En Afrique comme dans une grande partie du reste du monde, la question de la migration est au centre du discours politique. Elle fait partie des urgences que la communauté internationale cherche à solutionner. En témoigne l’adoption de deux pactes mondiaux : le Pacte mondial pour les réfugiés et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (Pacte de Marrakech), qui cherchent à aborder la mobilité humaine de manière plus globale.
Vue pour la plupart du temps sous l’angle d’un «problème» alors qu’elle est une opportunité si elle est bien administrée, l’on oublie souvent que la migration est un droit reconnu à tout individu quelles que soient ses origines, sa race, son ethnie ou encore son appartenance etc.
Quoique, les transformations sociales, sociétales, économiques, politiques, l’apparition de nouvelles urgences, de nouvelles aspirations et des besoins parfois existentiels la rendent à la fois complexe et en font un enjeu et des défis majeurs qui se posent aux Etats
«La migration est inévitable et ne s’arrêtera pas» avait laissé entendre l’actuel secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres. C’était en novembre 2016 lors du sommet «Europe vision summit». Il venait juste de quitter ses fonctions de Haut-commissaire aux réfugiés des Nations unies.
Cette déclaration de l’actuel secrétaire Général des Nations Unies il y’a plus de sept ans est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Elle doit nous interpeller sur la gouvernance de la migration et surtout à nous interroger sur les relations entre les Etats du Sud et ceux du Nord. A cet effet, notre modeste réflexion va porter sur la migration dite «irrégulière» à, partir de notre pays, le Sénégal. D’ailleurs pourquoi parler de la migration «irrégulière» si l’on sait que la migration est un droit consacré ? On devrait parler de la migration régulière pour avoir une bonne lisibilité du problème dont il est question
Tenant compte de ce qui a été dit un peu plus haut, le Sénégal dont les populations ont une vieille tradition de mobilité n’y échappe pas. Terre d’accueil et d’hospitalité, le Sénégal est à la fois un pays de départ, de transit mais aussi de destination.
D’ailleurs, l’article 14 de sa constitution garantie la libre circulation des personnes et des biens dans l’ensemble du territoire national et à l’étranger. Si aujourd’hui, les populations sénégalaises n’arrivent pas à se déplacer, à rejoindre l’autre bout, ou à braver l’interdit au péril de leur vie pour certains, c’est parce que, quelque part, il y’a un déni de ce droit, de part et d’autre, une restriction notoire de cette liberté par la difficulté d’obtenir un document de voyage légal.
Par document de voyage, légal nous entendons le visa pour se rendre par exemple dans l’espace Schengen. Il est bien à ce stade de rappeler que l’émigration internationale se « caractérise principalement par des flux sud-sud essentiellement dirigés vers les pays de la sous-région ouest-africaine » d’après le profil migratoire de 2018.
D’ailleurs les notes de l’Institut français des relations internationales (Ifri) portant sur « l’agenda de l’Union africaine sur les migrations : Une alternative aux priorités européennes en Afrique ?» rendues publiques en 2021 renseignent que les migrations subsahariennes «sont très peu connectées aux flux transcontinentaux : plus de 70 % restent en Afrique».
Si l’on observe le continent dans son ensemble, en y ajoutant les pays du Maghreb et l’Afrique du Sud (deux régions mieux connectées aux migrations transcontinentales en raison de leur niveau de développement), les notes de l’Ifri, de révéler que le chiffre s’établit à près de 53 %, soit plus d’un migrant sur deux. La proportion des migrants africains accueillis en Europe est de 26 %, soit un sur quatre. Enfin, près du tiers des réfugiés dans le monde se trouvent en Afrique subsaharienne
Le visa est défini selon l’Organisation internationale pour les migrations (Oim) comme étant un «titre apposé par les autorités compétentes d’un État sur le passeport ou la pièce d’identité d’un nonnational souhaitant entrer, sortir ou traverser le territoire de cet État, qui indique que les autorités considèrent, lors de la délivrance du titre, que l’intéressé relève d’une catégorie de non nationaux autorisés à entrer, sortir ou traverser le territoire de l’État en vertu de sa législation. Un visa définit les critères d’entrée, de transit ou de sortie du territoire d’un État».
La difficulté d’obtention de ce document non seulement est un obstacle à la libre circulation des africains notamment des sénégalais mais ouvre la porte au développement de circuits parallèles meurtriers par voie terrestre et maritime : la migration irrégulière. Elle est définie par l’Oim comme étant un «mouvement contrevenant à la réglementation des pays d’origine, de transit et de destination». Miriam Valiani, anthropologue italienne dira dans une entrevue publiée dans le journal «Le Quotidien» du Sénégal qu’il est «juste que la population africaine obtienne le droit de voyager comme les autres». Elle ne demande pas plus que ça.
Il apparait à nos yeux, plus pertinent de parler de modalités pratiques à mettre en œuvre pour favoriser la migration régulière plutôt que de s’épancher sur un mouvement irrégulier et, qui pourrait être régulier. Pourvu qu’on fasse preuve de réalisme, de générosité et de bonne foi. Il est bon de rappeler les propos d’Antonio Guterres lors du sommet de novembre 2016. «La migration n’est pas le problème, mais la solution», avait-il laissé entendre. Avant de poursuivre plus tard dans son allocution que «La gestion de la migration est une question de souveraineté nationale(…)».
Aujourd’hui, les pays du Nord et mêmes africains semblent fermer l’œil tout en essayant de se donner bonne conscience en voulant trouver des causes «supposées» profondes à la migration dite irrégulière des jeunes en Afrique. Parmi ces raisons, on listera celles économiques, sociales, la pauvreté, les crises/conflits, la sècheresse, le dérèglement climatique.
Certes ! Ce sont des motifs avérés. Quid de la difficulté de voyager régulièrement avec un Visa ? On doit en parler. On n’en parle pas
«Je ne pense pas que ce soit possible de vaincre facilement la migration avec la manière de faire actuelle. Il faut d’abord donner à chacun la même possibilité de voyager. Il est juste que la population africaine obtienne le droit de voyager comme les gens des autres pays, estime Miriam Valiani, anthropologue Italienne dans le journal «Le Quotidien». Les Objectifs du développement durable (Odd) à travers son objectif 10.7 recommandent de faciliter la migration et la mobilité de façon ordonnée, sans danger, régulière et responsable, notamment par la mise en œuvre de politiques de migration planifiées et bien gérées.
En lieu et place de cela, on assiste à des politiques migratoires restrictives et à la sécurisation de la migration par l’externalisation des frontières. Pourtant, conformément à l’Odd 10.7, l’objectif 5 du pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et régulières recommande de: faire en sorte que les documents de voyage pour la migration régulière soient accessibles et plus souples. Mais, on fait fi de tout cela pour nous entretenir à longueur de journée sur la migration irrégulière.
Au niveau africain, l’agenda 2063 de l’UA à travers son aspiration 2 recommande l’accélération des progrès vers l’unité et l’intégration continentale pour une croissance soutenue, le commerce, les échanges de biens et services, la libre circulation des personnes et des capitaux grâce à la création d’une Afrique unie et à l’intégration accélérée de l’économie par la mise en place de la Zlecaf.
Toutes ces initiatives de gouvernance des migrations ont été adoptées par la plupart des pays de la planète. Si le blocage persiste toujours, c’est parce qu’il y’a quelque part un manque de volonté de voir le véritable problème se résoudre. De même, il y’a qu’au niveau du continent on ne s’assume pas. Ou en tout cas, on éprouve des difficultés à le faire. Les leaders politiques africains sont dans la reprise des discours ant-immigraton de l’Europe sans aborder le sujet d’un autre œil à partir du postulat africain. Promouvoir un discours africain de la migration à partir de réalités africaines d’une part et d’autre part travailler comme les autres à faire de la mobilité intra-africaine une réalité. Avoir la latitude et la liberté de se mouvoir en Afrique de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, devrait être le cadet de nos soucis
«Il est très difficile de se déplacer à l’intérieur du continent, en raison des restrictions de visa, mais aussi de l’absence de réseau en termes de connexions routières, de vols, etc. On a l’impression que l’Afrique n’est pas faite pour les Africains. Il est plus facile pour les Européens de venir en Afrique. Pour un Africain, se déplacer à l’intérieur de l’Afrique est un très gros problème», s’est expliquée Rose Kobusinge, ambassadrice de la jeunesse pour l’Union africaine et l’Oim dans un entretien publié dans «Le Quotidien» en marge du forum mondial migration et développement tenu à Genève en début d’année 2024.
Pour le respect de la dignité humaine notamment des migrants africains, cette ambassadrice d’origine ougandaise assène «nous devons traiter les Africains comme nous souhaiterions que les autres les traitent. Si vous maltraitez les Africains à l’intérieur du continent parce qu’ils sont des migrants, il sera très difficile de s’attendre moralement à ce que l’Europe, l’Asie ou les EtatsUnis les traitent différemment».
C’est pourquoi, il n’y a pas de honte pour les Etats Africains notamment pour le Sénégal d’aller chercher ses filles et fils qui sont en détresse, dans les liens de détentions hors du pays. Lorsqu’un pays tiers renvoie votre compatriote ou bien vous exprime sa volonté de ne plus voir un de vos compatriotes sur son territoire, l’Etat doit être fort et avoir la grandeur d’aller chercher ses enfants et les ramener au bercail. C’est aussi une manière de se faire respecter et de porter la voix. C’est d’ailleurs toute l’importante et la pertinence d’appliquer le principe de réciprocité en matière de Visa.
Pourquoi le Sénégal doit rester ouvert à la mobilité mondiale alors que la mobilité mondiale est fermée à lui ? Pourquoi le Sénégal ne devrait-il pas appliquer les mêmes conditions aux ressortissants des pays tiers qui demandent à ses filles et fils un Visa ?
Instaurer un Visa d’entrée au Sénégal pour tout pays qui le demande à des sénégalais est non seulement un acte d’affirmation de notre souveraineté, mais c’est aussi une donnée sécuritaire. Sinon, les potentiels visiteurs du Sénégal pourraient bien se demander de la fiabilité d’un pays dans lequel on entre et on sort comme on veut.
Par Moussa Seydou Diallo Journaliste spécialiste en migration
Ancien Pdt Ajms-écrivain hp3verseau@yahoo.fr