Du Sénat au Colisée: Réponse à Yoro Dia

J’ai beaucoup d’estime et de respect pour Yoro Dia, un brillant intellectuel que j’ai connu

jeune journaliste de Walf Fadjri en 1997 couvrant, avec son collègue Souleymane Jules Diop,  la crise de l’Ecole Normale Supérieure. J’étais alors le président de l’ASENS (Amicale des Stagiaires et Elèves Professeurs de l’Ecole Normale Supérieure). Walf avait beaucoup contribué à la réussite de notre combat pour le recrutement des sortants de l’ENS (qui avaient observé une grève de la faim) en ouvrant, avec beaucoup de générosité, ses antennes au comité de lutte. Je garde toujours une très grande reconnaissance pour Walf, son fondateur feu Sidy Lamine Niasse et ses journalistes d’alors Yoro Dia, Abdoulaye Lam, feue Reine Marie Faye etc. Ceci dit, il me semble important de partager ma réaction à la dernière réflexion de Yoro Dia dans ses Balises « Quotidiennes »

Un sophisme d’incohérence

En réaction aux incidents ayant conduit à l’intervention de la gendarmerie dans l’Assemblée Nationale, Yoro Dia a publié dans le journal Le Quotidien, un texte intitulé “Indignation Illégitime”. Il y relève, avec regrets, ce qu’il perçoit comme étant une déliquescence de notre leadership politique, civique et citoyen. Toutefois, il demeure évident que l’auteur, qui n’était pas encore officiellement nommé ministre, a choisi de ménager le pouvoir et de charger lourdement, avec beaucoup de condescendance, les activistes et opposants au président Macky Sall.

Cependant, en établissant une fausse équivalence entre Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade d’une part et… Abdou Karim Xrum Xakh et Koukandé d’autre part, Yoro Dia a sciemment commis un sophisme d’incohérence. Il va jusqu’à assimiler la montée politique de Guy Marius Sagna à la “continuation de la lutte du MFDC par d’autres moyens.” Quelle grossière galéjade! Yoro Dia mélange délibérément les moutons et les chèvres pour éblouir ses lecteurs, soulever leurs émotions et manipuler leur conscience politique devant la profondeur d’une prétendue “chute”morale.

La désacralisation de la fonction présidentielle

Yoro Dia aurait été plus cohérent s’il avait substitué le nom de Macky Sall à celui de Karim Xrum Xakh aux côtés de Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade pour respecter le parallélisme des fonctions et statuts. Une telle comparaison qu’il s’est bien gardé de faire, aurait été fort risquée.

Car, il s’avère absolument important de souligner que si ces prédécesseurs du président Sall s’arrêtaient aux joutes classiques, aux compétitions électorales dans les limites tracées par la noblesse politique sans intention méchante d’humilier et de détruire leurs adversaires, Macky Sall lui, n’est orienté par aucune boussole éthique. Il descend jusque dans les chambres à coucher, les toilettes, les commerces et comptes en banque de ses adversaires – perçus comme des ennemis, pour y fabriquer des opportunités de vaincre sans péril.

Le président Macky Sall s’acoquine sans gêne aucune avec la racaille du Web et récompense avec ostentation les voyous électoraux comme Djibril et Farba Ngom.  Adji Sarr confiait à tort ou à raison qu’elle était aussi sur la feuille d’audience du président. Il n’a ni la vaste culture de Senghor, ni l’intelligence aiguë et le patriotisme de Cheikh Anta, ou la culture étatique et la décence éthique d’Abdou Diouf encore moins la foi démocratique d’Abdoulaye Wade. Un rustre au pouvoir!

Servir Commodus

Puisque Yoro Dia, notre brillant journaliste, a choisi la Grèce et la Rome Antiques pour illustrer ce qu’il appelle le brouillage des normes entre plébéiens et patriciens sénégalais, c’est à Rome que nous trouverons un empereur dont la personnalité s’identifie de façon troublante, à bien des égards, à celle du président Macky Sall. Considéré comme le pire des empereurs romains, Commodus est né en 161, Macky Sall en 1961. Il a été promu dauphin et co-empereur pendant 3 ans, Macky Sall a été premier ministre pendant 3 ans.

Le règne de l’empereur romain a duré 12 ans. Macky Sall aura fait 12 années au pouvoir à la fin de son second mandat. L’avènement de Commodus a coïncidé avec une réduction des campagnes militaires à Rome tout comme celui de Macky marque une certaine accalmie dans le conflit casamançais.

Commodus est le premier empereur romain à avoir franchi – pour emprunter les termes mêmes de Yoro Dia, “la frontière entre le marbre du Sénat et la poussière du Colisée” en descendant dans l’arène comme gladiateur. Il avait un goût prononcé pour les jeux à l’image de Macky qui a beaucoup investi dans le sport par la construction de stades et d’arènes. Une gouvernance véreuse caractérise le règne des deux leaders. De la même manière que Macky Sall – qui s’est auto-proclamé ndiouthie ndiathieur (le perfide), utilise la justice pour disqualifier ses adversaires les plus sérieux, Commodus le gladiateur trichait durant les combats car il n’affrontait que des adversaires blessés, handicapés ou à qui étaient remises des armes défectueuses. Il détruisit l’équilibre des pouvoirs romains en s’attaquant au Sénat.

Macky Sall a systématiquement entrepris de démanteler nos acquis démocratiques. Il a fait envahir l’Assemblée Nationale par la gendarmerie pour imposer son dictat. En se présentant dans l’arène comme gladiateur lors des Saturnales, Commodus a piétiné la dignité impériale comme Macky a désacralisé la fonction présidentielle en prenant ses aises avec les bouches fétides des réseaux sociaux. Leurs prédécesseurs respectifs étaient bien plus regardants sur leurs fréquentations.

Préserver la Pax Senegalensis

Les excès tyranniques de Commodus et sa fin tragique ont ouvert la période d’instabilité dans l’Empire Romain avec la fin de la Pax Romana. Il est donc fort à craindre que l’ ambition délirante de Macky Sall de garder le pouvoir jusqu’en 2035 ou même d’en contrôler la transmission par une répression meurtrière ne plonge le Sénégal dans une crise politique et sociale sans précédent.

Par conséquent, nous invitons vivement  le ministre Yoro Dia, désormais en charge de la communication présidentielle, d’aider Macky Sall à sortir paisiblement en 2024 – après ses 12 années de pouvoir, afin d’éviter au Sénégal le sort de la Rome Antique post-Commodus en préservant notre exception démocratique. Il est très heureux de remarquer que le journaliste avait déjà partagé sa position sur l’impossibilité d’un troisième mandat du président. Il serait bien regrettable, une fois devenu ministre, qu’une telle intelligence figure comme le Goebbels de Macky sur les pages sombres de l’histoire politique du Sénégal.

 

Elimane  Mbengue

embengue@hotmail.com

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