne vont plus au marché. C’est une période de traite avec la Tabaski qui approche. Les gens sont plus préoccupés à se terrer que d’aller faire le marché ou voyager. C’est une bombe sociale qui peut exploser à tout moment si les autorités n’y prennent pas garde. Surtout si la situation perdure.»

Journaliste, Directeur de Pikini Productions, également analyste politique Aliou Ndiaye rappelle que socialement le Sénégal et les Sénégalais étaient déjà sous pression. «Si cette pression est augmentée par la situation créée par les affrontements qui ont eu lieu entre Dakar et Ziguinchor, il se peut ça porte à conséquences, affirme Aliou Ndiaye.

Mais, à partir du moment où la population est consciente des raisons d’un manque ou d’une pénurie, la communication est mieux acceptée. Ça ne devrait pas être dans l’immédiat une sorte d’étincelle qui pourrait mettre le feu aux poudres. Tout le monde a constaté qu’il y a dans ce pays des gens qui sont dans des situations économiques et sociales qui frisent l’état d’urgence. Tous ces gens, on les a bien vu s’exprimer de manière très violente pour dire que la société tous les jours leur fait violence en étant privés de tout. Il est urgent de se pencher davantage sur eux.»

Même s’il reste convaincu que dans l’immédiat, les choses peuvent ne pas dégénérer, Aliou Ndiaye pense aussi qu’il y a tout de mêmes des risques. «Déjà en 2019, je disais aux gens de faire très attention à ces jeunes qui prenaient les pirogues pour partir en Espagne qui à cause du dispositif Frontex n’étaient plus en mesure de traverser l’océan, aux risques et périls de leur vie pour aller tenter leur aventure en Espagne.

J’avais bien dit que si les solutions individuelles que les jeunes empruntent pour sortir de la pauvreté ne marchent, ils vont tenter une solution collective. Et la solution collective, elle pourrait être violente. Si certains appels à la pyromanie, à la destruction sont entendus, c’est parce qu’il y a un terreau fertile et ce terreau fertile, c’est la pauvreté. Cette situation, si elle perdure, ce sera très difficile.»

«Garantir la sécurité pour une bonne reprise des activités, si ça dure une semaine, ce serait dramatique»

Si elle perdure, la situation n’épargnera personne. Tous les secteurs sont concernés. Qu’est-ce que l’Etat devrait faire pour prévenir et éviter un drame social ?

Babacar Dione : «Ce n’est pas pour rien que le ministre de l’Éducation a sorti un communiqué pour dire que les cours doivent se poursuivre. Ils savent que le pays ne peut pas rester bloqué pendant plusieurs jours. Si ça dure une semaine, ce serait dramatique. J’ai entendu Cheikh Diop, syndicaliste du pétrole dire que c’est un secteur endetté. L’Etat devrait garantir la sécurité pour une bonne reprise des activités. S’il n’y a pas de sécurité, de paix, rien ne pourra marcher. Personne ne va prendre de risques.

Les gens ont besoin d’être rassurés. L’opposition appelle encore à une mobilisation avec le F24. Tout dépendra de la réponse que l’Etat va apporter. Il y a danger et il faut le reconnaitre.»

Quant à Aliou Ndiaye, il juge la marge de manœuvre de l’Etat trop petite, surtout au plan économique, si jamais les prix flambent.«C’est difficile. Le contexte économique mondial est très difficile. Regarder les taux d’inflation dans certains pays du monde, c’est des taux à deux chiffres, quelques fois très élevés. Il y a beaucoup de pays du monde qui sont dans des difficultés depuis le coronavirus. Après le coronavirus, il y a eu la guerre en Ukraine, des décisions qui ont été prises dans un certain nombre de pays qui ont eu des conséquences très fâcheuses sur l’économie mondiale. L’économie mondiale est en surchauffe.

Le Sénégal qui est un pays qui importe tout ce qu’il mange ne pouvait pas échapper à cette situation. Je ne vois pas comment l’Etat peut le régler. Par des subventions ? On a bien vu le gouvernement décidé cette année de renoncer à un certain nombre de financements pour pouvoir bénéficier des financements du Fonds monétaire international(Fmi).»

Source L’Obs

 

Mamadou Nancy Fall
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