La jeunesse, une chance pour le Sénégal Par Sidy Diop

S’il y a une leçon à tirer des événements sanglants qui ont suivi le verdict du procès opposant Ousmane Sonko à Adji Sarr, c’est bien celle-ci : les jeunes sont en colère. Il faut les écouter, les comprendre et se porter à leur secours. En mars 2021, le président Macky Sall avait laissé entendre qu’il avait compris le message lancé par la foultitude de jeunes qui avaient mis Dakar à sac.

Le Programme d’urgence pour l’insertion socio-économique et l’emploi des jeunes « Xeyu Ndaw ni », lancé dans la foulée et doté d’une enveloppe triennale d’un montant global de 450 milliards sur la période 2021-2023, n’a pas gommé les ressentiments de la cible. Les 141 700 bénéficiaires, selon les chiffres du gouvernement, ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des difficultés auxquels sont confrontés les jeunes (les moins de 35 % font 76 % de la population, chiffres de 2021).

En effet, 300 000 nouveaux demandeurs d’emploi se déversent sur le marché du travail tous les ans. Le gap est énorme dans un pays sous-industrialisé et où le secteur privé peine à exister face à la concurrence des entreprises des pays bailleurs.

Interrogeons-nous un moment sur ces phénomènes qui se déroulent sous nos yeux et qui mettent en scène cette frange de notre population :

Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette colère irrépressible qui pousse nombre de nos enfants à se jeter dans la gueule de l’Atlantique malgré ces images de mort qui envahissent nos écrans ? Comment, dans un pays au tréfonds aussi religieux que le nôtre, la quête de la réussite en arrive à pousser nos jeunes à mépriser le danger et à estimer que la mort vaut plus qu’une vie sans réussite sociale ?

 

Quand on prend la peine de discuter avec quelques-uns de ces jeunes qui affrontent des forces de défense surarmées avec des pierres et des pneus brûlés, on est sidéré par le ressenti qu’ils ont de leur place dans la société sénégalaise. Car, pensent-ils, rien n’est plus violent que le manque d’estime que leur propre société développe à leur égard. Comme le témoignage glaçant de ce jeune manifestant : « Pour notre société, nous sommes des morts-vivants, alors vivre ou mourir n’est plus ce qui compte pour nous mais plutôt de changer l’ordre des priorités dans notre pays ».

Société de l’avoir

Notre société célèbre la réussite et la richesse à l’excès. La société du lien social a cédé la place à une société du bien. Dans nos familles, nos associations et lors de nos cérémonies, la richesse définit les rapports sociaux. Ceux qui ont les moyens de la générosité sont chantés, vantés et offerts en exemple. C’est l’éloge permanant de la prospérité. Nos allégeances religieuses, politiques et associatives sont dictées par l’argent. Notre société est avec les pouvoirs, tous les pouvoirs. Autrefois, une solidarité agissante servait d’amortisseur et parvenait à adoucir les amertumes qui peuvent naître de la misère d’une bonne partie des fils de la société.

Aujourd’hui, une discrimination par la réussite sociale a fini de nous installer dans une société d’humiliation. Oui, humiliante pour la frange de ses enfants qui n’a pas eu l’heur de recevoir la visite de dame fortune. Or, l’’humiliation est une forme intense, voire radicale, de souffrance psychique : elle dévalorise, méprise et met en cause le droit de l’individu à être, à vivre, sans justification.

Elle tend en effet à effacer le sujet dans sa qualité même d’être humain. Ces humiliations qui touchent à l’estime et au respect que les gens peuvent avoir de leur propre dignité sont grosses d’actions, a priori irréfléchies, mais qui trouvent leur justification dans le mal-être social de leurs auteurs.

Il nous faut réfléchir au sort de nos enfants dont la vie tient encore à un mince fil d’espoir. Nos autorités devraient, toujours, entretenir ce filet pour que chaque fils du pays trouve la juste expression de ses possibilités. Il nous faut penser à une société plus juste et plus ouverte au droit à la dignité qui passe par l’accès aux emplois. Car seul un travail décent peut garantir la dignité et le respect des autres.

Entendons les jeunes. Ils ont recréé le lien social grâce aux réseaux sociaux, Twitter particulièrement et y développent une forme de solidarité qui en dit long sur leur perception du monde. A l’image de cette formidable solidarité qui s’est manifestée pour le rapatriement des étudiants après la fermeture des campus sociaux des différentes universités du Sénégal. La frustration qu’ils déversent dans nos rues est un appel au secours. Répondons avec intelligence, car c’est à l’aune du profil de sa population (jeunes, vieux) que l’on mesure le tonus, le dynamisme et les capacités d’un pays à affronter l’avenir.

Dans ses « Murmures à la jeunesse », Christiane Taubira écrit avec justesse : « Une génération peut éclairer le présent et offrir à la suivante de choisir l’épaisseur et les couleurs de son propre présent. » L’art politique, pour le pouvoir, serait de faire de ces jeunes une chance pour le Sénégal.

 

Si. Di.

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